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Billet de blog 7 février 2012

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Quel avenir pour l'Afghanistan après le retrait occidental?

Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République française, Mesdames et Messieurs les candidats à l’élection présidentielle. Les élections en France et aux États-Unis font que le «bourbier afghan» devient un sujet électoral car le retrait des troupes occidentales est maintenant programmé et souhaité par tout le monde, quelles qu’en soient les conséquences prévisibles.

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Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République française, Mesdames et Messieurs les candidats à l’élection présidentielle.

Les élections en France et aux États-Unis font que le «bourbier afghan» devient un sujet électoral car le retrait des troupes occidentales est maintenant programmé et souhaité par tout le monde, quelles qu’en soient les conséquences prévisibles.

Monsieur le Président de la République a avancé le retrait des troupes françaises d’un an et il a bien fait.  

Français d’origine afghane, je veux à la fois exprimer ma tristesse devant la mort de jeunes soldats français, mais aussi et toujours parler des raisons de l’échec de la reconstruction de mon pays et des craintes de ce qui risque de se passer après le retrait des armées occidentales.  

Rappelons que les Occidentaux sont intervenus en Afghanistan pour « lutter contre le terrorisme » et chasser les talibans, mais aussi pour aider les Afghans à reconstruire leur pays ! Or je constate que la reconstruction se résume à la formation d’environ 300 000 soldats et policiers dont on ne connaît ni l’identité ni le passé et qui commettent des assassinats à l’intérieur des casernes... Ces soldats n’ont aucune conscience nationale, ce sont de pauvres recrues obligées de faire leur service militaire et qui ne forment pas une armée de métier. Cela explique que les talibans peuvent se servir d’eux pour perpétrer des crimes.  

Quant à  la déception de l’ensemble de la population face à ce retrait programmé alors que l’Afghanistan n’est pas stabilisé, un mot la résume : c’est l’humiliation. Une anecdote me permet de vous l’expliquer. En octobre 2001, les Afghans ont reçu du ciel des sacs de rations alimentaires de la part de Georges Bush. Cependant, aucun de ceux qui ont largué cette nourriture ne s’est posé la question de savoir si les Afghans qui allaient la recevoir avaient l’habitude de manger ce type d’aliment : ces rations ne contenaient-elles pas d’ingrédients interdits par la culture et la religion musulmane ? Les Afghans sauraient-ils simplement ouvrir les emballages ? Et puis, pour les Afghans, on ne jette pas la nourriture même aux animaux ; alors, aux êtres humains…  

À l’image de cette aide alimentaire, l’aide à la reconstruction comme la lutte contre Ben Laden et l’élimination des talibans est tombée du ciel sur la tête des Afghans non pas comme une aide, mais comme une occupation humiliante. Ceux qui pensaient que c’était la chance de leur vie pour commencer une nouvelle page de leur histoire ont vite déchanté : les experts, les politiques, les Afghans de la diaspora, se sont comportés depuis fin 2001 en Afghanistan comme des occupants et pas comme des coopérants. Ceci provoque aussi beaucoup de rejet et d’amertume vis-à-vis des Occidentaux (militaires et civils) : la population afghane met en doute la sincérité de l’intervention des alliés dans le pays et pense que les Occidentaux et les gouvernants afghans, chacun à leur manière, ont profité de l’argent qui tombait du ciel et ne se sont pas préoccupés du sort de la nation. Ainsi, depuis 2002, dans l’attente de la reconstruction, les Afghans ont assisté à de nombreux « meetings » inaugurés par la lecture de quelques versets du Coran, et arrosés de thé avec des gâteaux secs… Mais dans la réalité, rien de palpable n’a eu lieu, ni sur le plan sécuritaire ni dans le domaine de la gouvernance. À quoi ont servi ces milliards ? Qui doit rendre des comptes ? Les chefs de village qui ont été « achetés » pour recevoir l’aide et faire du clientélisme ? Les « experts » opportunistes ? Les fonctionnaires incapables ? Tous ont fait le lit des talibans, tous sont responsables de l’échec alors que la reconstruction était à portée de main.   

L’humiliation des Afghans atteint son paroxysme quand les opposants à Karzaï contestent le régime présidentiel et réclament une révision de la constitution d’une part et l’ouverture d’une représentation des talibans au Qatar qui est encouragée par les Allemands et les Américains d’autre part. Les talibans disent haut et fort qu’ils ne respecteront pas la constitution afghane et que leur partenaire officiel c’est la communauté internationale et pas le régime de Kaboul. Bien sûr, pour rassurer le Président Karzaï, les Américains lui tapent sur l’épaule, et M. Karzaï se déplace en Europe pour signer des contrats de coopération bilatéraux, mais tout cela n’est pas très rassurant. Faut-il rappeler encore et encore que, quand en 1989 l’armée soviétique s’est retirée d’Afghanistan, l’Union soviétique aussi laissait au communiste Nadjibullah une armée hyper équipée et très bien préparée. Cela n’a pas duré plus de 3 ans. En très peu de temps, le régime communiste s’est fissuré, les casernes ont été vidées. La guerre civile a détruit Kaboul faisant 60 000 morts. En 1996, les talibans sont allés chercher le président communiste afghan dans le bureau des Nations Unies pour le pendre. Faire confiance aux talibans, c’est faire se répéter l’histoire volontairement, tirer un trait sur le peu de reconstruction, la démocratie balbutiante, les droits de l’Homme et de la Femme… Avant les interventions soviétique et américaine, l’Afghanistan était une nation sans État ; aujourd’hui l’Afghanistan a un semblant d’État, mais le tissu social et économique qui faisait une nation est complètement détruit. Est-ce cela que la communauté occidentale laissera en héritage après 2014 ?  

J’ai très peur que les quelques innocents formateurs militaires que vous laisserez en Afghanistan pour vous donner bonne conscience ne subissent le même sort que les soldats britanniques en 1842… dont le Dr Brydon a été le seul témoin survivant d’une armée de quelque 4 500 combattants et 120 000 accompagnateurs.  

Même le retour des armes dans les pays occidentaux doit être très surveillé. On vient d’apprendre en effet que, en marge du rapatriement de leurs troupes, les Canadiens ont réexpédié des containers d’armements et de munitions… containers dont on a découvert à leur arrivée au Canada qu’ils avaient été remplis de pierres et non des armes à transporter... Il faut attendre que le gouvernement canadien fasse une enquête pour savoir entre les mains de qui sont tombées ces armes.  

Face à  l’échec politique, économique et militaire de l’Afghanistan, il est normal que les soldats se retirent et que les Afghans eux-mêmes assurent la sécurité de leur territoire. Cependant, la grande question qui reste à résoudre, c’est de savoir qui va s’occuper des questions de développement et de reconstruction après le retrait des armées en 2014 car, depuis 2002, ce ne sont pas des Afghans ni des experts en développement mais des équipes provinciales militaires, les PRT, qui assurent cette mission. Qui va remplir ce rôle ? Quelles conséquences va avoir ce trou d’air économique sur la situation politique nationale et régionale de l’Afghanistan ?  

Au risque de me répéter, je souhaite que le futur président de la République française, comme préalable à toute aide, exige des dirigeants afghans qu’il organise un recensement de la population, une distribution de papiers d’identité, la reconnaissance des titres de propriété  et qu’il entreprenne le cadastre du milieu rural.  

Si ce conseil avait était écouté depuis 2002, le vendredi 20 janvier dernier, les quatre militaires français n’auraient pas été assassinés par un taliban infiltré dans le camp militaire de Gwan, à 50 km au nord-est de Kaboul.

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