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Billet de blog 6 sept. 2012

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Afghanistan: une nation toujours sans Etat

La situation politique et sociale se dégrade un peu plus chaque jour en Afghanistan. L’État protecteur, l’État régulateur des marchés, l’État bon gestionnaire de l’aide internationale, l’État collecteur de l’impôt et garant du bien public, tant souhaité par la population, attendu et espéré depuis 2001, est  toujours absent.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La situation politique et sociale se dégrade un peu plus chaque jour en Afghanistan. L’État protecteur, l’État régulateur des marchés, l’État bon gestionnaire de l’aide internationale, l’État collecteur de l’impôt et garant du bien public, tant souhaité par la population, attendu et espéré depuis 2001, est  toujours absent.

Les militaires et stratèges internationaux impatients de quitter le bourbier afghan en 2014, pour se donner bonne conscience, font des communications et des projets, signent traités de coopération et pactes d’amitié avec le gouvernement afghan ! Cependant, sur le terrain, on constate que l’armée et la police sont infiltrées par les talibans, qu’il y a des accrochages violents entre nomades pashtounes et paysans hazâras dans les provinces du centre du pays et que l’État est pratiquement absent où la population a besoin de lui. Alors que la date-butoir du retrait des Occidentaux approche à vitesse grand V et que le transfert de la sécurité de l’ensemble du pays au gouvernement afghan se fait à marche forcée, cette faiblesse de l’État et son incapacité à protéger la population et le bien public sont des signaux inquiétants qui montrent que la reconstruction de l’Afghanistan reste inachevée et que le retrait des alliés en 2014, année des élections présidentielles, se présente sous de mauvais augures. Peut-on sortir de l’Afghanistan la tête haute en résumant toute la reconstruction du pays à la création d’une armée et d’une police noyautées par les talibans ?

Comment peut-on faire confiance aux déclarations optimistes des officiers et politiques internationaux alors que sur le terrain l’ambiance est celle d’une fin de règne ?

L‘économie tourne au ralenti, les commerçants et entrepreneurs cherchent à sauver leurs affaires, les capitaux s’évadent. Un peu partout dans le pays, la population cherche à défendre elle-même sa sécurité en prenant les armes et, en prévision des mauvais jours, cherche à stocker des produits alimentaires. Les prix sur les marchés grimpent, l’État afghan et ses institutions gangrenées par des fonctionnaires corrompus ne savent où donner de la tête.

Les talibans rôdent partout, les biens publics sont dilapidés aussi bien par les opposants que par les gouvernementaux eux-mêmes sans que quiconque semble s’en inquiéter… L’histoire de l’État afghan et de sa gestion des biens publics, à savoir la liberté, les sécurités, l’éducation, la santé, l’environnement, est très complexe. Schématiquement, de 1880 à 1945, les biens publics restent le privilège de l’État féodal. Ce n’est que depuis les années 1945 que, sous l’effet conjugué de l’augmentation de la population grâce à l’arrivée de l’aide internationale et de l’exode rural, l’État féodal de l’époque devient conscient de la nécessité d’une bonne gestion du bien public (pour la sécurité alimentaire, notamment) d’où son intervention pour stabiliser les prix des produits alimentaires et ses demandes d’aide internationale pour la construction de routes, de barrages, d’écoles ou d’hôpitaux. Plus l’Afghanistan fait des pas vers le développement, plus il fait appel à l’aide internationale et plus ses besoins pour des réformes et une bonne gestion des biens publics deviennent pressants. Mais le régime politique étant féodal et tribal, l’État reste insensible à ces besoins et la défaillance de l’État atteint son paroxysme lors de la sécheresse de 1971 où les fonctionnaires corrompus et les chefs tribaux locaux détournent les produits de l’aide alimentaire pour les vendre sur les marchés sous les yeux des observateurs internationaux.

C’est cette défaillance de l’État qui, en 1972, a coûté au roi son trône. La République afghane instaurée alors par Daoud fait des promesses de changement et de réformes mais en vain. Comme par le passé, l’État reste féodal et corrompu. Le coup d’État communiste de 1978 met fin à l’État féodal mais, dans la pratique, les exécutions des opposants et l’exode des fonctionnaires vers l’étranger privent le pays de ses meilleurs serviteurs. La suite, nous la connaissons. Entre 1979 et 1989, l’État afghan se morcelle, les communistes administrent les villes et les différentes factions de la résistance gouvernent dans les campagnes. Les deux régimes fonctionnent grâce à l’arrivée massive de l’aide internationale.

