La déclaration des "droits de l'homme", votée le 26 août 1789 s'ouvrait sur cet article : "tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits".
A l'époque sur 7 millions de Français en âge de voter, 4 millions seulement pourront le faire. Ne peut voter quiconque n'est pas assujetti à "une imposition fiscale" représentant le prix de trois journées de travail. La séance du 22 octobre à la Constituante a été marquée par une protestation très vive de l'abbé Grégoire. Robespierre qui voulait soutenir Grégoire ouvrait son intervention sur un constat directement déduit de la Déclaration des Droits de l'Homme : " Tous les citoyens, disait-il, quels qu'ils soient, ont le droit de prétendre à tous les degrés de la représentation". Le Courrier national indique qu'aussitôt des "cris" s'élevèrent "d'une partie de l'Assemblée", si nombreux, si bruyants qu'ils ont forcé M.Robespierre à se taire". Le Journal de Paris relate ; "On a vu promptement qu'il allait parler pour les pauvres qui, n'ayant rien, ne peuvent rien"..."on lui a coupé la parole". Le 29 octobre, la constituante complétera les précautions auxquelles tient sa majorité en posant pour condition à l'éligibilité le paiement d'une contribution au moins égale à "un marc d'argent", et en même temps, la possession d'une "propriété foncière". Robespierre commence à voir clairement ce qui s'accomplit dans cette Révolution. Il écrit à Buissard (un "pays", il est avocat à Arras) : l'objet et le résultat du mouvement révolutionnaire ne saurait être d'"élever l'aristocratie des riches sur les ruines de l'aristocratie féodale".
La chute de la royauté le 10 août 1792 a rendu caduque la Constitution monarchique adoptée en 1791 et la mission de la Convention est de doter la France d'une nouvelle constitution. En février 1793, Condorcet propose, au nom des Girondins, un projet qui renforce le pouvoir exécutif et celui des propriétaires, et la Convention adopte le 29 mai 1793 une déclaration dont l'article 17 stipule : " le droit de propriété consiste en ce que tout homme est maître de disposer à son gré de ses biens, de ses capitaux, de ses revenus et de son industrie".
Robespierre s'insurge contre une telle définition qui favorise ceux qui veulent accroître toujours plus leurs propriétés au détriment de celle des autres. Pour lui, ce projet girondin farorise les riches et oublie les devoirs de fraternité qui unissent tous les hommes et toutes nations.
Robespierre avait lui-même, dès le 21 avril 1793, proposé son propre projet de déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen devant le club des Jacobins qui l'avait adopté. Il le présentera (malheureusement en vain) devant la Convention le 24 avril, en insistant sur les quatre articles qu'il propose (6, 7, 8 et 19) concernant le droit de propriété qu'il veut limiter. C'est à cette occasion qu'il déclare à l'Assemblée : "Il ne fallait pas une révolution sans doute pour apprendre à l'Univers que l'extrême disproportion des fortunes est la source de bien des maux et bien des crimes".
Déclaration des droits de l'Homme et du Citoyen formulés par Maximilien Robespierre en 1793
ARTICLE PREMIER : Le but de toute assosiation politique est le maintien des droits naturels et imprescriptibles de l'homme, et le développement de ses facultés.
ART.2. Les principaux droits de l'homme sont ceux de pourvoir à la conservation de l'existence et de la liberté.
ART.3. Ces droits appartiennent également à tous les hommes, quelle que soit la différence de leurs forces physiques et morales. L'égalité des droits est établie par la nature; la société, loin d'y porter atteinte, ne fait que la garantir contre l'abus de la force, qui la rend illusoire.
ART.4. La liberté est le pouvoir qui appartient à l'homme d'exercer à son gré toutes ses facultés; elle a la justice pour règle, les droits d'autrui pour bornes, la nature pour principe, et la loi pour sauvegarde.
ART.5. Le droit de s'assembler paisiblement, le droit de manifester ses opinions, soit par voie de la presse, soit de toute autre manière, sont des conséquences si nécessaires du principe de liberté de l'homme, que la nécessité de les énoncer suppose ou la présense ou le souvenir récent du despotisme.
ART.6. La propriété est le droit qu'a chaque citoyen de jouir et de disposer à son gré de la portion de biens qui lui est garanti par la loi.
ART.7. Le droit de propriété est borné, comme tous les autres, par l'obligation de respecter les droits d'autrui.
ART.8. Il ne peut préjudicier, ni à la sureté, ni à la liberté, ni à l'existence, ni à la propriété de ses semblables.
ART.9. Tout trafic qui viole ce principe est essentiellement illicite et immoral.
ART.10. La société est obligée de pourvoir à la subsistance de tous ses membres, soit en leur procurant du travail, soit en assurant les moyens d'exister à ceux qui sont hors d'état de travailler.
ART.11. Les secours indispensables à celui qui manque du nécessaire sont une dette de celui nqui possède le superflu. Il appartient à la loi de déterminer la manière dont cette dette doit être acquittée.
ART.12. Les citoyens dont les revenus n'excèdent point ce qui est nécessaire à leur subsistance, sont dispensés de contribuer aux dépenses publiques ; les autres doivent les supporter progressivement selon l'étendue de leur fortune.
ART.13. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique, et mettre l'instruction à la portée de tous les citoyens.
Remarques : La déclaration des droits de l'homme finalement adoptée par la Convention a repris presque textuellement (art.21 et 22) les articles 10 et 13 proposés par Robespierre, mais elle a refusé les articles 11 et 12.
