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Billet de blog 30 novembre 2020

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A l’école non plus « nous n’étions pas prêts »

Il est aujourd’hui de notoriété publique que notre système de santé n’était absolument pas préparé à faire face à une crise sanitaire d’une telle ampleur. Nul ne songerait d’ailleurs à en contester le constat si factuel. Encore moins depuis les ouvrages commis par les Professeurs Gilles Pialoux, Frédéric Adnet et Eric Caumes.

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A l’école non plus, « nous n’étions pas prêts »

Par Guillaume Lozès Docteur en littératures française, francophones comparées

Professeur de Lettres-histoire en lycée professionnel

Il est aujourd’hui de notoriété publique que notre système de santé n’était absolument pas préparé à faire face à une crise sanitaire d’une telle ampleur. Nul ne songerait d’ailleurs à en contester le constat si factuel. Encore moins depuis les ouvrages commis par les Professeurs Gilles Pialoux, Frédéric Adnet et Eric Caumes. On doit aussi à la vérité de dire qu’ils sont des mandarins de l’hôpital, des autorités médicales reconnues dans leurs spécialités et, aujourd’hui, des objets médiatiques identifiés de la pandémie que connaît le monde, et singulièrement, notre pays depuis presque 9 mois. 

Néanmoins, cette crise sanitaire touche et désorganise, de manière insoupçonnée et insidieuse, d’autres secteurs que l’hôpital : l’économie et l’éducation pour ne retenir qu’elles. Pour cette dernière, on aurait pu croire qu’elle pouvait continuer à fonctionner comme toujours, et personne, ou si peu, n’a anticipé ses effets ravageurs. 

Pour autant, quelles figures enseignantes, comparables à celles du monde hospitalier, a-t-on pu identifier en leur offrant une tribune pour exprimer leurs inquiétudes face à cette crise qui percute, aussi, de plein fouet le monde de l’éducation ? Quelques représentant.e.s syndicaux des professeur.e.s de-ci, issu.e.s du corps des chef.fe.s d’établissement de-là, quelques professeu.r.e.s épar.s.e.s. 

Mais qu’en est-il de l’enseignant.e de base, ce tâcheron, qui chaque jour fait face à ses élèves ?

Il convient dès lors de faire un retour sur ces mois qui ont dynamité une école déjà si fragile et pourtant soumise à de nombreuses secousses. Encore une.

La promesse était belle, trop, si on se souvient de La Loi pour une école de la confiance ou loi Blanquer adoptée le 4 juillet 2019 et publiée le 28 juillet 2019 « pour bâtir une École de la confiance dans un esprit de liberté et d’autonomie ». Certains de ces « changements » saillants font sourire aujourd’hui, sinon grincer des dents et confinent au mieux au slogan publicitaire au pis à une simple pétition de principe : « créer un grand service public de l’école inclusive » : « Assurer une scolarisation de qualité à tous les élèves de la maternelle au lycée, qui prenne mieux en compte leurs singularités et leurs besoins éducatifs particuliers, tel est l’esprit du chapitre IV de la loi, intégralement consacré à l’École inclusive ».
« Des personnels mieux formés et reconnus » (sic), « s’ouvrir sur le monde avec les établissements publics locaux d’enseignement international, combattre le décrochage des jeunes les plus fragiles avec l’obligation de formation jusqu’à 18 ans », « le droit, pour chaque jeune entre 16 et 18 ans, de pouvoir intégrer un parcours adapté à ses besoins ». « Et enfin, améliorer le système scolaire français avec le Conseil d’évaluation de l’école », « la mise en place de l’évaluation au service des établissements ».

Il est alors forcément troublant et loisible de se demander pourquoi et comment avec de tels outils performants et aussi bien pensés, l’école, a l’instar de l’hôpital, n’a pas été en mesure de faire face aux conséquences d’une pandémie dont d’autres pays ont été frappées avant le nôtre ?

 L’une des réponses réside sans doute dans cette propension bien française de croire ses systèmes de santé et d’éducation bien meilleurs que ceux de ses voisins alors qu’elle n’a jamais cherché, avant, les moyens de les faire véritablement entrer dans le 21e siècle.

