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Billet de blog 28 décembre 2024

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Haro sur la concorde

Petite mise au point sur ce joli mot qui a fait l’unanimité contre lui dans les médias. Le « Congourd 2024 », un terrible virus transmis par un livre à la con qui a engourdi le cerveau des « élites intellectuelles » françaises.

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Du latin « concordia », composé du préfixe « con- » (« avec ») et de « cor » (« cœur »), le mot « Concorde » pourrait prétendre au titre et à l'écharpe s'il existait un concours Word France.

Définissant une volonté de réconciliation entre deux parties adverses, la concorde est un concept grâce auquel la France a retrouvé une sérénité après des périodes historiques houleuses.

  • En 1801 : Grâce à l'accord entre le pape Pie VII et Napoléon Bonaparte, le Concordat visait à réconcilier l’Église et l’État français, après la Terreur, accord dont ont bénéficié le protestantisme et le culte juif.
  • En 1905 : Jean Jaurès saluait cette loi "heureuse" qui devait assurer la transition "de la laïcité comme idéologie militante à la garantie juridique de croire ou de ne pas croire". Celui qui déconsidère la concorde crache sur la laïcité.

Dans « Le Je-ne-sais-quoi et le presque-rien », Jankélévitch donne à la concorde le goût simple d'un premier baiser : « Les inspirations de la bienveillance sont éloquentes et ingénieuses, étant sagesse infuse, docte nescience et gnose du cœur. Mettons-nous bien d'accord, disent les marchands et les disputeurs décidés, précisément, à n'être pas d'accord. Et voici que la fièvre du malentendu tombe comme par enchantement; là où étaient la raideur, la bouderie stagnante et les regards en coulisse, voici que s'anime la généreuse concorde, liquéfiant toutes les complications, faisant fondre, comme il arrive dans les songes de la nuit, l'affectation, la gêne et le bluff. »

Au sujet des marchands et des disputeurs décidés à n'être pas d'accord, dans « L'homme révolté », Albert Camus en parle en ces termes : « A partir du moment où les lois ne font pas régner la concorde, qui est coupable ? Les factions. Qui sont les factieux ? Ceux qui nient par leur activité même l'unité nécessaire. La faction divise le souverain. »

Or, à l'issue du référendum du 16 septembre 1999, c'est bien de la volonté souveraine de l'Algérie qu'est née la concorde civile, mettant fin à près de 10 ans de guerre civile. Pourquoi la France ne veut pas envisager, à l'instar de Camus, la concorde civile algérienne comme un processus de maturation démocratique afin d'assumer la démesure d'une époque et de guérir « les cœurs empoisonnés » ? Un avilissement systématique de tout ce qui est algérien va à l’encontre de l’esprit de concorde et donc de la laïcité.

La transition suppose, pour Camus, « de bâtir des institutions de convalescence dans un pays qui n’est pas encore guéri. La paix ne procure aucune gloire, elle est sans évènement et sans hauts faits. Elle est simplement effort, tension intérieure pour s’arracher à la pulsion de mort que la guerre a réveillée en nous. Expérience fragile qui peut se traduire par une réaction de vengeance qui, faute d’une culture démocratique suffisante, perd de vue cette aspiration à la concorde. Ce qui conduirait à remettre en scène un régime autoritaire dont on voulait s’éloigner. Ainsi nous resterions le double de nos ennemis, faute d’avoir éliminé le poison de la haine. La paix suppose de prendre un chemin qui tourne le dos à la peur, à l’angoisse, au malheur né de la violence. »

En optant pour la concorde, l'Algérie a cherché à sortir de la simplification de la pensée des hommes. Pour ne pas être prise pour des contempteurs de la concorde et de la laïcité, conseillons donc à nos élites d'en faire de même en tournant sept fois autour de l’obélisque de la Concorde avant d'écrire cela :

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N°1 de la presse nationale française

« Le livre est interdit dans le pays de l'auteur et a sans doute valu à Gallimard d’être exclu du Salon du livre d’Alger. Le roman transgresse en effet un article de la charte pour la paix et la réconciliation nationale, qui interdit l’évocation des « blessures de la tragédie nationale », expression désignant la guerre civile qui opposa, de 1992 à 2002, des groupes islamistes à l’armée algérienne, et fit entre 60 000 et 200 000 morts et des milliers de disparus. »

#C'estJustePasJuste

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N°2 de la presse nationale française

« indésirable à Alger, prendre sa défense et dénoncer une « censure permanente et implacable »

#C'estJustePasJuste

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N°3 de la presse nationale française

« Le choix fort d'un roman interdit en Algérie parce qu'il évoque le tabou de la guerre civile des année 1990. »

#C'estJustePasJuste

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N°4 de la presse nationale française

« Le prix Goncourt n’a pas pu être édité en Algérie, où il tombe sous le coup d’une loi interdisant tout ouvrage sur la décennie noire. »

#C'estJustePasJuste

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N°5 de la presse nationale française

« Le livre ne peut être édité en Algérie, où il tombe sous le coup de la loi qui interdit tout ouvrage évoquant la guerre civile de 1992-2002. »

#C'estJustePasJuste

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N°6 de la presse nationale française

« Le livre a valu à son auteur , ainsi qu’à son éditeur, une interdiction de participation au dernier salon d’Alger. »

#C'estJustePasJuste

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Et encore :

« La consécration devient un sujet d’irritation pour le régime militaire en Algérie, qui perçoit dans ce prix une menace contre sa politique de répression mémorielle et de contrôle des narrations historiques. Derrière les honneurs rendus à cet intellectuel, c’est la lutte entre l’autorité et la liberté de pensée, entre l’oubli imposé et la mémoire retrouvée, qui se joue.»

#C'estJustePasJuste

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Ou encore :

« Refus de la langue de bois concernant l’héritage historique algérien et le rapport à la violence dans la société algérienne, à travers la parole libérée et courageuse d’un auteur. »

#C'estJustePasJuste

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Il y a sur nos médias trop de disputeurs décidés à n'être pas d'accord et trop de marchands de « culture » à la recherche de la gloriole d'un jour au dépend de notre devenir collectif, au dépend de notre bien collectif. 

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