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Billet de blog 15 février 2011

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Le cinéma documentaire

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Guy Baudon est réalisateur de films documentaires et enseigne le cinéma à l’IUT de Paris-Descartes.

Dans un texte original pour Infodoc, (http://www.clemi.org/fr/centre-de-documentation/infodoc/ © Centre de documentation du CLEMI –janvier 2010) il nous livre sa réflexion sur la place du cinéma documentaire, sur le dispositif qu’il suppose, et finalement sur le processus créatif à l’œuvre tout au long de la réalisation.

Guy Baudon a réalisé en 2008 « Le Pari d’Angélique », documentaire qui suit le parcours d’une jeune championne de billard et filme son engagement physique et mental, ses interrogations et ses choix. Il revient dans le texte ci-dessous sur ses partis pris de réalisateur.


LE CINÉMA DOCUMENTAIRE

  • Aux origines du cinéma…

On peut dire que les tout premiers documentaires courts (ils ne dépassaient pas une minute) sont les vues des opérateurs Lumière. La question était : où est-ce que je mets la caméra pour qu’il se passe quelque chose ? Mieux, il leur arrivait de faire jouer des personnes pour favoriser l’action. C’est ainsi que les ouvriers des usines Lumières se tenaient prêts derrière la porte fermée pour sortir dès que celle-ci s’ouvrait et que la caméra tournait. On sait aussi que Louis Lumière avait mis en scène quelques membres de sa famille pour la célèbre « Entrée du train en gare de la Ciotat ».

Dès les origines du cinéma, il y a mise en scène documentaire : le réel est au service de la prise de vue qui dépend ici d’un cadre (fixe) et d’une durée (courte).

  • La caméra change tout

Je voudrais insister ici sur cette présence de la caméra au tournage. Parfois, on nous dit à propos d’un événement ou d’une situation passée : « Ah si tu avais été là avec une caméra !». Eh bien si j’avais été là avec une caméra, il se serait probablement passé autre chose et je devrais remettre en scène la situation pour en dégager le vécu des protagonistes. La présence de la caméra n’est pas anodine. Elle fabrique entre celui qui filme et celui qui est filmé une relation tout à fait spécifique. Celui qui met en scène et celui qui est mis (se met) en scène ont tous deux bien conscience que la parole et l’image qui vont surgir du plan n’ont rien de privé ou d’anodin. Elles sont faites pour être vues et entendues sur un écran. Il s’agit donc bien, dès le tournage de construire pour le futur spectateur un espace cinématographique qui n’a rien à voir avec l’espace réel. Quand je filmais Angélique, je pensais cadre, échelle et durée du plan, au service d’une écoute, laquelle devait être rendue visible sur un écran.

  • Recomposition du réel

Le documentaire est donc une construction. Le réalisateur n’enregistre pas du réel comme une caméra de surveillance, mais il le filme avec un point de vue. Il perturbe les règles habituelles, afin d’ouvrir des portes, au-delà des simples visibilités et des clichés. Certes, il s’appuie sur le réel que sont les personnes, les situations, les décors. Il ne crée pas ex nihilo comme peut le faire la fiction. Un peu comme dans un jeu de lego : les pièces sont là mais il faut les réorganiser autrement pour créer des formes nouvelles, c’est à dire de nouvelles manières de voir et d’appréhender le monde. Sous le réel apparent, il va tenter d’ouvrir dès le tournage et par le montage, d’autres tiroirs, cachés, invisibles, peut-être insoupçonnables à première vue. Sinon il ne ferait que reproduire indéfiniment ce qu’il voit. Ce que font les réalisateurs médiocres : se contenter de constater le vraisemblable, l’acceptable, le « connu de tous » en le dramatisant. N’est-ce pas souvent le cas de ces nouveaux erzasts formels que sont les docu-fictions ? Bien sûr la télévision doit informer le spectateur. Mieux vaux, pour le journaliste disposer du maximum d’informations. Mais pour en faire quoi ? Là commence le travail : celui du documentaire et de toute démarche de création (et de pensée) qui s’efforce de reconstruire, d’inventer, de repenser le monde.

  • Donner à voir : quoi, comment ?

