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Billet de blog 24 mai 2013

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PERDRE AVEC LA DOXA.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

François Ruffin- Quand tu vois qu'on fonce dans le mur du chômage depuis trente ans, que tous les pays aux alentours foncent dans le mur...Après la crise de1929, le président américain Roosevelt énonçait une phrase du genre :"écoutez, vu notre situation, il faut tenter des choses, ça va peut être pas marcher, on leur dira que ça n'a pas marché et à ce moment-là on essaaiera autre chose". Mais là, on n'essaie rien. On continue. Or, il y a un devoir d'essayer. C'est coupable.

Frédéric Lordon- Tu veux dire c'est honteux.

F.R- Parce que là, Hollande, c'est tout son parti qu'il envoie dans le mur...

F.L.-Ah ça oui ! En 2007, ils vont sortir et se faire sortir en guenilles !

F.R.- On voit où ça va. Economiquement, il me semble qu'on voit où ça va. Socialement, on voit où ça va; Et politiquement, on voit où ça va : ils vont se prendre des vestes, des taules.

F.L.- C'est au delà de la taule. Tu comprends, que le PS sorte sous les épluchures, rien de tragique. Mais c'est qu'il y a autre chose derrière. En général, mieux vaut pas trop se livrer aux exercices hasardeux de la prévision, mais je me demande s'il n'est pas d'ores et déjà une chose qu'on puisse annoncer à coup sûr, à savoir le FN au deuxième tour en 2017.

F.R.- Ne serait-ce que par cynisme, ou par calcul électoral, les socialistes pourraient se dire : le changement d'orientation, c'est maintenant.

F.L.- Mais non, justement : le cynisme suppose la lucidité, et c'est ce qui les a complétement abandonnés. Les oligarques socialistes sont maintenant intellectuellement si convaincus de la justesse du mode de pensée néolibéral qu'ils en deviennent incapables de penser quoi que se soit d'autre, et tous les inconvénients collatéraux que tu viens de mentionner ne sont que des déboires transitoires à verser au chapitre des grandeurs et misères de la responsabilité d'homme d'Etat. Tu connais bien ce discours : le patron qui licencie, il est courageux, c'est du courage de licencier. Eh bien de même, Hollande est courageux, il est "responsable" d'imposer l'austérité à la population française. C'est ça maintenant la nouvelle logique de ces individus-là. Dans ces conditions, tout autre chose leur semble le comble de l'irréalisme, de l'irresponsabilité.

F.R.- C'est à dire : le dogme avant tout. Mieux vaut perdre avec la doxa que gagner contre la doxa.

F.L.- C'est presque pire que ça : il n'y a rien en dehors de la doxa ! D'ailleurs, on ne voit même plus qu'elle est une doxa. Hors de la doxa faite vérité, il n'y a plus que la folie. La folie, c'est le truc qui revient en permanence dans leur langage. Faire défaut sur la dette, c'est de la folie. User de l'inflution, c'est de la folie, contrôler les capitaux, nationaliser tout ça, c'est de la folie - ou de 'l'archaïsme".

Dans l'ordre des grandes révolutions symboliques, ou des grandes conversions de regards à mettre à l'ordre du jour, il y a celle qui porte sur le partage du réalisme et de l'irréalisme. Car ce qu'il faut dire, c'est que l'irréalisme est de leur côté, eux qui s'arrogent le monopole du réalisme. Le comble de l'irréalisme c'est eux ! Considérer qu'ils vont s'en tirer avec leurs solutions, c'est ça le dernier degré de l'irréalisme. Et d'un irréalisme qui n'est pas simplement un degré de mon esprit halluciné, mais qui est l'enseignement même du résultat de deux ou trois décennies de politiques économiques, et dont on pourrait tout de même tirer quelques leçons. C'est de rompre avec leur pensée qui est le réalisme -et l'urgence. Voilà le genre d'inversion, ou plutôt de remise des choses sur leurs pieds, qu'il faut produire dans la conscience commune. Il y a du travail, hein ?

F.R.-Je lisais un livre sur Pétain. En 1940, il y a tout un discours dans la presse à ce moment-là sur le "courage" qu'il y a à signer l'armistice, contre la "lacheté" de ceux qui veulent continuer le combat. On a l'impression d'assister à la même inversion de langage : il y a aujourd'hui le "courage" de ceux qui plient devant la finance, et il y a la lâcheté, l'irréalisme, la folie de ceux qui prétendent tenir tête.

F.L.- Il y aurait un travail à faire de recensement systématique de toutes ces inversions de langage. Dans l'ordre de ces paradoxes lexicaux, je mettrais en bonne place cet argument qui consiste à dire que "rédiure la dette et le déficit, c'est le moyen d'^tre indépendant". Ce qui signifie : pour gagner l'indépendance, il faut se jeter aux tréfonds de la dépendance des marchés financiers, et tout leur céder ! C'en est une belle,celle-là, n'est-ce pas ?

Mais finalement la meilleure, je me demande si ça n'est pas celle qui consiste à persister, contre toute logique, contre toute évidence, à appeler la "gauche" le Parti socialiste, alors qu'il est manifestement une composante de la droite.

Je crois que nous vivons une époque intellectuellement déréglée, et que le travail de rectification à opérer est immense.

Telle est la conclusion de Vive la banqueroute, Fakir Editions

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