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Billet de blog 6 décembre 2013

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Afghanistan: Karzai dénature la parole publique

Depuis un an, de longues et très fastidieuses négociations se déroulent entre Washington et Kaboul. Elles portent sur la signature du pacte de sécurité après le départ définitif des forces américaines d’Afghanistan, fin 2014. Depuis octobre dernier, ces négociations prennent l’allure de dialogues rocambolesques.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Depuis un an, de longues et très fastidieuses négociations se déroulent entre Washington et Kaboul. Elles portent sur la signature du pacte de sécurité après le départ définitif des forces américaines d’Afghanistan, fin 2014. Depuis octobre dernier, ces négociations prennent l’allure de dialogues rocambolesques. Les Américains, pour planifier leur future présence en Afghanistan, demandent la signature du pacte de sécurité le plus rapidement possible, tandis que Karzai pose chaque jour de nouvelles conditions.

Du 21 au 24 octobre, Karzai a convoqué la grande Loya Djerga, le rassemblement traditionnel des notables. Dans le passé, moyennant des cadeaux (un turban et un manteau) et la promesse de les laisser libres de gérer leurs territoires, les chefs de tribu convoqués dans la Loya Djerga répétaient ce que le gouvernement leur avait soufflé à l’oreille. Cette fois-ci, malgré 20 millions de dollars de dépenses, les 2 500 participants (dont 400 femmes) n’ont pas soutenu Karzai et, au bout de quatre jours de discussion, à l’unanimité, ils ont demandé au président de signer ce pacte de sécurité et ce avant la fin de l’année. Les commentaires des participants, quelles que soient leurs opinions, ont été révélateurs de leur maturité, de leur responsabilité et de leur clairvoyance. À entendre telle femme représentante de Bamyan ou tel jeune homme représentant de Kandahar –retransmis sur la BBC-, on a l’impression que le niveau politique des hommes et des femmes d’Afghanistan s’est élevé de façon extraordinaire. Évidemment, le retour des réfugiés d’Iran et du Pakistan, la liberté de la presse, la radio et la présence des téléphones portables entre les mains de millions d’Afghans peuvent expliquer en partie cette maturité. Force est de reconnaître que cette maturité politique est un grand acquis de ces longues et interminables années de guerre et d’instabilité du pays. Ce qui donne beaucoup d’espoir pour l’avenir.

Si les conditions sont réunies pour que les élections d’avril 2014 se déroulent au mieux, le futur président devra tenir compte de l’opinion du peuple.

Avant la réunion de la Loya Djerga, Karzai affirmait que la parole de la Loya Djerga serait la parole du peuple et qu’il l’accepterait. Quand la loya Djerga se déclare pour la signature de l’accord, au lieu de se soumettre à cette décision, le président pose de nouvelles conditions : la transparence et le bon déroulement des élections présidentielles d’avril 2014, d’une part, et le soutien du processus de paix avec les tabibans de l’autre, exigences que les Américains ne peuvent et ne veulent pas assumer ; les Afghans ont peur que l’aide américaine s’arrête…

À Kaboul, des bruits courent que les Américains privent d’essence l’armée et la police afghane pour faire pression sur Karzai. Les Américains nient mais le peuple s’inquiète.

Conséquence de cette situation, nombreux sont les Afghans qui continuent à fuir le pays vers l’Iran, le Pakistan et les pays européens pour les plus fortunés et chanceux d’entre eux. Le président de la Loya Djerga lui-même, Sebratullah Modjadidi, chef spirituel soutenu par des milliers d’Afghans, le jour de la fin de cette réunion, a menacé Karzai au cas où il ne signerait pas le pacte d’ici la fin de l’année, de quitter l’Afghanistan.

En se comportant ainsi, non seulement Karzai dénature la parole publique mais, en même temps, il délégitime la Loya Djerga : jamais plus ses successeurs ne pourront réunir une Loya Djerga ni pour une grande décision internationale, ni pour contourner l’Assemblée Nationale car, depuis cette Loya Djerga de 2013, le peuple tout comme les chefs locaux, tous savent que la Loya Djerga dont les Afghans sont fiers n’est en réalité qu’une manipulation politique des pouvoirs en place à leur propre profit.

La reculade de Karzai pour retarder la signature de ce pacte  est un aveu de son échec de la reconstruction du pays.

Faut-il rappeler que, quand le président Karzai était l’élu de George Bush, lors qu’il a pris le pouvoir en 2002 suite à la conférence de Bonn, il n’y avait pas une ombre de problème entre l’Afghanistan et les États-Unis. George Bush et les Américains déversaient des valises de dollars pour que les chefs afghans fassent la paix entre eux tandis que les militaires de l’OTAN couraient après Ben Laden. Les ONG et la libre entreprise s’occupaient de la reconstruction ; personne ne s’occupait de la corruption, ni de la gouvernance, ni des droits des hommes et des femmes. Toutes ces questions étaient laissées aux bons soins des arrangements tribaux de Karzai. Les nuages dans le ciel afghan apparaissent quand Obama est élu en 2009 et qu’il change de stratégie, exigeant de Karzai une bonne gouvernance, la transparence, la lutte contre la corruption et le respect des droits de l’Homme, sujets pour lesquels Karzai et son gouvernement n’avaient pas de réponse et, au lieu de tenter d’extirper le mal à la racine, ils ont cherché à faire la paix avec les talibans… comme le premier président des moudjahidin en 1992 avec les différents chefs de guerre.

Quant aux conditions qu’il cherche à poser, c’est un cri révélateur de son impuissance pour dire à la communauté internationale et aux Américains que, s’ils se contentent de signer des pactes de sécurité et des contrats de coopération bilatérale, pour le moment l’État afghan ne sera pas en mesure d’assurer la sécurité, faute de quoi des centaines de familles seront de nouveau contraintes à l’exode par les talibans, talibans qui ne respecteront ni la démocratie pour que les élections présidentielles puissent avoir lieu, ni les droits de l’homme et de la femme.

Karzai dont le mandat non renouvelable s’achève en avril prochain cherche à laisser dans l’histoire de l’Afghanistan une image de nationaliste comparable à celle de l’ancien président de la république Daoud (1973-1978) qui, lors d’une conférence à Moscou, avait tenu tête à Brejnev !

Il ne faudrait pas qu’il oublie que c’est cette attitude qui est à l’origine du coup d’État communiste en 1978, premier maillon des événements malheureux qui vont se succéder en Afghanistan…

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