De sorte que le 16 mars 2019, de sinistre mémoire, l’allocution du président Macron faisait basculer tout un pays dans le confinement et l’école, ses élèves, leurs parents, ses professeur.e.s dans la mal nommée « continuité pédagogique », quand quelques jours auparavant son ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, assurait que les écoles, collèges et lycées ne fermeraient pas. Faisant ainsi le lit de ce qui s’avéra comme la plus grande désorganisation que l’école française ait connue.

Communication brumeuse et brouillonne, outils institutionnels inadaptés et obsolètes ont conduit les enseignant.e.s de France à la plus grande débrouille, se transformant en couteaux-suisses 2.0 avec leur propre matériel : téléphones, imprimantes et cartouches, ramettes de papier, ordinateurs personnels souvent usés par des heures d’utilisation intense au service de leur enseignement et qu’ils ne peuvent changer contre un neuf, faute de moyens pécuniaires.

A cet égard, le Grenelle de l’éducation qualifié tour à tour à tour par Jean-Michel Blanquer d’« approche systémique », d’« approche gagnant-gagnant », assène avec assurance devant les sénateurs de la Commission de l’éducation, le 17 novembre 2020 : « C'est de l'épanouissement général » qui laisse pantois d’admiration.

Actuellement supposé apporter une revalorisation salariale en 2021, annoncé à cor et à cri, il exclut pourtant, de fait, nombre des personnels sans jamais évoquer un point d’indice décidément gelé, au profit d’items se voulant performatifs que sont : « Reconnaissance », « Formation », « Ecoute et proximité », « Valeurs républicaines », « Mobilités », « Coopération », « Numérique », aux contours assurément abscons et à la profondeur insondable.

Les « Mobilités » retiendront particulièrement l’attention des mieux informé.e.s qui n’ignorent rien du nombre d’années et de points nécessaires à un enseignant.e afin de rejoindre l’académie et l’établissement de son choix, consacreraient, ipso facto, une véritable révolution copernicienne.

Le « Numérique » quant à lui ne manque pas de piquant au regard de la « continuité pédagogique » puisque ni les élèves et leurs enseignant.e.s ne sont correctement outillé.e.s afin de téléenseigner.

Enfin, l’offrande faite au corps enseignant, d’une obole grimée en « prime d’équipement » de 150 euros nets annuels est de celle qui ne se refuse pas. Ne plus être contraint.e.s de tendre sa sébile pour s’équiper, est de même nature, que celle accordée aux soignant.e.s, au sortir de leur Ségur de la santé. Muni de ce viatique au cours de ces trois mois de confinement, nul doute que les enseignant.e.s eussent pu raccrocher davantage de leurs élèves dans les wagons de la réussite tout en faisant l’oubli sur le fond d’improvisation totale et d’abandon par leur ministère de tutelle. Tutelle étant le mot idoine quand on les enjoignait à n’utiliser que des outils institutionnels inopérants, de respecter, au surplus, le règlement général sur la protection des données (RGPD).

Les ministères de l’Education nationale et de la Santé maîtrisent à la perfection cette tradition bien française empruntant, au « Tigre » Clémenceau, une rouerie politique qui veut que : « Si vous voulez enterrer un problème, nommez une commission ».

Si tout ce gâchis éducatif n’a pas commencé avec l’actuel ministre, tout finit avec lui. Bien de ses prédécesseurs ont été en rupture avec le monde enseignant. Mais cette séquence sur substrat de crise sanitaire l’aura laissé en déréliction comme jamais auparavant.

On aurait donc pu croire grâce à ces enseignant.e.s industrieux, semblable au dévouement du corps médical, que le pire était derrière nous et que des leçons avaient été tirées.

Las. Au mois de mai et à la faveur d’une nouvelle adresse du président de la République annonçant « Le retour des jours heureux » du déconfinement des français, le plus difficile restait à venir.