L’ancien État féodal se transforme durant cette période en État des partis à Kaboul et dans les grandes villes tandis que, dans les zones de résistance, l’État féodal se transforme en une mosaïque de pouvoirs des différents chefs de guerre dépendants de l’aide internationale et des ONG. Pendant cette période, dans le pays tout entier les anciens contrat sociaux cessent de fonctionner aussi chaque chef de guerre local instaure-t-il dans sa localité sa règle pour gouverner et gérer le bien public à son profit. La fin du régime communiste et l’arrivée des résistants n’arrange en rien les affaires de l’État à Kaboul, la guerre pour le pouvoir des différentes factions de la résistance détruit la plupart des bâtiments administratifs et saccage les archives de l’État (ces affrontements ont fait 60 000 morts dans la capitale). Sous les talibans, avec le soutien du Pakistan, l’administration réduite à sa plus simple expression devient pashtoune : les mollahs deviennent ministres et les hudjras (une pièce avec quelques matelas) constituent leurs bureaux pour administrer le pays. Les talibans pratiquent alors une politique de terre brûlée à l’encontre des autres ethnies : vignes arrachées, villages détruits, populations contraintes à l’exil.

Après les talibans, le gouvernement de transition installé dans le pays fin 2001 par la communauté internationale, bien que disposant d’énormes aides et appuis de la Banque mondiale, de l’Europe et des autres institutions, se contente de réhabiliter des bâtiments et bureaux mais ne parvient pas à changer la mentalité des fonctionnaires en ne mettant pas correctement en place la réforme administrative prévue dans le programme de stratégie de la reconstruction (ANDS). Le partage des différents ministères entre les différentes forces politiques a conduit, dès le lendemain de la conférence de Bonn, la reconstruction politique du pays et la réforme du nouvel État sur le chemin du tribalisme : un ministre hazâra ne recrutera que des Hazâras, un ministre pashtoune ne recrutera que des Pashtounes, sans souci des compétences et au détriment de la cohésion nationale.

La communauté  internationale souhaitait désarmer les milices et créer une armée et une police nationales. Mais, dès que la nouvelle armée et la nouvelle police ont vu le jour elles sont devenues un lieu d’embauche pour donner du travail aux anciens miliciens avec l’arrière-pensée, dans chaque faction, d’avoir à terme accès à des armes et des militaires de leur propre famille politique formés.

Depuis, tous les efforts et actions pour la reconstruction, de même que la réforme de l’État, ont été sabotés par différents chefs pour protéger leurs intérêts. En réalité, c’est cette défaillance de l’État pour la reconstruction politique du pays et sa gestion dans l’utilisation de l’aide internationale qui est la cause principale de la déception de la population et du retour des talibans. Depuis 2002, les responsables politiques afghans et leurs alliés occidentaux ont perdu beaucoup de temps et gaspillé des millions de dollars pour laisser derrière eux un champ de ruines plein de dangers. Maintenant que les Occidentaux quittent l’Afghanistan, le gouvernement, pour rassurer la communauté internationale et qu’elle ne ferme pas les robinets de l’aide, nous annonce dans la presse le fichage biométrique de la population d’ici le 30 décembre 2012.

Comment le gouvernement afghan va-t-il distribuer des cartes d’identité biométriques alors qu’il n’a pas de représentant dans plus des trois quarts du pays et qu’il n’existe pas d’état civil dans les villages, sans oublier qu’aucun recensement n’a jamais eu lieu… Donner une carte d’identité dans un pays où, dans ces 35 000 villages, les représentants de l’État n’existent pas et où administrer la population et les ressources économiques et fiscales est laissé au bon vouloir des chefs locaux et féodaux est impossible à réaliser dans l’espace de quelques mois. La citoyenneté afghane ne se résume pas uniquement par le fait de disposer d’une carte (tazkera en dari) dans sa poche. Une carte d’identité biométrique sans état civil, sans modification des anciens rapports sociaux des chefs locaux avec les sujets (par ex. le fait de lever des troupes militaires et de collecter des impôts en nature) ? On est là plus dans un effet d’annonce que dans un projet réaliste…

Le retour des talibans dès le retrait définitif des armées occidentales en 2014 n’est un secret pour personne, encore une fois dans ce malheureux pays l’histoire se répète alors que la reconstruction n’est même pas  commencée. Cet échec n’est pas uniquement un échec militaire mais c’est aussi celui des experts et stratèges internationaux qui ont imaginé la reconstruction de l’Afghanistan sans connaître les profondeurs de l’histoire de la société afghane. Si les réformes indispensables pour la reconstruction attendues par la population depuis 2002 avaient été entreprises, l’Afghanistan serait un pays en voie de reconstruction et les alliés se retireraient de l’Afghanistan la tête haute. Malheureusement ce n’est pas le cas et une nouvelle guerre civile semble inévitable à l’horizon 2014.

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