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Billet de blog 24 août 2010

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SALAIRES SOCIALISES, DIFFERES, COTISATIONS

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un nouveau système s'est mis en place qui abolit massivement le travail. Il restaure les pires formes de domination, d'asservissement, d'exploitation en contraignant tous à se battre contre tous pour obtenir ce travail qu'il abolit. Ce n'est pas cette abolition qu'il faut lui reprocher : c'est de prétendre perpétuer comme obligation, comme norme, comme fondement irremplaçable des droits et de la dignité de tous ce même travail dont il abolit les normes, la dignité et l'accessibilité. Il faut vouloir la mort de cette société qui agonise afin qu'une autre puisse naître sur ses décombres. Il faut apprendre à distinguer les contours de cette société autre derrière les résistances, les disfonctionnements, les impasses dont est fait le présent. Il faut apprendre à porter sur lui un regard différent, ne plus le penser sur ce qu'on a ou n'a pas, mais comme ce que nous faisons. Il faut vouloir nous réapprendre le travail.

La diminution progressive du volume du travail socialement nécessaire a accentué cette évolution et aggravé la désintégration de la société. Qu'elle prenne la forme du chômage, de la l'entreprise" a trouvé l'arme absolue, imparable : la volatilisation, l'individualisation, la discontinuité du travail, son abolisation massive, son insécurité pour tous.

Le message a changé : de qu'importe le travail, pourvu que la paye tombe à la fin du mois, il est devenu : Qu'importe le montant de la paye, pourvu qu'on ait l'emploi . Autrement dit soyez prêts à toutes les concessions, humiliations, soumissions, compétitions, trahisons pour obtenir ou conserver un emploi, car qui perd un emploi perd tout.

Tel est sinon le sentiment général, du moins le message du discours social dominant. Il exalte la centralité du travail, présente celui-ci comme un bien, autant dire comme une marchandise rare, comme un bien pour la possession duquel il faut être prêt à des sacrifices. Comme un bien pour la création duquel -car désormais ce n'est pas le travail qui crée la richesse, c'est la richesse (celle des autres) qui crée le travail- les "créateurs de travail", c'est à dire les employeurs, le patronat, les actionnaires méritent les encouragements et la reconnaissance de la nation, les subventions, incitations et dégrèvements du fisc.

Le travail : un bien, l'emploi : un privilège. Privilège de plus en plus rare car le travail va manquer et, quel que soit vos compétences, vous risquez d'en être privé avant longtemps. Enorme supercherie : il n'y a pas et il n'y aura plus jamais assez de travail (rémunéré, stable, à plein temps) pour tous, mais la société, en fait le capitalisme, qui n'a plus besoin et aura de moins en moins besoin du travail pour tous, s'en va répétant que ce n'est pas elle, la société, oh que non ! c'est vous qui avez besoin de travail. Qu'elle va se donner du mal, beaucoup de mal, pour vous trouver, procurer, inventer du travail, du travail dont elle-même pourrait se passer aisémant mais dont vous avez un besoin absolu.

Merveilleuse invention : ce n'est plus celui ou celle qui travaille qui se rend utile aux autres, c'est la société qui va se rendre utile en vous "permettant" de travailler, en vous donnant ce bien précieux, le travail afin d'éviter autant que possible que vous en soyez privé. La société qui s'étonne et s'indigne quand celles et ceux qui ont le privilège de travailler, prétendent, les ingrats, discuter ou même refuser les conditions de travail de plus en plus contraignantes qu'on leur impose pour un salaire de plus en plus faible.

