Guillaume Meurice

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Billet de blog 5 février 2014

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[2-9 février] Festival Bobines sociales, entre prises et points de vue

Ne vivons plus comme des esclaves ! C’est le mot d’ordre de la 11ème édition du festival des Bobines Sociales qui se déroule actuellement à Paris et en proche banlieue. La trentaine de documentaires projetés témoignent des désirs, des doutes et de la vitalité des luttes contre l’adversité et l’injustice, et servent de support à chaque débat organisé à l’issue des séances.

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Ne vivons plus comme des esclaves ! C’est le mot d’ordre de la 11ème édition du festival des Bobines Sociales qui se déroule actuellement à Paris et en proche banlieue. La trentaine de documentaires projetés témoignent des désirs, des doutes et de la vitalité des luttes contre l’adversité et l’injustice, et servent de support à chaque débat organisé à l’issue des séances.

Un projet audacieux, un festival militant mais pas partisan, dont l’histoire commence par un « coup de tonnerre ». L’expression est de Lionel Jospin et résume ce soir du 21 avril 2002 : l’extrême droite est au second tour de l’élection présidentielle.

Gilles, un des bénévoles à l’origine du projet se souvient : « Nous avons été nombreux, à cette époque, à adhérer au Parti Communiste en réaction à ce choc politique ».

Au sein de la section du XXème arrondissement, très rapidement, un petit groupe se constitue afin d’organiser des évènements à vocation culturelle, pour remobiliser un parti qui s'interroge alors profondément sur son sens et ses moyens d'action. Une association, « Pavé et Manivelle », est créée avec un objectif clair et précis : favoriser l’émergence et la reconnaissance d’une création artistique internationale faisant de la réalité sociale son objet principal. Elle prolonge ainsi l’idéal d'un parti qui ne se réduit pas à un programme politique mais s’identifie aussi à une « contre-culture ». Le progrès social passant nécessairement par l'action culturelle, la photographie et le spectacle vivant sont évoqués. Rapidement cependant, le projet prend la forme d'un festival de documentaires.

Ce choix s'impose de façon assez naturelle, la section ayant l'habitude d'organiser ponctuellement des projections de films d'archives du PCF (principalement des films de propagande). Les supports étant familiers, le public en partie déjà constitué, ces soirées, intitulées Les écrans de la mémoire révolutionnaire, créent donc un précédent. L’idée de mettre en œuvre un « premier festival du film documentaire politique » est également dans l'air. ATTAC y pense un temps, mais c'est finalement la section du XXème qui donnera naissance aux « Bobines sociales ». Des membres non encartés rejoignent l’association, à l'image d’Anne-Sophie, qui explique « avoir rejoint le groupe à leur demande, ayant déjà l’expérience de la préparation de festivals ».

Ainsi, en janvier 2004, « Pavé et Manivelle » organise durant trois jours, au studio de l’Ermitage, salle emblématique du quartier de Ménilmontant, des projections de films regroupés sous la thématique du travail. L’affiche, bien qu’en noir et blanc, annonce pourtant la couleur en représentant un homme visiblement en colère, serrant dans son point une pellicule de cinéma. D'année en année, le visuel s'emploie d'ailleurs à montrer un visage : les « bobines », ce sont aussi les figues des militants, façon de mettre en lumière l'engagement personnel et de l’incarner. Chaque édition tient aussi à son slogan. Pour la première, il se veut prémonitoire : « T’inquiète pas y’en aura d’autres ». Et d’autres, il y en a eu.  Car le public répond immédiatement présent.

Certes les conditions techniques de projection sont, selon Gilles, « folkloriques, avec des films sur des support aussi différents que VHS, Béta SP, cassette numérique… », mais les séances affichent complet et les désormais traditionnels débats post-projections sont passionnants et passionnés. Différents intervenants en rapport avec les films proposés ainsi que les réalisateurs sont  conviés. C’est le cas de Marcel Trillat qui, se rappelle Anne-Sophie, « était venu simplement pour la projection de son film et est finalement resté les trois jours ». Il devient ainsi tacitement le parrain du festival.

L’année suivante, la deuxième édition se centre sur la notion de résistance, celle nécessaire pour survivre face à « la pression économique qui vient cogner jusqu’aux portes de l’intime ». La troisième se choisit pour thème central la précarité. Ces thématiques sont âprement débattues au sein du comité d’organisation. Gilles se souvient d’ailleurs, amusé, d’une « discussion sur l’opportunité d’évoquer la notion de violence dans laquelle les protagonistes avaient bien failli en venir aux mains ». Seul le vote calme alors les ardeurs des belligérants.

Au fil des années, le festival commence à prendre ses marques, ses organisateurs de l’expérience et le public ses habitudes. En 2008, le festival s’exporte « Hors les murs » avec des séances gratuites en dehors du studio de l’Ermitage. Les sujets des films programmés suivent les préoccupations sociétales, parfois même l’actualité, mais toujours dans le même esprit : proposer des films nouveaux, inédits en salle ou à la télévision.

Les techniques de projection s’améliorent également peu à peu, non sans accroc. Une année, se souvient Anne-Sophie « la couleur rouge était passée au rose », soulevant chez un Marcel Trillat facétieux des doutes quant à l'avenir de la couleur politique du festival.

Aucune crainte à ce sujet : les “historiques” assurent que les films demeurent toujours aussi militants, fidèles aux statuts de l’association dont l’objectif premier est « la promotion d’un festival international consacré au cinéma social engagé ». Les archives des précédentes éditions confirment cette impression. Aucune question n’est volontairement censurée et le nombre de films diffusés permet de donner à voir une pluralité de points de vue et de subjectivités assumées. Si l'empreinte du Parti Communiste est aujourd’hui moins prégnante que dans les premières années, l’esprit initial demeure.

Le renouvellement des membres de « Pavé et Manivelle » s’opère naturellement et progressivement au fil des éditions, permettant à de nouveaux bénévoles, souvent d’anciens spectateurs, d’intégrer l’équipe d’organisation. Cette façon de faire conduit les membres de l’association à déclarer que c’est, finalement, « le public qui fait le festival » ; chaque nouvelle recrue apportant ses envies, les problématiques qui lui tiennent cœur, et son énergie. 

Cette année, la programmation s’articule autour de thématiques très diverses. De l'oppression à l’insurrection, de la place des corps à celle des désirs, en passant par les problèmes environnementaux et la crise économique et ses conséquences. Des sujets loin d’être épuisés si l’on en juge par l’état actuel des rapports de force entre les individus, les peuples et les puissances financières.

Le festival Bobines Sociales a donc de beaux jours devant lui. Gageons qu’il gardera toujours cette même ambition, ce même désir, cette même urgence : Dire au monde qui il est.

Mathilde Soyer & Guillaume Meurice

02/02/2014

PROGRAMME COMPLET SUR http://www.bobines-sociales.org/