Que ne suis-je allée au kindergarten apprendre auprès de nounous, à la petite blouse rayée blanche et bleue, la comptine « Le Lion et la Licorne », qui évoque le conflit quasi-mythique entre l'Angleterre et l'Ecosse, entre le Pouvoir et la Chimère :
Dans la ville, partout, le lion et la licorne combattait
Le lion battit la licorne gracile
On leur donna du pain : certains du noir, d'autres du blanc
Après la tarte aux prunes, on les chassa tambour battant
Alors, j'ai traversé le miroir pour suivre Alice dans ses aventures échiquéennes et rencontrer le roi au moment où il décrétait une pause, histoire de laisser au lion et à la licorne l'opportunité de se rafraîchir après que chacun fut allé au sol à peu près quatre-vingt-sept fois.
Pas très à l'aise entre ces deux grosses bêtes, le roi demandait à Alice de distribuer des parts égales puis les couper, chose fort difficile car ces parts ne cessaient de se recoller en faveur du lion, ce que la licorne trouvait fort injuste.

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Etant derrière le miroir, il me faut indiquer que toute ressemblance avec des personnages ou des évènements qui allaient réellement exister sur l'échiquier mondial n'est pas purement fortuite.
- Lewis Carroll a pu être inspiré par des évènements futurs, par exemple, quand l'ONU, dans le rôle du roi, a donné en 1947 le pouvoir à Israël de fonder un état, décrétant du même coup chimérique la Palestine.
- « De l'autre côté du miroir », écrit en 1871, pourrait aussi faire référence à la déclaration Balfour de 1917 (dont j'inclus ici un extrait) qui a posé la première pierre de l'état d'Israël ou plus exactement qui a distribué une terre avant de la couper, à condition de ne pas porter préjudice aux palestiniens.

Par les temps qui courent, fort heureusement, ai-je acquis quelques rudiments de non-sens sinon le monde n'aurait, à mon sens, pas de sens. Or, Jules Michelet, cité par Boris Cyrulnik, disait déjà « c'est dans les déserts de sens que naissent les sorcières ».
Tenez, pas plus tard que cet après-midi, je suis invitée par le président du Sénat et la présidente de l'assemblée nationale à une marche civique « pour la République et contre l’antisémitisme ».
Logiquement, l'idée d'une marche civique devrait être lancée par les citoyens et non initiés par les représentants de partis qui n'ont eu de cesse de vilipender le pouvoir de la rue, d'ignorer, de délégitimer ou d'interdire les manifestations populaires voire de brutaliser les manifestants avant de les condamner pour terrorisme (ex : écologie).
En tant que citoyenne, j'aurais également trouvé normal de choisir mes invités car je me retrouve conviée à ma propre manifestation « pour la République » par les champions du très anti-républicain 49.3 et « contre l’antisémitisme » par les record.wo.men des condamnations pour injures racistes et antisémites, bref voilà qui ressemble à une manifestation où l'on trouve en marge un bal de faux-culs et un banquet démocratique à l'accès défendu par les pique-assiettes.

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La confusion empire à chaque moment. Cette semaine, le gouvernement durcit les règles pour limiter l'immigration illégale mais ne condamne pas la violation de l'article 17 de la Déclaration des Droits de l'Homme quand la Cisjordanie est colonisée; Les uns ont le droit de se défendre mais pas les autres; Alors pourquoi s'étonner que Bibi refuse tout cessez-le-feu, quand il est écrit dans le Coran de ne pas convier l'ennemi à la paix alors que vous avez la supériorité ?
Dans une bataille de l'opinion comme celle qui fait rage, le pire qui puisse m'arriver est de me faire « couper » ce billet, ce qui est un moindre mal dans ce pays républicain qui a coupé beaucoup de têtes, pour n'avoir pas exprimé la doxa.
Mais l'histoire nous a appris que faire écho à la doxa peut se révéler encore plus dangereux. Ainsi, si en tant qu'individu, la présidente de l'Assemblée a tout à fait le droit de ressentir un amour inconditionnel, envers Israël, dans le secret de son coeur, c'est une bêtise politique pour une représentante de la république que d'évoquer un soutien inconditionnel, qui oblige pour le futur toute la nation. Et si manifester avec elle était faire écho à cette parole malheureuse et si, en manifestant, je m'engageais à manger mon chapeau en cas d'utilisation illégale de phosphore blanc ou de la bombe nucléaire, solution évoquée par le ministre de l'héritage israélien ?

