Devant le constat accablant de l'état des eaux courant dans et après La Clusaz, il m'a semblé utile de faire quelques rappels sur ce que serait l'idéal (la normalité) d'une eau respectée car elle est le symbole intangible de la vie.
Les décideurs en tireront, peut-être, quelques leçons de choses...
Bonne lecture !
L'eau, c'est le sang de la terre
Lorsque l’on observe une carte d’état-major un peu détaillée (1/25°°°) le réseau hydrographique de la Haute-Savoie semble comparable à un écorché du corps humain. Les ruisseaux ressemblent aux capillaires, les rivières aux veines et les fleuves aux artères. Dans notre département, peu de zones sont exemptes de cours d’eau ; cependant les plaines sont naturellement moins parcourues de ruisseaux et plus drainées par les rivières (Chéran, Fier, Arve, Dranses, Usses)
L’eau arrive d’en haut. Il faut rappeler cette évidence pour bien appréhender le long cheminement d’une goutte qui vient de loin :
Le cycle de l’eau
Suivant les vents dominants (souvent d’ouest dans notre région) et en provenance directe de l’évaporation des océans, mers et lacs, l’eau (exempte de minéralisation) revient sur nos reliefs lors d’épisodes pluvieux et neigeux. Elle devrait être pure à ce stade mais ce n’est plus toujours le cas. Chargée d’acidité et de résidus microscopiques se trouvant dans l’atmosphère elle s’abat partout et en particulier sur l’étage nival (au-dessus de 2000 mètres) sous la forme de neige et plus bas, de pluie.
Qu’il s’agisse de la lente progression des cristaux, mille fois transformés depuis le haut de nos massifs, au travers d’un glacier et des roches granitiques ou de l’infiltration des sols pour constituer un nappe qui s’écoule progressivement par les fissures et fractures, l’eau très purifiée par les filtres naturels des terres, ressort (cette fois-ci minéralisée et débarassée de ses impuretés) par les sources et crée les ruisseaux, puis les rivières et les lacs. L’eau originelle n’était pas d’une autre nature et ne suivait pas un parcours différent. Jusque-là, rien que de très classique. Ces sources, limpides et glacées, même au cœur de l’été, sont un enchantement pour qui sait regarder, toucher et écouter. L’eau qui en ressort a parfois fait un périple de plusieurs dizaines de siècles. Rien que de ce point de vue, elle est vénérable et devrait emporter notre parfait respect ! Ne sommes-nous pas fait nous-mêmes et en moyenne de 65% d’eau ?
Un véritable périple:
Naissant simple ru puis se muant en torrent, c’est tout d’abord l’eau des alpages, celle qui, grossissant peu à peu la largeur de sa « ravine » ou de son « caniveau » puis de son lit en s’enrichissant de l’apport d’autres sources, serpente doucement entre les prairies grasses en s’offrant, çà et là, une petite accélération oxygénante au hasard des dénivelés. Les eaux restent pures et translucides et le lit du ruisseau est fait de roches et de limon lentement déposé par l’érosion des berges. La faune benthique (celle du lit du cours d’eau) commence à apparaître. Phryganes (vulgairement appelés porte-bois) et autres plécoptère (patache) ou éphéméroptère (mouche de mai) peuplent les fonds et servent de nourriture aux truites, aux vairons (lorsqu'il y en a) et au cincle plongeur. A ce stade tout est presque monotone. Seuls les étiages (basses eaux) et les crues (hautes eaux) viennent parfois perturber, selon les caprices des saisons, les sècheresses et les orages, ce milieu tranquille mais fragile.
Et l’aventure continue. Au bout de l’alpage, vers l’altitude 1400m, c’est l’entrée dans la forêt, ses ombrages et la rupture de pente. Là, le ruisseau s’élargit encore en rencontrant un "frère" à la fourche d’un autre vallon. Son lit fait maintenant plus d’un mètre et sa profondeur peut atteindre 40 centimètres par endroits. Les chutes de plusieurs mètres ne sont pas rares donnant à l’eau une oxygénation accrue. C’est le règne absolu de la truite fario (réputée sauvage) qui ne partage ses eaux avec aucun autre salmonidé (sauf lorsque l'homme lâche des poissons d'élevage..) et du cincle plongeur cet oiseau acrobatique qui s’immerge pour se nourrir de larves et d'alevins. Dans ce milieu forestier le torrent est parfois encombré de bois divers, charriés par les crues et formant des embâcles qui génèrent des poches d’eau temporaires. Les passages boisés d’un torrent sont souvent plein de charme, c’est l’endroit où s’abreuve la faune sauvage, où s’épanouissent les mousses, les lichens et où pousse, dès la neige retirée, l’ail des ours.
