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-Noël BABEUF, dit Camille, puis Gracchus (1760-1795)
[29 ans en 1789]

Né à Saint-Quentin le 23 novembre 1760.
Babeuf naquit en Picardie, fils d’un commis des gabelles, ancien déserteur amnistié, et d’une servante. Il écrivit plus tard « Je suis né dans la fange. Je me sers de ce mot pour exprimer fortement que j’ai reçu l’être sur les durs degrés de la misère. » C’était vrai, et il lui fallut beaucoup de volonté pour débuter dans la vie. Il fut clerc de notaire, domestique, puis commis chez un arpenteur. Chargé de famille, il vivota avant de devenir, à partir de 1784, commissaire à terrier, c’est-à-dire salarié des seigneurs picards pour surveiller leurs terres et faire valoir leurs droits sur les paysans. Cette situation lui fit prendre conscience du caractère intolérable du système féodal. « Ce fut dans la poussière des archives seigneuriales que je découvris les mystères des usurpations de la caste noble… »
Autodidacte, Babeuf lut avec attention les grands penseurs de l’époque. Il fut influencé par les théoriciens de l’égalité : Rousseau, Mably et Morelly furent annotés par lui. En 1785, il entra en contact avec Dubois de Fosseux, le secrétaire de l’académie d’Arras, et échangea avec lui une longue correspondance, où il commença de développer ses idées politiques et, déjà, économiques. Il y avançait dès 1787 l’idée de fermes collectives. La brochure d’un utopiste, Collignon, l’Avant-coureur du changement du monde entier par l’aisance, la bonne éducation et la prospérité générale de tous les hommes, l’inspira malgré ses naïvetés. Ainsi il écrivait en 1787 : « Avec la somme égale de connaissances maintenant acquises, quel serait l’état d’un peuple dont les institutions seraient telles qu’il règnerait indistinctement entre chacun de ses membres individuels la plus parfaite égalité ? Que le sol qu’il habiterait ne fût à personne, mais appartînt à tous. Qu’enfin tout fût commun, jusqu’au produit de tous les genres d’industrie ? »
Venu à Paris en juillet 89, il assista aux premiers massacres, ceux de Foulon et Berthier, et fut consterné par leur violence, tout en en saisissant la source avec une extrême lucidité. « Je comprends que le peuple se fasse justice. Mais pourrait-elle aujourd’hui n’être pas cruelle ? Les supplices de tous genres, les écartèlements, la torture, la roue, les bûchers, le fouet, les gibets, les bourreaux multipliés partout nous ont fait de si mauvais cœurs ! » écrivit-il à sa femme… Il publia un Cadastre perpétuel, dont le remettait en cause les bases mêmes de la société et de la propriété. « Les lois sociales ont fourni à l’intrigue, à l’astuce et à la souplesse les moyens de s’emparer adroitement des propriétés communes. » Il proposait comme remède un redécoupage égalitaire des terres. Au même moment il s’écriait aussi « Il serait dur de dire, et même de penser, que toutes les classes d’habitants qui n’ont pour subsister que des salaires ne forment point une partie intégrante de la population qui constitue la nation » et dénonçait le problème de la baisse des salaires due à la concentration de la propriété.
Il commença également à publier dans les journaux, ce qui lui valut deux mois de prison, à la Conciergerie, en mai et juin 90. Marat prit sa défense et il fut bientôt libéré. Il retourna en Picardie, mais en 91, à Montdidier, il fit circuler une pétition contre l’impôt indirect. Remis en prison, il bénéficia d’un tel soutien de toute la région qu’il sortit au bout de quelques jours. Il milita au club patriotique de Noyon, et dénonça obstinément le mensonge de la nuit du 4 août, qu’il appelait très justement « la prétendue abolition du régime féodal ». Il demandait l’abolition totale des redevances sans indemnité, et la confiscation des propriétés seigneuriales.