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Victime de la malédiction qui plane sur les héritiers, ce ministre est en train de dilapider l'héritage merveilleux que d'autres hommes et femmes de confession juive ont transmis à l'humanité.
- Dans ce boucan ambiant, je pense à l'empreinte du Mime Marceau qui disait : « le mime doit apprendre à se contrôler et donner l’essentiel ».
- Face à ce militarisme forcené, je pense à Vercors, l'auteur de mon livre préféré : « Le silence de la mer ».
- Contre les aspirations actuelles au totalitarisme et au délire religieux, je m'oriente vers Spinoza, Levinas ou Hannah Arendt.
- Pour le courage politique, Simone Veil inspire les combats pour les causes justes d'aujourd'hui, c'est-à-dire contre les dévastations écologiques commises par les néolibéraux
- ...
- Quand je vois les journaux repasser les images de l'attaque du 7 octobre en ajoutant chaque fois plus de détails choquants, je regrette qu'Israël oublie cet héritage en matière de psychanalyse qui lui permettrait de prendre conscience que cette répétition du trauma induit une narcissisation des conduites dangereuses l'amenant à se lancer dans des aventures dont il ne paraît pas mesurer les risques : la dénégation, le refoulement, l’isolement cachent à Israël les dangers auxquels il s’expose. Avec des amis pareils, Israël n'a pas besoin d'ennemis.
En tant que bretonne, je pense que rien ne vaut une promenade sur la plage par temps de tempête pour chasser l'effroi. Les juifs de France seront sans doute plus attentifs aux paroles de Boris Cyrulnik : « La rencontre avec l’autre est le premier pas vers l’humanité ». Un pas pour la marche contre l'antisémitisme, un pas l'un vers l'autre.
Car il ne faut pas penser que rencontrer l'autre (juif ou non d'ailleurs) signifie « Kumbaya my lord » comme le racontent* un banquier palestinien et un entrepreneur israélien, lors d'une session qui s'est tenue le 19 janvier 2023, à Davos, sur le thème « Le bien de la paix : relancer l’économie palestinienne », et que je regrette, en tant qu'auteur de ce blog dédié à Davos, ne pas avoir portée à ton attention plus tôt, à toi lecteur.
Il est plus facile « de fréquenter les gens qui ont la même haine que soi ». Mais voilà ce qu'en disent ce palestinien et cet israélien :
« Au début, il y avait une suspicion mutuelle. Cela a pris du temps pour que nous puissions nous sentir à l'aise et faire confiance dans les bonnes intentions de l'autre et cette plate-forme (Davos) a offert aux deux parties un lieu de rencontre neutre où nous étions regardés comme si nous allions vraiment parler ensemble...actuellement les vents soufflés par les politiques sont contraires à la solutions de deux états, ce qui coûte la moitié du PIB de la Palestine... il faut protéger nos idéaux, nos valeurs démocratiques et le droit international...il faut de la compassion, de la confiance, un élan et des vibrations positives. »
Parce que pour aimer, il faut d'abord se respecter, pour lutter contre l'antisémitisme, il faut autoriser la liberté de s'exprimer sur les atrocités du gouvernement israélien, sans se faire automatiquement traiter d'islamogauchiste, l'insulte qui a remplacé le point Godwin pour ne pas répondre à son interlocuteur.
Fin de la manifestation immobile. C'était plutôt un sit-in, le temps de rêver à une manifestation genre art-street, avec Banksy, pour des opposants « same, same, but different ...and even better »

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