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Billet de blog 1 décembre 2014

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Le nucléaire: petite histoire d'une décision malheureuse

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

samedi 1 novembre 2014

13:27

Lors de la dernière réunion  des amis du Blog de Paul Jorion, nous avons eu un débat improvisé sur la pertinence ou  non du nucléaire civil et a dévié  sur la filière oubliée( en Europe) du thorium. J'y ai promis de fournir quelques informations et références pour que chacun puisse se faire une opinion.

J’ai obtenu mon diplôme d'ingénieur physicien en 1966. A cette époque, passionné de science-fiction, je fus   particulièrement impressionné par  Isaac Asimov qui disait en substance que bien des  avancées technologiques décrites dans ses romans deviendraient une réalité à condition que l'humanité dispose de sources d'énergie abondante et sures et bon marché. C'était aussi l'époque  du développement rapide du  nucléaire dans tous les pays technologiquement avancés, bref à la fin des "Golden Sixties"  le progrès semblait ne devoir jamais s'arrêter.

Par mes études, j'étais au courant de l'existence de plusieurs filières nucléaires concurrentes: les réacteurs graphite gaz, à l’eau lourde, à l’eau sous pression ainsi que la filière plus exotique celle au sel fondu de thorium. La technologie à eau pressurisée s'imposa définitivement dans le courant des années 70  La cause était donc  entendue.

 Lorsque le débat sur le nucléaire a enflammé la société après l'accident de Tchernobyl, très proche des écologistes, j'étais  convaincu que les risques associés nucléaire l’emportaient sur les bénéfices.  A cette époque je coordonnais des projets de recherche européens sur la gestion des risques majeurs tant naturels qu'industriels. Devant les rapports de plus en plus alarmants du GIEC sur le réchauffement climatique, il semblait raisonnable de  réévaluer  l'impact du nucléaire qui ne produit pas ou très peu  de CO2.  En me documentant sur les risques nucléaires, j'ai redécouvert  un peu par hasard la filière thorium  évoquée par un média américain en 2006 à l'occasion de la mort du professeur Alvin Weinberg ancien directeur de l' Oak Ridge national Laboratory et inventeur de la filière au thorium. On y faisait allusion aux mérites de cette filière: plus sûre, moins polluante. Ou était donc l'erreur?

 J'ai donc  tenté d'en savoir plus mais à  mon grand étonnement aucun jeune physicien nucléaire n'avait entendu parler des réacteurs au thorium!  Pis, lorsque  le lobby pro-nucléaire s'est  récemment organisé  en Belgique pour défendre son industrie et ouvrir un débat avec le public toutes mes questions sur le thorium ont été ignorées voir: http://www.forumnucleaire.be/fr/forum/technologie-nucleaire.  J'ai pris ma retraite l'année suivante j’ai arrêté mon investigation  et me suis consacré à un projet de recherche sur les risques climatiques  en Afrique.

En mars 2011 le drame de Fukushima  a semblé sonner le glas du nucléaire rejeté sans appel par l'opinion publique européenne, mes amis écolos triomphaient particulièrement en Allemagne. Ce qui était moins clair c'est que les industriels fournisseurs de centrales thermiques classiques  que ce soit  au gaz,  au pétrole,  au charbon ou pire encore  à la tourbe, triomphaient également -  pour chaque MW (méga watt) de puissance électrique produit à partir de sources renouvelables mais intermittentes, un MW de centrale classique doit être installé pour assurer la continuité de l'approvisionnement- et l'espoir de contrôler les émissions de gaz à effet de serre s'envolait. Dans les mois qui suivirent  lors d'une conférence  du cycle "talks at Google" un physicien affirme que ni Three Miles Island, ni Tchernobyl ni Fukushima  ne se seraient produits si les autorités américaines  avaient choisi de financer la filière thorium /sel fondus  plutôt que  celle de l’uranium / eau sous pression.. C'était en 2012 et en deux ans des centaines de documents et vidéos sont disponible sur le web. Je suggère les suivantes :

https://www.youtube.com/watch?v=yGhEdcwXxdE TEDx CERN Octobre 2014 en anglais

https://www.youtube.com/watch?v=Z0G8QxaYRds  TEDx Paris 2013 en français

http://www.thorium.tv/ pour ceux qui veulent approfondir

http://www.thoriumenergyalliance.com/ TEA conférence 2014, perspectives futures

 https://www.youtube.com/watch?v=TyyIE7dkKpw Talks at Google: Thorium

Que faut-il retenir?

