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Billet de blog 26 juillet 2016

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Erdogan : le pire n’est pas toujours certain

Les nouvelles du jour en provenance de Turquie ne sont pas toutes aussi inquiétantes que les déclarations d'Amnesty sur des cas de torture et les mandats d'arrêts contre les journalistes.

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On n’avait jamais vu ça : de Sozcü à Yeni Safak (en suivant l’axe "laïcs"-"islamistes"), de Bir Gün à Milliyet (suivant l'axe gauche-droite), de Hürriyet à Sabah (suivant l'axe libéral-conservateur), les principaux titres de la presse turque se réjouissaient ce mardi matin de la même photo en une, et utilisaient presque tous l'expression : "sommet historique". On y voit le président de la République turque recevant, dans son fameux "palais", le lieder du parti nationaliste, celui du parti kémaliste, ainsi que le premier ministre et leader du parti au pouvoir. En doublon ou variante, on trouvait souvent une autre photo, celle-là véritablement historique, de la poignée de main entre Tayyip Erdogan et le leader du parti kémaliste, Kemal Kilicdaroglu. (Pour une revue des unes de ce 26 juillet, on pourra se rendre ici.)

Ce n'est certes pas la poignée de main entre Yitzhak Rabin et Yasser Arafat, mais à l'attention de nos lecteurs peu au fait de la politique turque, on pourrait comparer le choc produit par cette photo à celui que produirait une poignée de main entre Marine Le Pen et Daniel Cohn-Bendit. Et à ceux d'entre eux qui ne lisent la situation turque que selon la grille "laïcs" vs. "islamistes", on souhaite bien du courage pour expliquer cette photo. Elle nous renforce quant à nous dans l'idée que la partie se joue plutôt autour de l'enjeu démocratique.

A l'issue de cette rencontre, un conseil des ministres s'est tenu, après lequel le premier ministre a notamment annoncé que son parti et les deux partis d'opposition présents à la rencontre avec Tayyip Erdogan étaient convenus de reprendre les travaux de refonte de la constitution (encore en grande part héritée du coup d'Etat militaire de 1980), et qu'ils étaient déjà d'accord sur plusieurs points.

Décryptage immédiat : contrairement à ce qu'on peut lire trop souvent, et par exemple sur Mediapart, "le coup d'État du 15 juillet risque a de moins en moins de chance d'ouvrir la voie à l'abolition du régime parlementaire en faveur d'un régime présidentiel, dépourvu de tout système de freins et de contre-pouvoirs sur l’exécutif". Le mot compromis, qui est sur toutes les bouches, pourrait en effet bien signifier que les modifications de la constitution n'iront pas dans ce sens. Outre que le parti kémaliste et le parti nationaliste sont de fervents défenseurs du système parlementaire, Tayyip Erdogan lui-même ne cesse de parsemer ses interviews de références à la démocratie "parlementaire", qui a été sauvée et défendue par la réaction de la société turque face à la tentative de putsch.

Seule, mais immense, ombre au tableau : l'absence sur la photo du quatrième parti politique représenté dans ce parlement turc bombardé par les F-16 des putschistes le 15 juillet. Il s'agit du parti pro-kurde, mais aussi idéologiquement proche de Podemos ou Syriza. Le journal Gündem titre ainsi "Il n'y a pas de démocratie sur cette photo", et précise que "Le front national turc n'est pas la solution". Petite lueur tout de même : le premier ministre a annoncé que ce parti serait, "naturellement", associé aux travaux constitutionnels. Quant au parti lui-même, il a annoncé l'organisation de nombreux meetings dans les dix jours, dans toute la Turquie, "en évitant toute provocation".

On a envie de conclure, provisoirement bien sûr, sur la position politique du président Erdogan. Présenté un peu partout dans la presse occidentale comme en position de force extrême après la tentative de putsch, et en route vers une quasi-dictature, ces événements laissent plutôt à penser qu'il serait en position de relative faiblesse, par comparaison avec l'avant-15 juillet. En serrant la main de celui que ses partisans traitaient il y encore quinze jours de "traître à la patrie", quand ils ne lui faisaient pas "cadeau" de balles de revolver, Tayyip Erdogan montre, outre un sens politique évident, à quel point il est actuellement en recherche de nouveaux alliés, et à quel point il se retrouve isolé politiquement.

Trahi par ses anciens alliés des réseaux gülenistes, éloigné des modérés de son parti comme son ancien premier ministre ou l'ancien président de la république, soutenu mollement et sous sévères conditions par l'UE et le président Obama, tenu de garantir à son électorat la bonne marche d'une économie largement sous perfusion étrangère, et notamment occidentale, sa seule vraie force, mais elle est décisive, est ce peuple de partisans auquel il sait si bien parler. Que va-t-il leur dire à présent ?

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