Puis, à la sortie du bois, à presque 400 mètres en aval de son entrée, c’est l’arrivée au village. La pente n’est guère moins forte et les terrassements des hommes ont créés des passages canalisés et des enrochements protecteurs ou la vitesse s’accroit. Certains goulets suivis d’angles obligent à des rappels (tourbillons) qui sous l’effet conjugué du courant et des pierres charriés creusent de grosses « gouilles » (que nos ancêtres appelaient « marmites de géants ») où déferlent les eaux qui, tout de suite après, s’apaisent dans un radier (passage où le lit est large et les eaux peu profondes) Celui-ci précède souvent un autre passage accidenté. La largeur du torrent passe à 2,50 mètres. L’eau circule successivement sous plusieurs ponts en arche (de ceux qui laissent passer les crues, bien préférables aux passerelles plates...) avant que de se précipiter aux avals du bourg afin de poursuivre sa fuite.
C’est alors l’arrivée dans les gorges sombres et étroites que les eaux (celles-là même puisqu’il s’agit d’un éternel recommencement) ont creusées au fil des siècles. Ici s’étalent l’ombre et l’humidité. L’eau accélère encore car son lit se resserre. Elle est projetée sur des rochers dont la mousse dégouline et qui gisent là, pêle-mêle, participant un peu plus à l’érosion générale de ces lieux. Dans ce monde étrange et un peu effrayant la violence des flots est décuplée. Des gerbes de plusieurs mètres de haut sont projetées vers le haut et vers l’aval. Les chutes succèdent aux chutes dans un vacarme assourdissant qui rebondit contre les parois en produisant des échos infinis. Parfois un « calme » apparent agit comme une respiration sur quelques dizaines de mètres avant que l’enfer reprenne. Et soudain c’est l’apothéose lorsqu’une barre de 20 bons mètres produit une cascade qui déploie le voile humide de ses embruns jusqu’au ciel. Ce déferlement dantesque dure sur 8 bons kilomètres, tant que la montagne, qu’il faut bien franchir, se dresse encore devant l’entêté forçage liquide.
Enfin, une large ouverture s’offre à la rivière (qui n’est plus tout à fait torrent) et la pente perd très nettement de ses degrés. Les eaux sortent de la pénombre pour se répandre largement au soleil sur une largeur qui, désormais frôle les dix mètres. Sous l’effet de ce réchauffement, une éclosion d’éphémères fait vibrer l’air juste au-dessus des ondes et l’on distingue, juste sous deux branches basses qui frôlent le courant, le rond parfait du gobage d'un poisson friand de cette mane naturelle. A l’altitude 500 mètres, c’est l’arrivée en plaine. Le cours d’eau se taille un passage au milieu des champs et se trouve maintenant régulièrement bordé de constructions. Ici, les hommes ont été contraints de composer avec cette force naturelle qu’ils savent lunatique. Des renforts, des enrochements, des murs et d’autres fascines (tressage de branchage) ont été construits pour tenter de contenir les berges. La rivière n’est plus tout à fait elle-même. Habillée de béton par endroits, elle s’est civilisée… Des méandres vont alors rallonger, dans un lit fait de marnes, la progression des eaux. La profondeur peut ici atteindre plusieurs mètres là où les crues, à l’extérieur des virages, ont raboté les fonds. Toujours dans les anses mais hors de l’eau, les prés sont mangés et s’affaissent, herbe, terre et clôtures, dans l’onde qui les engloutit inexorablement. Il arrive qu’au bout d'un mini canal de dérivation, une retenue, souvent d’un autre âge, bâtie pour le fonctionnement d’un moulin ou d’une scierie, ralentisse encore l’ensemble, formant comme un petit lac. L’eau, alors quasi immobile, s’évacue par un trop-plein rouillé et usé dont le fond est tapissé d’algues vert rubis.
Le périple touche à sa fin. A la sortie d’un ultime lacet, c’est la confluence en V avec un autre cours, plus large et qui l’emporte. Notre rivière alors, loin de mourir, se fond en l’autre en apportant généreusement la contribution de sa vigueur à ce qui, maintenant, et dans un mélange de nuances bleu-vert fera plus de 30 mètres de largeur par endroits. Cette rivière, d’un autre calibre, ira, des dizaines de kilomètres plus en aval, nourrir le fleuve, loin en direction de la mer pour que tout recommence sous l'effet des rayonnements solaires......
Marcelly