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Billet de blog 20 août 2015

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Koré et le vigile

Il m'a dit qu'il s'appelait Koré, un jour que je lui avais demandé son nom. C'est du moins ce que j'avais entendu… Ça fait assez longtemps que je le croise en allant au supermarché du quartier. Lorsqu'il n'est pas assis devant l'entrée, il fait les cent pas, interminablement. Visage buriné par le dehors, comme celui d'un globe-trotter. Sa casquette, la même depuis que je le vois, est ravagée par le soleil et la pluie.   

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Il m'a dit qu'il s'appelait Koré, un jour que je lui avais demandé son nom. C'est du moins ce que j'avais entendu… Ça fait assez longtemps que je le croise en allant au supermarché du quartier. Lorsqu'il n'est pas assis devant l'entrée, il fait les cent pas, interminablement. Visage buriné par le dehors, comme celui d'un globe-trotter. Sa casquette, la même depuis que je le vois, est ravagée par le soleil et la pluie.   

Mais tiens, aujourd'hui, il n'y est pas, sur son bout de planche - qui penche un peu – posé, d'un côté, sur le socle de la grille d'enceinte, et de l'autre sur une amorce de muret. Par contre il y a ses affaires : un sac plastique avec quelques objets improbables, et un vieux caddie de toile défoncé, juste à côté. Le soleil tape comme c'est pas permis ! En entrant, la fraîcheur du magasin climatisé m'inciterait presque à le maudire, ce sacré soleil.

Allez, vite fait : beurre, lait, huile… et puis quoi d'autre encore ? Ah oui ! Des œufs. Je galope jusqu'à la gondole, je lève les yeux… Koré, devant le rayon de charcuterie orientale, est en train d'examiner un paquet de beignets de poulet, enrobés d'une sauce qui doit être bigrement pimentée, vu sa couleur rouge comme le feu. Il a l'air de s'interroger. Il scrute à l'entour et me voit. Je m'approche, le salue ; il me montre l'étiquette, elle est en effet à moitié effacée. Je pense qu'il veut s'assurer du prix : il n'est que midi moins le quart… alors, hein, combien peut-il avoir récolté dans sa sébile… Moi je lis, sur l'étiquette, 1,70 € et je le lui dis, lentement, pour qu'il comprenne bien… Il a une réaction de découragement, comme si il me disait : "c'est trop cher, je ne peux pas…" En même temps, il ouvre la main dans laquelle se trouvent au plus quatre ou cinq pièces de vingt centimes d'euro. Alors je lui donne la différence, et peut-être un peu plus.

- Merci.

Je le laisse. A ce moment fond sur lui le vigile, un black géant, dans un costume noir rutilant, brillant comme une peinture métallisée de bagnole qui sort de la chaîne de fabrication.

- Non, non !… allez !… on sort, là, on est parti !...

Ton péremptoire, du haut de ses un mètre quatre-vingt-dix. Koré le regarde bouche bée. Moi aussi.

- On ne demande pas comme ça de l'argent aux clients du magasin.

Koré ne sait pas que répondre ; a-t-il seulement compris ce que l'athlète lui dit ?... Son regard se tourne vers moi ; pas besoin de traduire, c'est une prière  : viens à mon secours.

Mézigue, je me plante devant le colosse et lui renvoie, calmement :

- Monsieur ne m'a rien demandé ; c'est moi qui ai voulu l'aider. De plus, sachez qu'il n'importune jamais personne. Cela fait des mois que nous le voyons devant ou dans le magasin, et personne n'a jamais à s'en plaindre.

- Bon, d'accord, répond le vigile, mais il faut qu'il fasse vite.

Et il le piste à travers le magasin...

Voilà qu'il sort, Koré, tandis que je passe à la caisse.

En passant le portillon piéton, je le vois, sous le cagnard, en train de remiser ses pauvres achats dans le caddie explosé. Mais je ne vois pas de bouteille d'eau. Je lui demande :

-Vous avez de l'eau, Koré ?

Il hausse les épaules, en tournant le regard de côté… Je lui refile une de mes bouteilles.

- Merci… merci pour aussi dans le magasin (sic)

Il s'enfile d'un trait au goulot presque un tiers de la bouteille d'eau d'un litre et demi.

Je m'éloigne, tandis qu'il se remet à faire les cent pas, en trimballant son regard tout autour, ce regard tourné vers rien, ce regard plein d'absence et d'exil.

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