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Billet de blog 8 décembre 2020

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Fantasmes pornographiques, masculinités et domination(s)

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Illustration 1
Couverture du livre de Florian Vörös

Désirer comme un homme. Enquête sur les fantasmes et les masculinités,

Florian Vörös,

160p, La Découverte, 2020

 Avec le développement du numérique, la pornographie n'a jamais été aussi facilement accessible qu'aujourd'hui. Les sites de vidéos X regorgent de milliards de contenus classés dans des catégories multiples, identifiables par des mots-clés, qui permettent aux spectateurs·trices de trouver plus facilement ce qui pourrait les exciter. Mais que veulent dire ces fantasmes dans une société régie par la domination masculine et les inégalités de race et de classe ?

Pour comprendre ce qui se joue derrière la consommation de porno, Florian Vörös, sociologue, a mené un travail d'enquête sur les habitudes de visionnage d'un groupe composé majoritairement d'hommes blancs, aux identités sexuelles variées (hétérosexuel, bisexuel, gay) issus des classes moyennes et supérieures, pour analyser leur rapport à la virilité et à la masculinité, mais aussi pour voir jusqu'à quel point leurs fantasmes érotiques sont influencés par les rapports de genre, de classe et de race.

La virilité blanche civilisée comme moyen de domination et de distinction

L'auteur commence par s'interroger sur la masturbation pornographique, pratique qui permet d'éprouver, de ressentir la virilité. En effet, la masculinité hégémonique développe une vision essentialiste du désir sexuel masculin : les hommes ont par nature des besoins sexuels supérieurs aux femmes, la capacité à s'exciter rapidement (« tu bandes, tu te branles » résume un des hommes interrogé par l'auteur). La centralité sur la masturbation empêche les hommes hétérosexuels de découvrir d'autres zones érogènes, comme la prostate par exemple. Le sexe anal est ainsi perçu comme une pratique uniquement homosexuelle, et donc repoussoir, ce qui empêche au final les hétéros de découvrir de nouveaux plaisirs corporels.

Du côté des fantasmes porno, on retrouve cette focalisation hétéro sur le pénis à travers « l'imaginaire viril d'un corps vigoureux et pénétrant qui prédomine ». Les corps des femmes doivent être conquis et possédés, et il semble inenvisageable aux personnes interrogées qu'une femme puisse dominer sexuellement un homme.

Enfin, pour ces hommes blancs des classes moyennes et supérieures, la virilité ne doit pas être réduite uniquement à son aspect naturel, elle doit aussi être civilisée et se démarquer des autres virilités (noire, arabe, populaire) représentées dans le porno comme étant l'expression de la force physique brute, alors qu'en « contexte bourgeois, la masculinité hégémonique passe par la maîtrise intellectuelle du corps [...] ».

La consommation de porno : mauvais pour le couple, bon pour la camaraderie masculine

Cela peut paraître surprenant, mais le visionnage de pornographie participe à renforcer l'homosocialité masculine, c'est-à-dire le désir de se rassembler entre hommes. Il existe en effet plusieurs forums où se regroupent essentiellement des hommes hétéros de classe moyenne, « pour échanger des informations, des conseils et des opinions concernant l’histoire et l’actualité du porno ». F.Vöros y observe l'absence d'introspection critique concernant la norme hétérosexuelle masculine, ou le traitement de la question des violences sexuelles que subissent les travailleuses du sexe dans le cadre de tournages X.

En dehors de ces forums, parler de la pornographie entre hommes entretient les liens de « camaraderie hétéro masculine » : « associée à la bière, au foot, aux rires, à la fin de la journée de travail ou au départ en vacances, la sexualité est un thème de discussion parmi d’autres, qui permet de « se marrer », de « déconner » et de « se chambrer ».

A contrario, la consommation de porno est exclue du couple. Elle participe plus à « la satisfaction et la restauration du désir sexuel individuel que vers la coconstruction d'un désir conjugal ». En outre, c'est uniquement dans un rapport de séduction qu'il serait possible de parler à une femme de pornographie, mais bizarrement pas à sa propre compagne ou partenaire.

De manière générale spécifie l'auteur, « hétero ou gay, le couple monogame faut souvent mauvais ménage avec la pornographie ». Les hétéros monogames tendent plutôt à séparer strictement leurs fantasmes masturbatoires (« baiser ») de leurs relations sexuelles (« faire l'amour »). Par contre, dans la vie multipartenariale gay, «la production, le partage et le visionnage d’images homoérotiques tiennent historiquement une place importante dans la formation des sociabilités homosexuelles masculines ».

Hétéros et gays unis pour maintenir la domination masculine

Que disent les goûts personnels du porno sur notre identité sexuelle ? Pour F.Vörös, ce n'est pas en s'exposant à des images pornographiques que nous pouvons évaluer et révéler notre véritable identité sexuelle. L'auteur nous fait part notamment du témoignage d'une femme lesbienne qui prend du plaisir à visionner du porno d'hommes gay. « Les fantasmes, pratiques et identifications sexuels entretiennent en fait des relations complexes, plurielles et contingentes » affirme-t-il.

Néanmoins, les hommes hétérosexuels sont plus hermétiques à investir des fantasmes qui ne se conforment pas à leur identité sexuelle. Le porno « gay », « lesbien » ou mettant en scène des personnes racisé·es est sciemment évité, tout comme le porno mettant en scène des pratiques BDSM, urophile ou scatophile. L’hétérosexualité masculine ne se définit pas seulement par rapport à l’objet féminin désiré mais aussi par « rapport à soi-même en tant que sujet masculin désirant. Pour être un homme hétéro « normal », il ne suffit pas de visionner du porno hétéro « normal » : il faut surtout attester de sensations « normales », explique l'auteur.