Quelle devait être la forme cinématographique pour Le pari d’Angélique ? La réponse à cette question était liée à une autre question, antérieure et primordiale : qu’est-ce qui me touchait dans cette histoire ? qu’est-ce que je cherchais? Une des choses qui m’ont frappé chez elle, c’était sa solitude, une sorte d’enfermement. Alors je me suis dit : je vais travailler là-dessus. Elle fait le vide autour d’elle et moi je ne ferai rien pour le remplir. Au contraire, je vais creuser ce vide. Donc elle sera le plus souvent seule dans tous les plans du film, je filmerai les entretiens avec elle, enfermée dans sa cuisine ou dans sa chambre en caméra fixe, je filmerai ses entraînements quand la salle sera inoccupée, le public des compétitions et même les joueuses qu’elle affrontera seront souvent plutôt hors-champ. Je filmerai une personne seule qui se bat pour réaliser un rêve. Et ce travail s’est évidemment poursuivi au montage : je voyais bien que le film se focalisait totalement sur elle et j’ai eu un peu peur : comment allait réagir le spectateur face à un personnage qui avance seul, envers et contre tout, sans savoir où tout cela va conduire, en excluant plus ou moins les autres ?

  • La place donnée au spectateur

J’ai bien conscience de laisser le spectateur en manque et ce manque sera d’autant plus fort que, dans le même temps, Angélique doit le toucher, l’émouvoir, le concerner. Sans cela, le manque ne serait pas vécu comme une tension mais comme un malaise. Angélique devait devenir un personnage attachant pour que son pari, son rêve ne soit pas vide de sens. Creuser cet écart entre sa présence (forte) et ses choix (risqués) ; ne rien faire pour le combler. Faire en sorte que mon personnage existe émotionnellement sans être le sauveur. Situation d’autant plus risquée que ma démarche allait à l’encontre des diffuseurs et du Modèle véhiculé par les télévisions qui ne cessent précisément de combler et de conforter le spectateur dans une attitude de consommateur plutôt passive.

  • Du documentaire de création (ou cinéma documentaire)

Il y a bien à mes yeux une différence de nature entre ma conception du documentaire et la plupart des reportages ou de ce à quoi on donne le nom de « documentaire » à la télévision. Pour moi, le documentaire qu’on appelle parfois « documentaire de création » ou « cinéma documentaire » est lié à un désir, un point de vue, celui du réalisateur : désir de comprendre ce qui l’entoure, d’aller à la rencontre de l’autre. La question est bien : pourquoi je filme ? Qu’est-ce qui m’intéresse dans cette histoire ? Qu’est-ce que je cherche ? Le film doit être la réponse « en cinéma » comme dirait Gilles Deleuze. C’est un chemin, un parcours forcément singulier où s’invente la forme particulière du film. Celle par exemple du Pari d’Angélique : tourner en plan-séquence, faire percevoir la durée, être au plus près du personnage, épouser son rythme, saisir ses doutes… Avec ce présupposé : si je creuse ce qui m’importe, moi, dans cette histoire, j’ai des chances de toucher le spectateur, mon égal.

  • Un processus de création

Ce travail du cinéaste documentariste s’incarne dans les choses les plus concrètes et parfois les plus triviales. Pour une raison fort simple : il filme le visible, c’est à dire des personnes, des lieux, des moments. Mais ces réalités là, dans et par le film, vont devenir des personnages, des décors, du suspens et des surprises, une histoire captant intellectuellement et émotionnellement le spectateur. Quand je tourne, je filme bien des personnes réelles, mais dans le viseur de ma caméra, ces personnes deviennent des personnages et je sais très bien qu’au montage, je devrai me détacher de la réalité vécue au moment du tournage pour concentrer toute mon attention sur les images seules et tenter de découvrir ce qu’elles me disent, ce qu’elles me racontent. C’était la condition sine qua non pour que l’histoire d’Angélique touche des spectateurs qui ne la connaissent pas : est-ce que son histoire particulière va pouvoir devenir la leur ? Pour cela, il me fallait totalement oublier la personne « réelle » d’Angélique pour entreprendre dans le montage des images un voyage intérieur correspondant en fait à mon désir de film caché dans les images que j’ai tournées. Alors, à un moment donné et c’est un pur bonheur, le film peut naître et apparaître, tel le papillon qui sort de sa chrysalide.

