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Billet de blog 15 mars 2025

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La rose de Jericho

Critique du livre de Louise Devise : La rose de Jéricho. Editions Maurice Nadeau

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Je viens de lire « La rose de Jéricho ». Quel choc, quelle histoire ! Louise Devise ne se contente pas de deviser : elle décrit au scalpel ses années d’existence, avec une rigueur et un engagement qui nous mettent face à face avec ce qu’elle a subi. Elle avance  les mains nues, seule pour défricher, sans concession, son chemin de vie. J’ai souvent pensé à Ingmar Bergman en la lisant (« Scènes de la vie conjugale » )

Cette vérité qui se dégage du texte atteint le lecteur que je suis : comment une telle violence est-elle possible au sein d’un couple, de telles souffrances supportables ? Le livre nous permet d’y pénétrer par la description du vécu de Louise, accompagnée par les interrogations (en italiques dans le texte) qui donnent à ce vécu singulier une dimension universelle et existentielle.

En même temps,  celles-ci sont si précises, si justes, si vraies qu’elles permettent au lecteur l’accès à l’indicible ! Hors langage. Dans l’inter-dit des mots.  Notre désir de savoir, de comprendre, d’analyser, l’autrice en montre la nécessité, les bienfaits mais aussi les insuffisances qui peuvent être radicales. Comme l’exprime si bien Rilke cité dans le livre : il importe de s’en tenir aux questions, et même de les aimer : « Ne vivez que de vos questions. Peut-être simplement en les vivant, finirez-vous par entrer insensiblement, un jour, dans les réponses. ». Que peut-on attendre d’un roman si ce n’est de poser les bonnes questions, d’engager le lecteur sur un chemin dont les réponses possibles, mais toujours fragiles, dépendent de lui.

Quand j’ai commencé la lecture j’ai été surpris par l’autrice qui parle d’elle sous la forme du « tu ». Comme si elle se dédoublait. Heureux choix justifié. Aujourd’hui, Louise n’est plus celle qu’elle était. Le « tu » permet la distance, la possibilité d’un regard posé sur une histoire vécue et extrêmement douloureuse. Ce n’est pas un « moi » qui s’exprime (dont on est abreuvé sur les réseaux sociaux…) mais un « Je » fait de désir, de prise de conscience liée au fait même d’écrire permettant les vraies questions humaines humanisantes ou déshumanisantes.

J’aime aussi les liens entre l’histoire de Louise et l’histoires de bien d’autres femmes qu’elle a rencontrées et enregistrées. Le fait d’enregistrer n’est pas là simplement pour se souvenir des mots précis, mais conscientes d’être enregistrées, leur parole se fait précise, engagée, débordée par l’émotion, les souffrances qu’elle libère et que le corps exprime. On n’imagine pas l’enregistreur caché ; il lui est possible d’enregistrer car il y a une vraie relation entre Louise et ces femmes.


A l’heure présente où les femmes dénoncent - à juste titre - les violences qu’elles subissent « La rose de Jéricho » est une oeuvre majeure qui engage lecteurs et lectrices à dialoguer, à échanger, à coopérer et qui sait… à s’aimer ?

Guy Baudon
Mars 2025

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