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Billet de blog 3 avril 2013

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Afghanistan: des talibans… aux talibans

Si, dans les déclarations du gouvernement de Kaboul, le printemps afghan est plein de promesses, pour le peuple afghan il est surtout porteur d’inquiétudes ! La fin de l’hiver a été tendue entre les militaires de l’Otan et le gouvernement Karzaï à cause de ses négociations directes avec les talibans.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Si, dans les déclarations du gouvernement de Kaboul, le printemps afghan est plein de promesses, pour le peuple afghan il est surtout porteur d’inquiétudes ! La fin de l’hiver a été tendue entre les militaires de l’Otan et le gouvernement Karzaï à cause de ses négociations directes avec les talibans. Concernant la passation de la sécurité de la région de Maïdan Wardak (à 70 km de Kaboul) et la gestion de la prison de Bagram aux Afghans, les Américains et l’Otan ont cédé aux exigences de Karzaï.

Depuis le début de leur intervention en 2002, le bilan de la présence militaire de l’Otan et des Américains est pratiquement négatif : ils sont venus pour chasser les talibans et éradiquer le terrorisme ; ils ont tué Ben Laden mais, pour ce qui est de la lutte contre le terrorisme à l’intérieur ou à l’extérieur, ils se contentent de négociations de paix avec les talibans pour organiser le retour de ceux-ci au pouvoir, quelles qu’en soient les conséquences pour l’avenir. 

De son côté, Karzaï opère un changement de comportement qui déconcerte le peuple afghan : les idées qu’il aurait dû défendre depuis 2002, à savoir la souveraineté nationale, la démocratie et les droits de l’homme, il les revendique désormais à la fin de son mandat. Les Afghans se demandent si, en 2014, année de fin de son mandat, Karzaï ne va pas participer à un nouveau changement de régime et de Constitution exigé par les talibans de manière à faire entrer les talibans au gouvernement. Quelqu’un de son choix et de son clan pourrait aussi devenir président et lui rester dans le giron du pouvoir, à vie, sur le modèle russe du système Poutine-Medvedev.

Depuis 2002, l’aide internationale considérable (des milliards de dollars) a été détournée de son objectif –la reconstruction nationale– au profit de 200 familles (partisans de l’ancien régime royal… ou de la période communiste, chefs de guerre, trafiquants de drogue…). Sur une population estimée à 30 millions d’habitants, 16 000 petits chefs de guerre ont confisqué la majorité des terres cultivables, empêchant des millions de paysans et de nomades de retrouver leurs outils de production et leurs habitations dans leurs régions d’origine. À l’image de la région Maïdan Wardak qui est devenue le nid des talibans et où l’Otan a confié la sécurité à l’État afghan, 99% des problèmes d’insécurité viennent du fait que, depuis 10 ans, on n’a pas réglé, pour la population, les problèmes de propriété des terres, d’exploitation des pâturages et de gestion de l’eau.

Ces problèmes d’insécurité ne sont pas des problèmes de « détail », comme je l’ai souvent entendu dire. Le fait que nous n’ayons pas apporté de solution à ces problèmes –que le peuple afghan subit depuis 1880– a provoqué la guerre et la destruction du pays, l’échec de la reconstruction depuis 2002. Ces conséquences dramatiques entraîneront pour le pays des complications lourdes de conséquences dès 2014, avec la probable entrée des talibans au pouvoir. Et c’est Karzaï lui-même qui, le 2 avril 2013, encourage les talibans à pousser Mollah Omar à se présenter aux prochaines élections de 2014 ! 

Parce que ces problèmes qui sont des conséquences lourdes de l’inaction occidentale ont été considérés comme des « détails », des millions d’Afghans paysans et nomades sont obligés de loger désormais dans des baraques de fortune à la périphérie des grandes villes, survivant grâce à la mendicité.

Il faudrait également se rendre à l’évidence que l’on n’industrialisera pas l’Afghanistan sur un modèle occidental. Avant que les troupes de l’Otan n’abandonnent ce pays à son sort, il serait souhaitable qu’une mission internationale fasse l’évaluation des pertes économiques et humaines subies par la population du fait des détournements des aides financières et de la corruption massive régnant dans l’administration Karzaï. Les Afghans sont très inquiets des risques qui menacent leurs familles avec la prise du pouvoir par une oligarchie clanique, ou la création d’un émirat islamique extrémiste.

