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Billet de blog 5 décembre 2011

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Bonn 2: l'Afghanistan après le retrait des Occidentaux

Ce lundi 5 décembre se tient à Bonn une seconde conférence internationale. C'est la énième d'une longue liste et peut-être la dernière consacrée à la reconstruction de l'Afghanistan.

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Ce lundi 5 décembre se tient à Bonn une seconde conférence internationale. C'est la énième d'une longue liste et peut-être la dernière consacrée à la reconstruction de l'Afghanistan.

Entre autres questions de géopolitique régionale et internationale, deux thèmes principaux seront à l'ordre du jour: le premier concerne la prise en charge totale de la sécurité du territoire national par les Afghans eux-mêmes après 2014, et le second la poursuite de l'aide internationale pour achever la reconstruction de l'Afghanistan. Va-t-on, à l'occasion de cette conférence, regarder enfin en face les réalités historiques, géographiques et sociologiques de ce pays, ce qui n'a pas été fait il y a dix ans?

Encore sous le choc des attentats du 11-Septembre contre les Twin Towers, les Occidentaux intervenant en Afghanistan pour chasser les talibans s'étaient engagés à reconstruire le pays en ruine. Cette reconstruction aurait dû être un acte éminemment politique car l'Afghanistan, après vingt années de guerre, n'avait ni chef politique charismatique, ni partis politiques organisés, ni État, ni appareil administratif pour utiliser au mieux cette aide. Au lieu de quoi, dans la précipitation, l'aide économique et militaire a transformé la reconstruction en marché de projets conçus et financés par la communauté internationale et consommés par les Afghans.


Chronologiquement, la marchandisation de la reconstruction de l'Afghanistan par la communauté internationale s'est organisée de la façon suivante:
- le 28 septembre 2001, la résolution n° 1373 du conseil de sécurité a autorisé les USA à intervenir en Afghanistan ;
- le 13 novembre, M. L. Brahimi, représentant de l'ONU pour l'Afghanistan, est chargé d'élaborer un programme de paix entre Afghans (programme qui sera signé le 6 décembre 2001 lors de la conférence de Bonn) ;
- le 20 novembre de la même année, une autre conférence va avoir lieu à Washington pour le pilotage de l'Afghanistan. Lors de cette conférence à laquelle participaient les représentants des USA, du Japon, de l'UE, de l'Arabie Saoudite, de la Banque mondiale et de la Banque asiatique de développement, une équipe d'experts est chargée d'identifier les priorités et de donner des estimations des coûts ;
- le 20 décembre 2001, la conférence de Bruxelles estime la reconstruction à 1,7 milliards de dollars pour 2002 et 15 milliards sur 10 ans ;
- le 20 janvier 2002, les Japonais organisent la première conférence internationale des donateurs à Tokyo, 61 pays et 21 organisations internationales promettent des dons et s'engagent à assurer la reconstruction de l'Afghanistan.

La suite, nous la connaissons tous. Sous la pression des États Unis et de l'ONU et avec le consentement des Européens, la conférence de Bonn devient un arrangement funeste qui transforme les chefs de guerre afghans en prédateurs des aides, le peuple afghan en spectateur et la communauté internationale en protecteur et bâtisseur. Construire l'État, écrire la constitution, organiser les élections, entreprendre le développement économique, etc. tout ceci dans le mépris des réalités afghanes et la précipitation. D'où les échecs dans la reconstruction, d'où la corruption et le retour en force des talibans qui contraignent la communauté internationale à se retirer faute de résultat et sous la pression conjuguée de la crise économique et de leurs électeurs.

Pour se donner bonne conscience, les experts militaires et les technocrates du développement nous donnent une longue liste des acquis, réalisés malgré la guerre : la démocratie, les libertés, les droits de l'homme, l'accès à la scolarité, la santé, l'électricité les routes, les universités, les radios et les télévisions, etc.

Mais, à regarder de près, tous ces acquis présentés comme des progrès ne sont que des coquilles vides. Un semblant d'institution se préoccupe des droits de l'homme et de la femme mais ces droits sont toujours bafoués et on peut en donner de nombreux exemples: aujourd'hui encore à la campagne toute proche de Kaboul, des talibans lapident des femmes, empêchent les filles d'aller à l'école sans que quiconque puisse s'y opposer.

