La chasse aux conflits d'intérêts pour préserver l'intérêt général est une réforme qui ne coûte pas cher et pourtant on n'arrête pas de l'enterrer, de la différer, de l'enliser dans les méandres de la production législative et règlementaire en France. Parmi les nombreuses sources de conflits d'intérêt potentiels, je propose d'en examiner aujourd'hui un aspect en particulier en l'illustrant par l'exemple du député qui est à la croisée du public et du privé, de l'intérêt général et de l'intérêt particulier et je prendrai l'exemple de JF Copé, dont la logorrhée (=flux de paroles inutiles, besoin irrésistible de parler) a été particulièrement illustrée lors du débat avec François Hollande de la semaine dernière. Comme c'est également quelqu'un qui donne des leçons à tour de bras, quel meilleur exemple peut-on trouver pour illustrer un propos sur cette thématique ?
En lisant le livre de Martin Hirsch dont j'ai déjà parlé antérieurement qui lui même rapporte des propos recueillis dans un autre ouvrage ( S. de Royer et F. Dumoulin, Copé, un homme pressé), nous apprenons que cet homme, parlementaire, alors responsable du groupe parlementaire de la majorité à l'Assemblée nationale (2007 à 2010), aujourd'hui secrétaire général du parti UMP (depuis 2010), était aussi salarié d'un grand cabinet d'affaires "pour s'oxygèner", "pour garder un pied dans la vraie vie" et ce à raison semble t-il de 20 000 euros par mois pour un temps partiel. Et pas l'ombre d'un doute, d'une hésitation, d'une interrogation sur la portée d'un tel cumul, criant d'incompatibilité. Cette assurance des bien nés qui considèrent que chez eux, la morale et la vertu sont innées.
Mes questions:
- être salarié, à temps partiel, dans un cabinet d'affaires qui ne traite pas par exemple de la constitution d'une sas pour un entrepreneur individuel, serait donc la vraie vie ?
- la qualité intrinsèque de la culture, du raisonnement, de l'analyse juridique seraient donc les seuls motifs pour ce cabinet de s'attacher les services de JFC? On imagine aisément que JFC doit rédiger ses consultations juridiques la nuit entre 2h et 4h du matin? Est -il injurieux ou diffamatoire de penser et de dire qu'un ancien secrétaire d'Etat au Budget (2004-2007), qu'un des "patrons" de la majorité, au courant de tous les projets gouvernementaux, qui dispose d'une capacité d'influence et d'intervention sont les seules qualités susceptibles d'interesser un cabinet de ce type pour drainer et attirer une clientèle qui paiera cher les services rendus ? Et qu'on se trouve dans une forme insidieuse et masquée de lobbying aggravé et d'une incompatibilité absolue?
Le rôle du député est de faire des lois et de contrôler l'executif. C'est une tâche immense, noble qui nécessite réflexion, engagement, assiduité, disponibilité, compétence technique, sens aigu de l'intérêt général et vision. C'est un travail à plein temps, incompatible me semble t-il avec toute autre fonction ou mandat.
Il serait envisageable que les fonctions salariées ou l'exercice professionnel en liberal, s'ils sont antérieurs au mandat d'élu puissent être maintenus mais je pense que l'exigence d'assiduité et d'engagement est suffisamment forte pour rendre ce cumul totalement et organiquement incompatible. De surcroît, à un moment ou au autre, émergera la potentialité d'un conflit d'intérêt.
Le cumul avec un mandat local, maire par exemple, me paraît tout aussi critiquable car le maire agit localement et on attend du député qu'il soit la réprésentation de sa circonscription pour faire coincider, à travers le contrôle de l'éxécutif et la production législative, l'intérêt général et non pas l'intérêt particulier de sa circonscription. Ce cumul est fatalement source de conflits d'intérêts. S'assurer que les spécificités de sa circonscription soient connues et prises en compte dans la mesure de l'intérêt général. S'assurer que les lois votées soient pertinentes, que l'objet de la loi réponde bien aux exigences d'une loi et non pas d'un décret ou d'un règlement, qu'un dispositif de mesure d'impact soit chaque mis en place et exploité. Que le dispositif législatif soit bien codifié, articulé de manière à ne conduire, comme c'est le cas aujourd'hui à une forme d'insécurité ou d'incertitude juridique. Le problème du député n'est donc pas le rond point, les prébendes et faveurs locales. Le député représente les électeurs de sa circonscription qui est une et constitutive de l'ensemble dans laquelle elle se fond. C'est véritablement un travail à plein temps. Ce qui n'interdit pas au député de retourner dans sa circonscription pour écouter et expliquer. Bien au contraire!
Alors on va nous dire: mais on ne peut pas demander à quelqu'un d'abandonner ses activités, de renoncer à ce qu'on a construit (et gagné), c'est la porte ouverte aux fonctionnaires, etc... Que d'arguties cache sexe! Il faut revaloriser la fonction de député, ce n'est pas un gadget, ce n'est pas un tremplin de pouvoir, ce n'est pas un job de lobbyiste, c'est la représentation nationale qui mérite autre chose que ces petites visions mercantiles. Ou alors, il ne faut pas se présenter et rester dans le métier qu'on aime tant puisqu'on ne peut pas s'en séparer. A la réflexion, je dirais que le seul métier qui me paraîtrait compatible avec le mandat de député est celui d'enseignant dans le supérieur où la profondeur de réflexion sur les questions juridiques, macro-economiques, écologiques, scientifiques etc... dont devrait pouvoir se prévaloir tout député pourrait utilement complèter les enseignements plus académiques qui sont dispensés dans l'enseignement supérieur. Or précisément, c'est un métier qui est interdit au député. Que le monde est bien fait!
Mes suggestions:
- a priori, aucun cumul sauf cas particulier à trancher par une commission de déontologie, indépendante et forte ,
- déclaration et contrôle effectif de tous les intérêts, directs et indirects, des revenus,
- exigence absolue d'assiduité et de présence effective à l'assemblée, sous peine de sanction,
- encadrement strict du lobbying, un député ne peut pas recevoir au sein du Parlement des lobbyers, sauf en séances ouvertes à tous les députés, ou à des commissions ce qui transforme donc le lobbying en une information sur des professions, des activités, des questions susceptibles d'éclairer les choix des députés,
- inéligibilité de 10 ans en cas de manquement aux règles de probité, de déclarations incomplètes ou mensongères sur le patrimoine, les revenus, les intérêts directs ou indirects.
JFC n'est pas le seul, il y en a bien d'autres, de tous bords. Trop dur, trop radical ? Je ne crois pas, la démocratie ne doit pas être corruptible, la transparence a un prix, la représentation nationale n'est pas un boulot de VRP (je respecte les VRP).