Autrement dit, parti d’un réel bien concret, le film documentaire devient un objet fabriqué, une construction, une représentation. Au même titre qu’une sculpture, un tableau, un morceau de musique ou n’importe quel film de fiction. De ce point de vue, répétons-le, il n’a rien à voir avec une simple captation qui se contenterait d’enregistrer le réel. Il est l’œuvre d’un auteur.

  • Des films « sur » et des films « avec »…

Ce type de documentaire qu’on appelle « documentaire de création » a peu de rapport avec un reportage fouillé qui a sa propre logique. Il y a une différence de nature. Peut-être que je peux formuler cette différence ainsi : il y a des films « sur » et des films « avec ». Les films « sur » concernent le sujet, le thème : par exemple un film sur la compétition, les rêves ou la solitude des êtres aujourd’hui. Je vais donc enquêter, rencontrer des personnes concernées pas ce sujet et qui vont témoigner… Les autres, les films « avec », peuvent s’emparer de n’importe quel fait, sujet, thème, événement, personne et à partir de là s’y confronter, déconstruire et reconstruire un réel qu’on ne voyait pas et qui nous touche parce qu’on découvre qu’il nous concerne. En d’autres termes, les films « sur » sont plutôt de l’ordre de l’enregistrement et les films « avec » de l’ordre de la création. De ce point de vue, la télévision semble avoir choisi son camp : journal télévisé, « talk-shows », envoyé spécial, télé-réalité, docu-fiction et les dits « documentaires » (on nous dit qu’il y en a de plus en plus !) montrent le plus souvent ce qui est attendu : ils illustrent et ils confortent, même si on peut y apprendre des choses ! Il est peu question de déranger le téléspectateur, de créer du désordre pour se réapproprier le monde, d’apprendre ou de réapprendre à le penser. Le documentaire tel que nous l’entendons ne donne pas de réponses à un spectateur satisfait, mais le fait douter et l’invite à vivre avec ce doute.

  • Projet à suivre

Le projet sur lequel je travaille actuellement a pour base les dessins d’enfants victimes des guerres du XXème siècle. Titre provisoire : « J’ai dessiné la guerre ». Je dispose de 250 dessins. Je les regarde, je m’arrête devant chacun d’eux, et je me dis : qu’est-ce qu’ils me disent des enfants qui les ont dessinés et de moi qui aujourd’hui les regarde ? Quel film construire à partir de là ?

  • Précisions

Tout ce que j’écris s’inscrit dans une histoire et une filiation. Bien sûr celle du cinéma de fiction que je fréquente depuis mon adolescence et que je tente de transmettre auprès d’étudiants, mais aussi d’une Association de cinéastes documentaristes qui réfléchissent sur leur pratique : Addoc. Pour en savoir plus, vous pouvez visiter le site : http://www.addoc.net/

Où trouver les « documentaires de création » ? De moins en moins à la télévision. On peut en voir certains en salles de cinéma. Aujourd’hui, de nombreuses bibliothèques et médiathèques se spécialisent, dans l’achat de ces films documentaires sur support DVD. « Images en Bibliothèques » est une Association au service des bibliothécaires de l’image, qui organise chaque année au mois de novembre : Le mois du film documentaire. Le site de l’Association : http://www.imagesenbibliotheques.fr/

Texte de Guy Baudon. Décembre 2009 (Présentation et intertitres Bruno Rigotard)

  • Eléments bibliographiques fournis par Guy Baudon

« Cinéma documentaire, manières de faire, formes de pensée » Edité par Addoc/Yellow now. Paroles et débats entre cinéastes documentaristes.

« Le style dans le cinéma documentaire » Ed. L’Harmattan, collection cinéma. Contributions de cinéastes et de chercheurs.

« L’hypothèse cinéma » de Alain Bergala Ed. Cahiers du cinéma, collection Essai. Sur la transmission du cinéma à l’école et ailleurs… Une approche du cinéma, fiction ou documentaire, sous l’angle de l’acte de création.

« Le cinéma » de Youssef Ishaghpour, Ed. Farago. L’auteur montre, dans ce petit livre remarquable, la puissance du cinéma, à la fois magie de l’image et révélation de la réalité.

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