Les lycées professionnels devaient rouvrir en priorité, eu égard à la fragilité de leur public (sic), dans la même impréparation qui les avait vus fermer. Les enseignant.e.s une fois de plus sommé.e.s d'être ingambes, de faire montre d’agilité pédagogique pour rattraper des élèves dispersé.e.s aux quatre vents.

C’est épuisé.e.s, mais l’amour de leur mission du service public d’éducation chevillé au corps, qu’ils sont parti.e.s en vacances avec en arrière fond les « Vacances apprenantes » : beau janotisme et promesse d’une aube nouvelle en temps d’épidémie.

Dès juillet, le ministre Blanquer qui jamais ne désarme, allégeait pour le réduire à sa plus simple expression, un protocole sanitaire supposé suffire à une rentrée « normale ». Scansion qui a rythmée un été rendant plus déconfits encore des enseignant.e.s dans l’angoisse d’une rentrée qu’ils savaient s’annoncer tout sauf « normale ». Malgré les alertes des médecins, des familles, des professeur.e.s eux-mêmes accusé.e.s de vouloir à toute force prolonger leurs vacances estivales, le ministre de l’éducation nationale n’en a pas démordu, répétant à l’envi un mantra dont on constate aujourd’hui sa faiblesse sinon sa naïveté prophétique.

Pas une seule heure de cours supplémentaires dédoublés en cette rentrée de crise sanitaire pour des lycéens professionnels pourtant préoccupation majeure du ministre.

Pis, à la faveur de la réforme des nouveaux programmes de lettres-histoire en lycée professionnel, la réduction drastique des heures disciplinaires s’est poursuivie au profit d’innovations pédagogiques nommées : co-intervention, chef-d’œuvre, censés rattraper des élèves fragilisé.e.s par trois mois de « continuité pédagogique ».

A l’image des « Fantassins de la République » décrits par le Professeur Adnet et que sont indubitablement les hospitaliers, les enseignant.e.s n'ont pas été en reste afin de ne pas laisser la submersion pandémique emporter l’école et leurs élèves. 

Nonobstant ce don d’eux-mêmes, en cette rentrée 2020, rien n’a été facile pour eux, si peu leur a été concédé. 

Jusqu’à l’assassinat d’un des leurs qui les a vus plus esseulé.e.s que jamais. 

Et pour atteindre l’acmé d’une série infernale et paroxystique pour les professeur.e.s débutée par la Covid-19, l’indicible horreur est survenue en un funeste vendredi 16 octobre 2020, annonçant les vacances de la Toussaint, qui avait laissé espérer aux enseignant.e.s une salutaire coupure de fin de période. Ce fut la déflagration sur toutes les ondes et dans tous les foyers de France.

S’ensuivit une séquence commémorative jusqu’en Sorbonne dont les enseignant.e.s auraient pu penser qu’il en sortirait quelque chose de fécond et de salvateur à la fois pour l’école. 

Que non. Quasiment 15 jours de cafouillages et de pourparlers pour préparer une reprise erratique qui a accouché d’un hommage indigne, honteux et sous le manteau d’un des leurs, sacrifié pour avoir enseigné à ses jeunes collégiens la nécessaire réflexion qui élève et pousse vers les valeurs de la République qui fondent l’école. 

Des enseignant.e.s une fois de plus laissé.e.s en plein désarroi, seul.e.s dans leurs classes pour monter au front et lire sans aucune contextualisation, vu le peu de temps qui leur fut imparti, une lettre de Jean Jaurès aux instituteurs dont il a été pris grand soin de tronquer sa partie sur les évaluations dont l’éducation nationale n’aime rien tant que faire son miel, tout comme la liberté pédagogique des professeur.e.s : « Ce sont des vétilles dont vos programmes, qui manquent absolument de proportion, font l’essentiel. J’en veux mortellement à ce certificat d’études primaires qui exagère encore ce vice secret des programmes. Quel système déplorable nous avons en France avec ces examens à tous les degrés qui suppriment l’initiative du maître et aussi la bonne foi de l’enseignement, en sacrifiant la réalité à l’apparence ! ». Ministre de tutelle écrivions-nous.

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