ART.14. Le peuple est souverain ; le gouvernement est son ouvrage et sa propriété ; les fonctionnaires publics sont ses commis. Le peuple peut, quand il lui plait, changer son gouvernement et révoquer ses mandataires
Par "fonctionnaires publics" il faut entendre "élus". Pour Robespierre, l'exercice de la citoyenneté n'est pas intermittent c'est à dire limité au temps d'une élection, mais doit être permanent
ART.15. La loi est l'expression libre et solennelle de la volonté du peuple.
ART.16. La loi doit être égale pour tous.
ART.17. La loi ne peut défendre que ce qui est nuisible à la société ; elle ne peut ordonner que ce qui lui est utile.
ART.18. Toute loi qui viole les droits imprescriptibles de l'homme est essentiellement injuste et tyrannique ; elle n'est point une loi.
ART.19. Dans tout Etat libre, la loi doit surtout défendre la liberté publique et individuelle contre l'autorité de ceux qui gouvernent. Toute institution qui ne suppose pas le peuple bon et le magistrat corruptible est vicieuse.
ART.20. Aucune portion du peuple ne peut exercer la puissance du peuple ; mais le voeu qu'elle exprime doit être respecté comme le voeu d'une portion du peuple qui doit concourir à la volonté générale. Chaque section du souverain assemblé doit jouir du droit d'exprimer sa volonté avec une entière liberté ; elle est essentiellement indépendante de toutes les autorités contituées, et maîtresse de sa police et de ses délibérations.
Pour Robespierre, les minorités ont le droit de se faire entendre et participent à la vie démocratique.
ART.21. Tous les bons citoyens sont admissibles à toutes les fonctions publiques, sans aucune distinction que celles des vertus et des talents, sans aucun autre titre que la confiance du peuple.
ART.22. Tous les citoyens ont droit à concourir à la nomination des mandataires du peuple et à la formation de la loi.
ART.23. Pour que ces droits ne soient point illusoires et l'égalité chimérique, la société doit salarier les fonctionnaires publics et faire de la sorte que les citoyens qui vivent de leur travail puissent assister aux assemblées publiques où la loi les appelle, sans compromettre leur existence et celle de leur famille.
Dès 1789-90 Robespierre avait réclamé l'indemnisation des citoyens qui participaient aux assemblées publiques légales (telles les opération électorales ou les séances municipales)
ART.24. Tout citoyen doit obéir religieusement aux magistrats et aux agents du gouvernement, lorsqu'ils sont les organes ou les exécuteurs de la loi.
ART.25. Mais tout acte contre la liberté, contre la sûreté ou contre la propriété d'un homme, exercé par qui que se soit, même au nom de la loi, hors des cas déterminés par elle, et des formes qu'elle prescrit, est arbitrel et nul ; le respect même de la loi défend de s'y soumettre ; et si l'on veut l'exécuter par la violence, il est permis de le repousser par la force.
ART.26. Le droit de présenter des pétitions aux dépositaires de l'autorité publique appartient à tout individu ; ceux à qui elles sont adressées doivent statuer sur les points qui en font l'objet ; mais ils ne peuvent ni en interdire, ni en restreindre, ni en condamner l'exercice.
Ce droit de pétition a été repris par la Convention mais sans l'obligation d'y donner suite.
ART.27. La résistance à l'oppression est la conséquence des autres droits de l'homme et du citoyen.
ART.28. Il y a oppression contre le corps social lorsqu'un seul de ses membres est opprimé.
Il y a oppression contre chaque membre du corps social lorsque le corps social est opprimé.
ART.29. Lorsque le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs
Dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen décrétée en 1793 par la Convention, les articles 21, 22, 27, 28, et 29 proposés par Robespierre ont été repris dans pratiquement les mêmes termes.
ART.30. Quand la garantie sociale manque à un citoyen, il rentre dans le droit naturel de défendre lui-même ses droits.
ART.31. Dans l'un et l'autre cas, assugetir à des formes légales la résistance à l'oppression est le dernier raffinement de la tyrannie
ART.32. Les fonctions publiques ne peuvent être considérées domme des distinctions, ni comme des récompenses, mais comme des devoirs publics.
ART.33. Les délits des mandataires du peuple doivent être sévèrement et facilement punis . Nul n'a le droit de se prétendre plus inviolable que les autres citoyens
ART.34. Le peuple a le droit de connaître toutes les opérations de ses mandataires qui doivent lui rendre un compte fidèle de leur gestion et subir son jugement avec respect.
ART.35. Les hommes de tous les pays sont frères et les différents peuples doivent s'entre-aider, selon leur pouvoir, comme les citoyens d'un même Etat.
ART.36. Celui qui opprime une seule nation se déclare l'ennemi de toutes
ART.37. Ceux qui font la guerre à un peuple pour arrêter les progrès de la liberté et anéantir les droits de l'homme doivent être poursuivis non comme des ennemis ordinaires mais comme des assassins et des brigands rebelles
ART.38. Les rois, les aristocrates et les tyrans quels qu'ils soient sont des esclaves révoltés contre le souverain de la terre qui est le genre humain et contre le législateur de l'univers qui est la nature.
Il suffit de lire et de relire cette Délaration pour se convaincre non seulement de ses audaces, mais des rêves qu'elle peut encore susciter 220 ans plus tard par sa recconnaissance du droit à l'existence, du droit au travail, du droit à l'instruction et bien sûr du fameux droit de résistance à l'oppression qui peut aller jusqu'à légitimer l'insurrection contre un gouvernement violant les droits du peuple.
Et enfin, la Constitution de la Cinquième République n'étant pas immortelle voilà matière à reflexion pour élaborer la Constitution de la Sixième République.