GuillaumePostel (avatar)

GuillaumePostel

Idiot utile, forcément

Abonné·e de Mediapart

18 Billets

0 Édition

Billet de blog 28 juillet 2016

GuillaumePostel (avatar)

GuillaumePostel

Idiot utile, forcément

Abonné·e de Mediapart

Démocratie, Turquie et presse occidentale

Deux prises de position d'intellectuels turcs démocrates et favorables à l'Union européenne devant les commentaires occidentaux sur les événements en cours dans leur pays.

GuillaumePostel (avatar)

GuillaumePostel

Idiot utile, forcément

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mais avant, une de ces nouvelles qui donnent à réfléchir sur la situation actuelle en Turquie. A Aydin, ville de la mer Egée (175 000 habitants), le parti au pouvoir organisait, comme tous les soirs depuis la tentative de putsch et un peu partout en Turquie, un de ses rassemblements intitulés "Veilles de la démocratie". La maire, membre du parti d'opposition kémaliste, s'y est invitée avec 500 de ses partisans. La première réaction des partisans de Tayyip Erdogan a été de l'empêcher de monter à la tribune, déclenchant une vive échauffourée entre les deux camps. Sur l'intervention du chef de la police, du responsable local du parti au pouvoir et d'un maire d'une ville voisine, lui aussi membre du parti au pouvoir, la foule s'est calmée. Les deux maires sont montés à la tribune, saluant ensemble les participants au meeting, et "mettant fin à la tension". La maire kémaliste d'Aydin a pu lire son texte sur la défense de la démocratie après le putsch, et répondre aux réactions du public. Une des ces nouvelles qui me confortent dans l'idée que la Turquie n'est pas nécessairement vouée au destin qu'on lui prédit dans la plupart des commentaires de la presse occidentale.
Presse occidentale, donc. Les réactions de fascination/exécration face à "l'Ouest" ne sont pas nouvelles en Turquie, et remontent à l'Empire ottoman. Ces jours-ci, on en serait plutôt à l'exécration... Pour l'expliquer, il y a bien sûr les complotistes qui voient la main des Etats-Unis et d'Israël derrière la tentative de putsch, mais aussi la traditionnelle expression de la politique turque : "Le Turc n'a d'autre ami que le Turc". Toutefois le sentiment d'incompréhension est actuellement répandu bien au-delà des milieux nationalistes ou anti-occidentaux. C'est ainsi que deux intellectuelles turques, respectivement directrice générale et directrice de recherches du think tank d'Istanbul PODEM (Centre d'études sur la démocratie et les politiques publiques), ont publié un texte en anglais le 25 juillet où elles se posent la question à propos de la tentative de putsch : "Qu'est-ce que les médias occidentaux n'ont pas vu ?" ("What did the Western media miss?")
Elles précisent : "Une grande part des médias occidentaux et de leurs analyses ont manqué de respect et de confiance envers la société de Turquie, en minimisant un point essentiel qui est que ces gens n'accepteront plus jamais un changement de régime par la force." Commentant ensuite la façon dont de nombreux médias ont couvert la nuit du putsch, diffusant même de dangereuses fausses nouvelles ("Erdogan a demandé l'exil en Allemagne"), et remarquant que certaines opinions allaient jusqu'à regretter ouvertement l'échec du putsch, elles signalent l'apogée dans ce manque de respect envers les citoyens turcs qu'a constitué un tweet du New York Times parlant de "moutons" au sujet des partisans d'Erdogan descendus dans la rue à son appel pour s'opposer au putsch — ce titre a ensuite été modifié –, comme un résumé de cette "posture orientaliste" de l'Ouest envers la Turquie.
Elles commentent ensuite les réactions politiques et médiatiques venant de l'Ouest, en remarquant la sous-estimation de la solidarité nationale qui s'y est exprimée, et "l'impatience" avec laquelle celles-ci ont presque immédiatement viré aux mises en garde envers le pouvoir turc. Elles demeurent persuadées toutefois que "l'auto-critique prévaudra, et que les médias libres et indépendants de l'Ouest afficheront une approche plus nuancée dans les prochains jours."
Leur conclusion : "S'il n'y avait qu'une seule chose à souligner vigoureusement au sujet de cette expérience tragique , ce devrait être l'évolution de la dynamique sociale en Turquie, arrivée à un point où elle ne peut plus tolérer l'extermination de sa volonté et de sa liberté par la force. Voilà la signification essentielle que le reste du monde devrait voir et lire attentivement en faisant des commentaires sur la Turquie."
On lira aussi, mais en turc, l'édito d'Etyen Mahçupian, qui fut conseiller de l'ancien premier ministre, dans le quotidien de la branche modérée du parti au pouvoir, Karar, au titre provocateur : "Pourrions-nous devenir aussi stupides que l'Ouest le croit ?" Critiquant au départ le manque d'objectivité d'une presse occidentale qui n'interroge que des opposants résolus au parti au pouvoir et terrorisée par un monde musulman qu'elle ne voit plus qu'à travers Daesh, il interroge également la responsabilité de la dérive autoritaire du pouvoir et des médias qui lui sont proches dans le renforcement de la perception "orientaliste" que les opinions occidentales ont d'une Turquie qui serait "ontologiquement une handicapée de la démocratie". Sa conclusion "La Turquie possède une occasion réelle d'être puissante : si elle revient à la paix intérieure, à la communication transparente et aux sentiments démocratiques [sous-entendre "des premières années de pouvoir du parti de Tayyip Erdogan"]. Sinon, c'est l'orientalisme qui pourrait avoir raison…"

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.