"GENERATION X" OU LA REVOLUTION SANS VOIX

Face à la société de travail qui s'effondre, le problème se situe à la lisière du culturel et du politique. Il faut que les mentalités changent pour que l'économie et la société puissent changer. Mais inversement, le changement des mentalités et le changement culturel ont besoin d'être relayés et traduits par des pratiques et un projet politique pour acquérir une portée générale et trouver une expression collective capable de s'inscrire dans l'espace public. Aussi longtemps qu'il n'a pas trouvé son expression publique et collective, le changement des mentalités peut être ignoré, tenu pour Wassily Leontieff résumait la situation par cette métaphore : Quand la création des richesses ne dépendra plus du travail des hommes, ceux-ci mouront de faim aux portes du paradis à moins de répondre par une nouvelle politique du revenu à la nouvelle situation technique. Leontieff ne précisait pas à quelle nouvelle politique du revenu il pensait mais Jacques Duboin avait déjà indiqué en 1931 la porte de sortie et Marx en 1857 (dans les Grundisses que Duboin ne pouvait connaître, ils n'ont été publiés qu'en 1953) : La distribution des moyens de paiement devra correspondre au volume des richesses socialement produites et non au volume du travail fourni. René Passet le dit en une formule lapidaire : Ce que nous considérons aujourd'hui comme redistribution secondaire deviendra distribution primaire. Parce qu'il résulte de systèmes intégrés "hommes-machines-organisation" dans lesquels la contribution propre à chacun n'est plus mesurable, le produit national devient un véritable bien collectif. La question de la distribution ne se pose plus en termes de justice commutative mais de justice distributive. La distribution des moyens de paiement ne sera plus un salaire mais ce que Duboin déjà appelait un revenu social . Celui-ci ne correspond plus à la "valeur" du travail (c'est à dire aux produits nécessaires à la reproduction de la force de travail dépensé) mais aux besoins, désirs et aspirations que la société se donne les moyens de satisfaire.

Elle suppose la création d'une autre monnaie non thésaurisable que Passet à la suite de Duboin appelle monnaie de consommation. Pensée jusqu'au bout de ses implications, l'allocation universelle d'un revenu social suffisant équivaut à une mise en commun des richesses socialement produites. René Passet le dit clairement quand il parle de produit national comme d'un véritable bien collectif produit par un travail collectif dans lequel il est impossible d'évaluer la contribution de chacun. Le principe du "à chacun selon son travail" en devient caduc. Au travailleur collectif tend à se substituer un sujet virtuel fondamentalement différend à mesure que le travail immédiat de transformation de la matière est remplacé comme force productive principale par le niveau général de la science et son application à la production, c'est à dire par la capacité des individus sociaux de tirer parti de la techno-science et de la mettre en oeuvre par l'auto-organisation de leur coopération et de leurs échanges. La revendication d'une allocation universelle inconditionnelle et suffisante met en relief le non-sens d'un système qui réalise des économies de temps de travail sans précédent mais qui fait du temps de travail ainsi libéré une calamité parce qu'il ne sait ni le répartir, ni répartir les richesses, ni reconnaître les valeurs intrinsèques du loisir et du temps pour les activités supérieures. (Marx)

Comprenons bien : le salariat doit disparaître et le capitalisme avec lui. Pensé jusqu'au bout de ses implications et de ses conséquences, la société non basée sur le travail salarié n'est pas un aménagement de la société, c'est une rupture, une société autre. Pour que celle-ci se mette en place et pour que la multiactivité se développe, il ne suffira pas que la société en ait créé le cadre juridique, ni que l'entreprise ait fait sauter le verrou de l'emploi. Il faudra encore qu'elle s'organise dans ce but par un ensemble de politiques spécifiques, que le temps et l'espace social soient aménagés de manière à signifier à chacun que tous attendent de tous qu'ils cumulent ou alternent une pluralité d'activités et de modes d'appartenance. Que la norme est que chacun appartienne ou puisse appartenir à une entreprise coopévative d'autoproduction, un réseau d'échange de services, un groupe de recherche et d'expérimentation scientifique, un orchestre ou une chorale ....etc.

Source : Misères du présent, Richesse du possible, André Gorz, Edition Galilée, 1998

Sa lecture vous rendra les idées plus claires que celles de mon billet.

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