On pourrait faire revivre dans ce pays une société rurale harmonieuse. Pour cela, il est indispensable que le gouvernement afghan et les experts internationaux abandonnent la poursuite de la politique de développement des années 50 (que je dénonce depuis 1976), c'est-à-dire l’alliance de l’État avec les chefs féodaux et le développement de l’agriculture de rente (coton, fruits et légumes) à destination de l’exportation qui affame les populations. Il faut que l’agriculture soit consacrée en priorité à nourrir la population et à donner du travail. Il faut que l’agriculture gère les ressources rares comme l’eau ou les engrais en respectant l’environnement et les animaux pour que ce peuple retrouve la sérénité. Quand on a faim, on devient bandit, voleur, violeur et taliban.

La reconstruction de l’agriculture doit être déclarée « priorité stratégique » pour une période de dix années, même si son objectif premier n’est pas d’ordre financier ni l’enrichissement de la classe féodale. La reconstruction de l’Afghanistan ne passe pas par le type de projet artificiel de développement à l’occidentale conduit depuis 2002 ; si on continue comme ça, la paix ne reviendra jamais dans le pays. Avant que l’Otan ne se retire à 100%, il faut que la communauté internationale mette les gouvernants afghans devant cette réalité nationale de l’Afghanistan. Depuis toujours, les gouvernants afghans, prisonniers d’un système de gouvernance tribale et féodale, ont détourné l’aide internationale à leur profit, en maintenant le peuple dans l’ignorance et le sous-développement et cela continue aujourd’hui. 

Tout ce que les médias disent sur l’Afghanistan est vrai : c’est un peuple rebelle, farouchement indépendant, mais la réalité d’aujourd’hui c’est que ce peuple rebelle et indépendant fait partie de la communauté internationale mondialisée. Dans les années 50, la politique nationale et internationale de l’Afghanistan se faisait dans les palais royaux, entre un roi et un premier ministre. Aujourd’hui, parce que le téléphone portable existe, les négociations de Karzaï avec les talibans inquiètent jusqu’au fin fond des villages perdus dans les différentes vallées, où on subit les méfaits des talibans. Devant un tel changement, on ne peut pas inventer comme hier des argumentations pour dire que c’est uniquement la faute des Américains, des Britanniques ou des Soviétiques. 

Ce sont les problèmes internes à ce pays, les guerres intestines entre les différentes ethnies du pays, qui font que l’Afghanistan a échoué dans sa reconstruction. Depuis 30 ans, l’Afghanistan a accueilli des milliers d’ONG de toutes sortes. La gestion des biens publics dans les villages (santé, éducation, électricité, voirie, etc.) a été abandonnée par l’État à ces ONG qui devaient, de fait, demander la protection des chefs de guerre. Les institutions internationales ont donné de l’argent aux ONG et pas à l’État qui, du coup, n’a pas rempli ses missions. Et face à son échec, l’État, au lieu de réviser sa politique et d’assumer ses lacunes de non gouvernance, accuse les Occidentaux de gaspillage… Devant ce spectacle, le peuple est abasourdi. D’où le désespoir…

Les gens ne savent plus que penser et la société afghane ressemble à une société malade qui se regarde dans un miroir brisé. Ceux d’entre eux qui en sont conscients ne croient plus à leur avenir. 

L’Occident a-t-il la capacité d’accueillir encore des vagues de réfugiés afghans, comme c’est déjà le cas aujourd’hui ? Des milliers d’Afghans dorment sur les trottoirs d’Athènes, première porte de l’Europe pour eux. Les « passeurs » organisent déjà ces migrations, se faisant payer alors même qu’ils savent que l’accueil dans les pays européens est de plus en plus compromis par des politiques d’immigration de plus en plus surveillées. 

Le retour annoncé des talibans risque d’accentuer la déstabilisation du pays et de la région.

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