Les hommes gays, cherchant des fantasmes exaltant la virilité pénétrante, vont s'orienter parfois vers la consommation de porno hétérosexuel dans lequel « la fonction du corps féminin de l'actrice est de permettre le rapprochement homoérotique des corps masculins de l'acteur et du spectateur ». Cette recherche de virilité hétéro va les pousser à adopter des comportements de solidarité avec les hommes hétéros, créer un sentiment de complicité masculine qui peut aller jusqu'à la critique des discours féministes et prendre parfois des tournures masculinistes. Les hommes gays interrogés seraient donc particulièrement attachés au « binarisme hiérarchique masculin/féminin », et ainsi en totale opposition au mouvement queer. Ce postulat remet en cause la théorie selon laquelle les hommes homosexuels occupent une position subordonnée à la masculinité hégémonique hétérosexuelle. Il existe en réalité un continuum de solidarités masculines nous dit l'auteur, qui définit plutôt la masculinité hégémonique sous l'angle adopté par Demetrakis Demetriou, qui la perçoit comme « un processus de coalition entre différentes pratiques de la masculinité, différentes et néanmoins animées par un même désir de conserver la domination masculine ».

Les fantasmes ont des conséquences sociales et politiques peu prises en compte

On ne sera guère étonné d'apprendre que les hommes hétéros des classes moyennes et supérieures n'ont quasiment pas de regard critique sur les rapports de domination en jeu dans leurs fantasmes pornos. F.Vörös nous explique qu'il y a une dissociation dans le discours des personnes interrogées, favorables à l'égalité femmes-hommes d'un côté, mais ayant des fantasmes marqué par la fétichisation des corps féminins et leur disponibilité d'autre part. En réalité, pour eux, l'égalité n'est pas possible dans la sexualité car la domination masculine y est naturelle : les femmes doivent être pénétrées, pas les hommes. Il n'y a aucune réflexion sur leur propre rapport à la violence. Chose qui ne surprendra pas les féministes, les hommes concentrent toute leur énergie à se défendre d'être des violeurs, plutôt qu'à mobiliser cette énergie pour la prévention des violences sexuelles masculines. L'auteur établit donc un constat alarmant : à cause de l'enfermement des hommes dans des normes hétérosexuelles et misogynes, il n'y a aucune prise de conscience que les fantasmes de domination « deviennent dangereux dès lors qu’ils participent de la non-prise en compte des besoins, des désirs, du bien-être et de l’intégrité physique, psychique et émotionnelle des femmes ».

Si les hommes hétéros ne réfléchissent pas (ou très peu) aux implications de leurs fantasmes sur le corps des femmes, les hommes gays eux ont peu de recul sur les conséquences sociales et politiques de leurs fantasmes sur les personnes racisées, notamment ceux concernant la figure du jeune de banlieue lascar. F.Vörös précise qu'il a été plus facile d'aborder ces questions de fétichisation raciale avec les hommes gays, qu'avec les hommes hétéros, avec qui il aurait été intéressant d'aborder la question de l'érotisation de la beurette.

Certaines personnes gays ont affiché un « racisme sexuel décomplexé » observe l'auteur. Il y a « un désir blanc de virilité ''lascar'' » qui se nourrit de « la transgression d'une norme de bon comportement bourgeois ». Si ces hommes prennent du plaisir à regarder des vidéos mettant en scène des hommes arabes, ou perçus comme tels, ils n'envisagent pas le moins du monde avoir des relations sexuelles avec eux. Cette fétichisation raciale accentue l'entre-soi entre hommes blancs gay, et rend difficile d'accès à des espaces homosexuels les hommes racisés, perçus comme « trop virils » (Noirs, Arabes, musulmans) ou « pas assez » (Asiatiques).

Le long chemin vers la déconstruction de la virilité

Comment interroger l'emprise de ces stéréotypes et les transformer ? Comment déconstruire la virilité et les représentations fantasmatiques des dominations de genre, de race et de classe ? F.Vörös avance plusieurs pistes, notamment celle d'une éducation publique à la sexualité et à ses représentations médiatiques, qui est quasiment inexistante aujourd'hui en France.

Par ailleurs, la suppression de la pornographie est une fausse bonne idée pour l'auteur car la censure touchera en priorité les représentations minoritaires de la sexualité qui sont importantes au moment d'expérimenter de nouveaux fantasmes qui sont moins centrés sur la pénétration et la domination masculine.

Il est urgent également que les consommateurs de pornographie écoutent les voix féministes, queers et antiracistes, celles notamment des travailleurs·euses du sexe, pour mieux comprendre les implications sociales et politiques que peuvent avoir leurs fantasmes.

Enfin, vouloir entreprendre un démantèlement de la masculinité hégémonique en ne s'attaquant qu'au porno semble être une entreprise vouée à l'échec. C'est à la société toute entière qu'il faut s'attaquer : tant qu'elle sera organisée par des inégalités de genre, de race et de classe, nos fantasmes seront influencés par cette réalité environnante. Ce changement ne sera possible qu'avec un engagement complet des hommes dans cette voie, et répétons-le, l'instauration d'une vraie politique de sensibilisation à l'égalité femmes-hommes et d'éducation aux sexualités, et ce dès le plus jeune âge.

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