Après Varennes, il réclama la déchéance du Roi, et l’établissement d’un nouveau régime vraiment égalitaire. « Qui veut tenir à une égalité nominale, ? L’égalité ne doit pas être le baptême d’une insignifiante transaction. Elle doit se manifester par des résultats immenses et positifs, par des effets facilement appréciables et non par de chimériques abstractions, » écrivait-il alors, et aussi « Que le veto, véritable attribut de la souveraineté, soit au peuple, » prenant ainsi parti pour la démocratie directe. Il fut élu au conseil général du département de la Somme, en septembre 92, et au directoire du district de Montdidier. Accusé de faux en écritures, lors d’une adjudication de biens nationaux, il s’enfuit à Paris, et fut condamné par contumace par le Tribunal départemental de la Somme. Chaumette lui vint en aide et l’employa comme secrétaire dans l’administration des subsistances de Paris. Mais les administrateurs de la Somme obtinrent son emprisonnement. Thibaudeau le fit alors sortir de prison, et il collabora brièvement aux Révolutions de Paris. De nouveau emprisonné, il fut détenu à la Force puis à Sainte-Pélagie, avant d’être transféré à Laon pour être rejugé devant le tribunal de l’Aisne. Libéré quelques jours avant Thermidor, il reprit aussitôt le journalisme. Après avoir brièvement vilipendé, dans le Journal de la liberté de la presse, la mémoire de Robespierre, il fut un des premiers à réhabiliter l’Incorruptible, dès octobre 94. Le Tribun du peuple ou le défenseur des droits de l’homme, son nouveau journal qu’il éditait seul, parut alors sous le nom de Gracchus Babeuf, en souvenir des deux tribuns de la plèbe et réformateurs romains. Il portait en exergue l’article premier de la Déclaration des Droits de la Constitution de de 93 « Le but de la société est le bonheur commun. » Babeuf ne craignait pas de revendiquer Robespierre pour maître, bien qu’il ne l’eût pas connu personnellement. Il écrivait avec courage : « Il ne m’appartient pas d’avoir l’orgueil de disputer à Maximilien Robespierre l’initiative, dans la Révolution, du plan d’Egalité réelle, vers lequel il prouve, en cent endroits de ses ouvrages, que tendaient ses vœux uniques. Telle est la justice que j’ai cru devoir rendre à ce « tyran », dont l’Etat vient de faire vendre les dépouilles et les effets, qui se sont montés (…) à 300 livres numéraires ! »
Epouvanté par la terrible misère qui suivit, dans l’hiver 94-95, l’abandon brutal des mesures économiques de guerre, il développa de plus en plus la nécessité que le bonheur, promis par la Constitution, devienne la réalité de la République, et forgea une théorie du droit à l’insurrection. A cette occasion, Tallien prétendit qu’il était manipulé par Fouché, mais le fait n’a jamais pu être prouvé. Arrêté, en février 95, pour « provocation à la rébellion, au meurtre et à la dissolution d l’Assemblée Nationale, » il alla de prison en prison, à Arras et à Paris. Il y rencontra des proches de Robespierre, survivants de Thermidor : Darthé, Buonarroti, les Duplay. Libéré en octobre par l’amnistie qui suivit la séparation de la Convention, il reprit son journal et milita au Club du Panthéon, proche de l’ancien Club des Jacobins et dénommé « Réunion des Amis de la République », bientôt fermé par le Directoire. Il se réclamait à nouveau du « robespierrisme » et attaquait l’œuvre des thermidoriens. « Osons dire, écrivait-il, que la Révolution, malgré tous les obstacles et toutes les oppositions, a avancé jusqu’au 9 thermidor, et qu’elle a reculé depuis. » Le 9 frimaire an IV (30 novembre 95) parût le Manifeste des Plébéiens, où il écrivait que le seul moyen d’obtenir l’égalité était « d’établir l’administration commune, de supprimer la propriété particulière et d’attacher chaque homme au talent, à l’industrie qu’il connaît, de l’obliger à en déposer le fruit en nature au magasin commun et d’établir une simple organisation de distribution. » Il polémiquait violemment contre Duval, en dénonçant le faux-semblant qu’était devenu le terme de République sous le régime thermidorien. « Vous ne paraissez réunir autour de vous que des républicains, titre banal et fort équivoque : donc vous ne prêchez que la république quelconque. Nous, nous rassemblons tous les démocrates et plébéiens, dénominations qui, sans doute, présentent un sens plus positif : nos dogmes sont la démocratie pure, l’égalité sans tache et sans réserve. »
Il se déclarait également partisan d’une totale égalité de l’homme et de la femme, et de l’accès des femmes aux droits politiques.
Babeuf, avec ses nouveaux amis, monta la Conspiration des Egaux. Ce devait être la dernière tentative de la Révolution Française de rétablissement d’un régime populaire. Il s’agissait de renverser le Directoire par l’insurrection, de chasser les deux Assemblées et de redistribuer les terres. Cela devait se faire dans le cadre d’une « dictature révolutionnaire » temporaire, calquée sur le modèle du Comité de Salut Public de l’an II. Ensuite serait mis en place un régime véritablement démocratique. En mars 96 (le 10 germinal an IV exactement) fut créé un Comité Insurrectionnel, ou "Directoire secret de salut public", et un réseau d’agents révolutionnaires fut mis en place en province. Le complot reçut le soutien de députés, comme Lindet et Drouet, ainsi que d’anciens conventionnels montagnards, notamment Amar et Vadier. Mais les chefs tergiversèrent, et le complot fut dénoncé par un agent du Directoire, Georges Grisel. Barras fit arrêter tout le monde le 21 floréal an IV (10 mai 96).
Jugé devant un tribunal d’exception, la Haute-Cour de Vendôme, Babeuf fut, avec Darthé, condamné à mort le 7 prairial an V (26 mai 97). Il se poignarda sans réussir à se tuer, et fut porté mourant à l’échafaud. Dans sa dernière lettre à sa femme et à ses enfants, il écrivait en guise d'adieux : « Je ne concevais pas d’autre manière de vous rendre heureux que par le bonheur commun. Adieu pour jamais, je m’enveloppe dans le sein d’un sommeil vertueux. »