 Quelques éléments :

  •  il y a 4 fois plus de thorium que d'uranium dans le monde et il est  disponible dans tous les continents.
  • Un réacteur au thorium est naturellement sûr : tout incident arrête la réaction sans dommage pour l'infrastructure.
  • Le réacteur au thorium est par sa nature même un surgénérateur, c’est-à-dire qu'il produit plus de matériau fissile qu'il n'en consomme.
  • Produit 100 fois moins de  déchets radioactifs que la filière uranium choisie et la durée de vie pour un retour à l’état initial est de 300 ans pour le thorium contre 200.000 ans pour l’uranium
  • Permet de brûler le plutonium de nos arsenaux de bombes et dans une moindre mesure d’autres déchets de la filière uranium.
  • Le kWh  produit par le thorium pourrait être 100 fois moins cher que celui produit par l’uranium.
  • Les réacteurs au thorium, contrairement  à l’uranium permettent de  gérer aisément une charge variable et pourraient donc travailler en tandem avec les énergies  renouvelables par nature intermittentes ( Alvin  Weinberg coupait son réacteur tous les vendredi soir !).
  • Il est possible  de miniaturiser un cœur de centrale au thorium  à la taille d’un conteneur et donc de créer un réseau ce centrales au thorium augmentant ainsi considérablement la fiabilité de notre infrastructure essentielle le réseau électrique et réduisant  les coûts de production,
  • Etc.

Ce qui me semble important c'est de comprendre (en plagiant un peu Paul Jorion ) "comment la vérité sur le nucléaire a été inventée".

Cette vérité a été établie par Richard Nixon qui par décret et dollars a décidé  en 1973 de financer la filière à eau pressurisée et donc abandonné le thorium. Pourquoi?

  •  Nous étions alors dans un contexte de guerre froide, la  US Navy  voulait construire rapidement  porte-avions et sous-marins à propulsion nucléaire.
  •  La science pour la filière thorium était établie mais  l'industrialisation allait prendre encore quelques années. 
  • L'industrie  qui  avait investi massivement dans l'enrichissement d'uranium pas utile  pour la filière thorium n'était pas favorable.
  • Les considérations sur la  sécurité, la prolifération et d'impact sur l'environnement n'étaient pas prioritaires
  • La filière thorium ne permet pas la production du plutonium, d’où la nécessité de maintenir l'autre filière pour la fabrication de bombes A et H
  •  

Aujourd'hui la situation est totalement différente.

  •  Le pic de production d'uranium devrait  être atteint  dans une dizaine d'années,
  • les considérations de prolifération et de sécurité sont devenues essentielles
  • les besoins en armement ont disparu;
  • le démembrement de l'arsenal nucléaire devient prioritaire,
  • les renouvelables ne pourront dans un avenir prévisible satisfaire le demande mondiale qui croît de façon exponentielle
  • il devient vital de réduire notre production de gaz à effet de serre.   

Mais l'industrie  nucléaire n'est pas  très favorable car elle fait aujourd’hui l'essentiel de son chiffre d'affaire  dans la production d'uranium enrichi. Les gouvernements qui ont décidé d'abandonner le nucléaire  auront  donc probablement beaucoup de mal à changer de cap sans parler des écologistes qui signeraient leur arrêt de mort politique 

Conclusion:

Il me semble que l'Occident est pris au piège de sa décision précédente et a peine à relancer le débat. Entretemps l'Inde et la Chine ont un plan thorium cohérent et pourraient devenir les leaders mondiaux dans ce domaine. Le processus de décision dans nos démocraties est peu rationnel et  rend difficile tout retour en arrière –principe de non répudiation- il est donc probable que la quatrième génération d’uranium / eau sous pression sera abandonné ( les barres d’uranium seraient remplacés par de pellets d’uranium pour réduire les risques de fusion du cœur et augmenter la performance)  La relance du nucléaire pourrait donc venir de la nécessiter de traiter les déchets et nos bombes, une façon douce   de lancer la filière thorium. Rendez-vous dans quelques années pour en discuter 

le document que j'ai préparé contient quelques graphiques utiles à la compréhension , si vous êtes intéressé, je vous ferez parvenir le document complet 

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