C'est vrai que des millions d'enfants, garçons et filles, vont à l'école (à raison de deux heures par jour seulement...) mais malheureusement, si ces écoles ont des instituteurs, elle n'ont pas de matériel et, si elles ont du matériel, la majorité des élèves arrivent à l'école le ventre vide.
Quelques privilégiés ont accès à l'eau courante, l'électricité ou les soins. La majorité des Afghans vit avec moins d'un dollar par jour, 11 millions d'Afghans souffrent de la faim dont 2 millions sont immédiatement menacés si la neige tombe et que les routes sont bloquées. Les progrès sociaux que l'on attribue à la reconstruction sont visibles dans les grandes villes mais pas du tout dans les campagnes. Les populations rurales fuient l'insécurité et s'installent dans les villes où elles sont sans emploi, sans pouvoir d'achat et en grande difficulté pour avoir accès à l'eau et aux combustibles. Un habitant d'un des baraquements de fortune construits sur les flancs des montagnes qui entourent Kaboul est obligé chaque jour d'envoyer ses enfants chercher de l'eau à 2 ou 3 kilomètres de chez lui (seulement pour la cuisine et pour boire - rien pour la toilette).

Depuis 2001, la communauté internationale a certes aidé le pays à avoir un État. Mais l'État qui devait se donner comme objectif la survie de la nation est devenu un nid de partisans des chefs de guerre et des anciens chefs de la résistance. Conclusion: aujourd'hui l'Afghanistan est devenu un pays ingouvernable à cause de l'incompétence et du clientélisme. De la même manière, on a rédigé une constitution qui devait devenir un fondement juridique pour gouverner le pays. Rédigée dans la précipitation, elle est devenue une copie corrigée de la constitution de 1964 qui ne respecte pas la démocratie. Le constitutionnaliste français G. Carcassonne, qui a participé à cette rédaction, a reconnu avoir échoué parce qu'il n'a pas réussi à convaincre les Américains de l'intérêt d'un régime parlementaire par rapport à un régime présidentiel. Les failles de cette constitution, nous les subissons aujourd'hui. Les partisans de Massoud (l'Alliance du Nord) demandent le changement de la constitution car ils constatent que le président ne respecte pas le parlement. Alors que l'Afghanistan sombre chaque jour un peu plus dans le chaos, ces bâtisseurs internationaux vont de conférence en conférence, de changement de stratégie en changement de stratégie.

Pour les Occidentaux, l'afghanisation c'est faire la paix avec les talibans et les faire participer au partage du pouvoir. Pour les Afghans, l'afghanisation c'est désarmer les milices ethniques, créer des emplois pour les occuper et résoudre les problèmes sociopolitiques. D'où l'incompréhension et la confusion. Les Afghans ont totalement perdu confiance. Pour eux, les Occidentaux mentent, les politiques afghans sont désacralisés, pas crédibles - on ne respecte pas l'État - l'ambiance rappelle une fin de règne, chacun essayant de sauver sa peau. Certains avouent même être tentés par l'exil.

Depuis 30 ans, je ne cesse de dire que l'aide au développement telle qu'elle est organisée en Afghanistan ne fait que désorganiser la société. La société afghane est une société paysanne qui assumait elle-même l'accès de la population aux produits de première nécessité. Dans ce type de société, l'État intervenait très peu. Dès l'instant où l'aide au développement arrive à l'aveuglette dans un pays sans État, elle devient non seulement source de gaspillage et de corruption mais, en même temps, elle transforme le tissu social et l'économie qui deviennent dépendants de l'aide extérieure.

Depuis dix ans, la reconstruction a été faite à l'image du développement, dans l'improvisation et sans réflexion profonde : l'urgence a toujours primé sur les réalités durables.

À heure du bilan des dix dernières années, l'avenir est sombre. Quels que soient les acquis de la reconstruction, le retrait des armées de l'OTAN réveille chez les Afghans le souvenir du retrait des armées soviétiques en 1989 et de la guerre civile qui a suivi...


Peut-on espérer que Bonn 2 leur donnera les garanties nécessaires pour que l'histoire ne se répète pas ?

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