Il a renoncé. Ça faisait déjà quelques temps qu’il avait l’impression de pisser dans un violon. Les défaites électorales s’accumulaient, les mouvement sociaux ne faisaient plus le plein. Puis il y a eu ce couple de petits vieux samedi dernier sur le marché. Le tract qu’il leur tendait les concernait, pour leurs droits, leur humanité, leur dignité mais ils ne l’ont même pas regardé. La grand-mère a tiré son mari par la manche et d’un air mi-gêné mi-effrayé elle dit que « ça ne les intéressait pas ». Autrefois il aurait haussé les épaules, aujourd’hui il se demande « à quoi bon ? ». Alors il a raté une réunion, puis deux, puis il s’est désabonné de la liste de diffusion. Aux camarades rencontrés par hasard, il a dit qu’il n’avait plus le temps en ce moment.
Elle a renoncé. Ça faisait déjà quelques temps qu’elle ne prenait plus la parole dans les réunions. A quoi bon puisqu’elle se faisait toujours interrompre. Toujours sans méchanceté, toujours un homme, pour « apporter une précision » ou pour faire une blague « pour se détendre ». Ça fait des années qu’elle milite mais on l’appelle toujours « la jeune militante », « la petite », ou pire, « la charmante petite militante ». Toute son orga avait soutenu Metoo mais des mecs continuaient à répondre à sa place. On lui avait refilé la trésorerie, on l’appelait aux moments des campagnes électorales pour équilibrer la parité sur les listes. Puis il y a eu ce camarade, ni pire ni meilleur qu’un autre, qui a utilisé le fichier interne pour la contacter et « l’inviter à boire un verre ». Autrefois elle l’aurait gentiment éconduit, aujourd’hui elle ne prend même pas la peine de lui répondre. Elle enverra un mail pour cesser toute activité, elle est pratiquement sûre que l’un d’eux fera une blague sur ses règles.
Il a renoncé. Ça faisait déjà quelques temps qu’il passait plus de temps à affronter les camarades de son orga que les autres partis. Il acceptait encore de faire bonne figure à l’extérieur, de défendre l’orga malgré ses désaccords, espérant renverser la situation à la prochaine réunion. Puis il a réalisé que ces combats internes compensaient l’impossibilité de peser sur le réel. Enfin il y a eu cette décision, accessoire mais prise en son absence, en dehors de toute réunion officielle. Il a compris que le groupe militant était devenu un groupe de potes mais qu’il n’en faisait pas partie. Il a rompu en insultant tout le monde.
Elle a renoncé. Ça faisait déjà quelques temps qu’elle avait l’impression de porter toute l’orga sur ses épaules. Quand au moment de se répartir les tâches militantes, le silence durait trop longtemps autour de la table, elle soupirait puis se portait volontaire. Les autres lui disaient « on t’aidera » du bout des lèvres mais cela se concrétisait rarement. Puis on lui a reproché une erreur. Elle a fait un faux pas, c’est vrai elle le reconnaît, mais où étaient ses camarades quand elle se démenait seule ? Elle a quitté la réunion en claquant la porte.
A celles et ceux qui ont quitté partis, syndicats ou associations, avec fracas ou sur la pointe des pieds, merci pour l’investissement que vous avez consacré, pardon pour les blessures occasionnées et on espère qu’on vous retrouvera un jour.