Pour sa 54è édition, le Forum de Davos, qui aura lieu du 15 au 19 janvier 2024, a choisi l'Intelligence Artificielle pour troisième thème de son agenda.
Le Forum prétend que l'AI est le remède miracle pour un monde en polycrise, dont le tableau clinique évoque un syndrome d'immunodéficience acquise suite à une dissémination virale du capitalisme dans chaque structure de la société.
Donc, quand le World Economic Forum annonce que l'AI pourrait « bénéficier à tous...en étant le moteur pour l’économie et la société à l'échelle mondiale », on flirte avec un charlatanisme que n'aurait pas manquer de dénoncer Molière.
Cette assomption sur la puissance de l'AI, qui serait la principale solution apte à résoudre les problèmes économiques et les problèmes sociaux, va à l'encontre de la citation d'Adam Tooze mentionnée dans le passionnant article de Romaric Godin sur la polycrise : « Ce qui rend les crises des quinze dernières années si désarmantes, c'est qu'il ne semble plus plausible de pointer une cause unique et, par conséquent, une solution unique.»
Cet article, je ne l'ai pas lu comme un historien, un professeur, un sociologue, un politique, un journaliste...mais avec une culture forgée par 20 ans d'industrie. Pour le comprendre, je l'ai donc abordé au travers des applications pratiques potentielles que j'imaginais.
Quand il faut résoudre une problématique, on sait qu'il ne sert à rien d'opter pour une solution de contournement façon de s'économiser l'effort d'une investigation approfondie. L'enquête doit tenir compte de la réalité pour mener à identifier aussi bien la cause racine que les facteurs contributifs.
C'est cet état d'esprit qui a permis par exemple au Japon de limiter les pertes humaines à 30 décès suite au récent séisme de magnitude 7,4 alors que le Maroc a pleuré en septembre 3 000 victimes suite à un séisme de 6,9.
Le facteur 100 qui sépare l'impact humain pour deux séismes de magnitude similaire s'explique par le diagramme en « arêtes de poisson », l'outil créé par Mr Ishikawa, pour explorer toutes les pistes d'une question ou d'un problème : Milieu, Mesure, Machine, Méthode, Matière ou Manpower.
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La même logique peut être suivie pour comprendre la différence d'impact qui sépare la France et la Hollande, incarnant respectivement l'échec et la réussite de la gestion du risque lié aux inondations.
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Le Journal de France 2 a pris cette semaine de la hauteur sur le sujet des inondations du Nord, grâce à...ses drones. En contrepoint de l'approche médiatique, regardons pour chacun des 6M ce que la France ne fait pas pour diminuer les impacts humains et matériels :
- 1 - METHODE : Depuis 10 ans, l'état ayant la volonté de se désinvestir de l'entretien des digues et du nettoyage des canaux, faut-il voir dans les inondations la conséquence de travaux d'entretien non réalisés, du fait de responsabilités mal définies.
- 2 - MATIERE : Malgré la prise de conscience du rôle essentiel des haies pour la rétention de l'eau pluviale, l'état poursuit le remembrement, et donc l'arrachage de kilomètres de haies, entre autre dans le cadre de la construction du Canal Seine -Nord Europe.
Etant donné la proximité de ces travaux (pointillés rouges) et des inondations (points rouges) dont la population dit qu'elle n'en a jamais connues de telles depuis 50 ans, on peut légitimement se questionner si les inondations ne sont pas liées à ce changement topographique majeur.
- 3 - MESURE : Il n'y a pas de cohérence entre la carte des zones inondables et les plans locaux d'urbanisme. La carte des inondations est un indicateur qui constate la catastrophe mais il n'y a pas d'indicateurs pour l'anticiper.
- 4 - MACHINE : En novembre, lors de sa visite dans le Nord-Pas-de-Calais, Emmanuel Macron évoquait la plus grande opération de pompage menée par la protection civile. Pareillement, France 2 vantait cette semaine les giga pompes capables de pomper 2 piscines olympiques / heure. S'enorgueillir de pareils records révèlent l'attitude attentiste et m'as-tu-vu des pouvoirs publics et non une attitude volontariste, plus laborieuse il est vrai, que demande la mise en oeuvre de mesures préventives.
- 5 - MANPOWER : Les inondations sont à l'origine de la désespérance, de la désolation et d'un sentiment d'impuissance de la population, à qui il n'est proposé que des solutions d'urgence comme un fonds de soutien ou une incitation à se résigner : « L'adaptation de notre pays au changement climatique suppose de repenser toutes nos habitudes » disait Emmanuel Macron en novembre. La solidarité ne remplace pas l'unité d'un pays comme les Pays-Bas qui en tirent une fierté d'avoir combiné les forces de chacun : géologues, ingénieurs, architectes, paysans, et bien sûr les professeurs pour avoir des élèves qui aspirent plutôt à calculer les impacts d'un changement topographique plutôt qu'à programmer un drone tueur....
- 6 - MILIEU : Au travers des quelques idées ci-dessus, on voit que la solution ne peut être que multi-factorielle et de longue haleine. L'AI est donc parfaitement inutile, pire elle retarde la mise en oeuvre de solutions efficaces en détournant l'intelligence vers le « réarmement ». Les maîtres du monde global cherchent-ils à faire de nous des fatalistes : « c'est le changement climatique ... ».
Pour réaliser ce projet d'envergure, on a besoin d'une ambition politique pour diminuer la gravité et la fréquence des inondations. Or, pour l'après inondations, Emmanuel Macron disait vouloir faire « simple et rapide ». Sa déclaration reflète sa culture néolibérale : une politique du moindre effort, la seule solution qui est sous-entendue est le nomadisme des habitants, conformément à la Bible du management de John Kotter.
De l'AI, Molière aurait peut-être écrit aussi que presque tous les hommes pourraient mourir de ce remède, et non pas de leurs maladies.
La solution se puise dans ce que l'humanité fait de mieux : observer, analyser, innover, s'échiner, s'obstiner.