Le 14 décembre, se réuniront à Paris, à l’initiative de la France et de l’Afghanistan, les représentants des pays voisins de celui-ci pour réfléchir sur les relations politiques interrégionales.
Encore une nouvelle réunion pour parler de quoi ? Comment partager les 20 millions de dollars promis par la Conférence de Paris en juin dernier, alors que l’Afghanistan n’a pas su se doter depuis 8 ans des moyens et des structures lui permettant d’utiliser l’argent de la communauté internationale au profit de sa reconstruction et de son développement.
L’Afghanistan est encore aujourd’hui victime de l’anarchie internationale. Des dizaines de pays, dont le plus riche est les USA et le plus pauvre le Bengladesh, convoitent cet argent pour le dépenser à travers les 500 ONG internationales et plus de 2000 ONG afghanes ( sous-traitantes des ONG occidentales ) présentes sur le terrain. L’Etat afghan n’a aucune influence et aucun contrôle sur ces ONG. A chaque fois que l’Etat demande la coopération des ONG, il se heurte à des dénégations polies. Les ONG n’ont besoin de l’Etat que pour obtenir les autorisations nécessaires à la mise en œuvre de leurs propres projets. Au lieu de travailler en synergie avec l’Etat, les responsables occidentaux de ces ONG choisissent et décident de l’affectation de leurs capitaux. Ils sont là pour effectivement dépenser l’argent mais ils n’ont aucune obligation de résultats, d’où l’anarchie, d’où l’échec actuel de la reconstruction. Il en découle une perte de confiance totale du peuple afghan envers les occidentaux et le gouvernement afghan mis en place par la Conférence de Bonn ( Décembre 2001).
L’anarchie est tout aussi importante sur le plan militaire parmi les troupes de l’OTAN : 27 pays ont des soldats en Afghanistan. Ils sont soumis à 27 administrations nationales de leurs propres pays, 27 langues différentes, 27 types d’armements, 27 types de nourritures qui sont importées par avion tous les soirs en Afghanistan. Ils sont là « pour lutter contre le terrorisme ». Mais, dans la réalité, ces militaires sont là pour des raisons obscures incomprises par le peuple afghan : le positionnement géostratégique, les intérêts militaro-industriels, les expérimentations militaires, la circulation du pétrole …
Au lieu de s’occuper de la protection civile des populations, ils se protègent eux-mêmes et de ce fait, ils mettent l’Etat et toute l’administration en porte-à-faux avec la population.
La population au désespoir descend dans la rue et manifeste ( comme la semaine dernière à Kaboul). L’Etat afghan n’a rien à proposer et en Occident, à Paris, on fait des conférences ! Ce sont les Occidentaux qui ont mis en place Karzaï et son équipe. Mais pour rassurer leurs propres électeurs en Occident, ils essaient de faire croire que ce gouvernement a été élu démocratiquement par le peuple afghan. Le peuple est otage de l’ambiguïté du gouvernement et de la communauté internationale. Dans un an, il y aura de nouvelles élections : quel bilan le Président Karzaï pourra-t-il établir ? Et avec la crise financière en Occident, quel pays va mettre la main à la poche pour trouver 250 à 300 millions de dollars rien que pour organiser ces élections fictives ?
En 2001, les talibans ont été chassés du pouvoir et il fallait les chasser parce que l’intégrisme sévissait. Par ignorance, ils ont privés les femmes de leurs droits les plus élémentaires. Ils ont fermé les écoles, éteint les télévisions et les radios, et interdit la musique. Mais les Afghans qui sont anéantis aujourd’hui par l’insécurité et la guerre regrettent les talibans en disant que quand les talibans étaient là, la corruption n’existait pas, que le prix du pain était stable, que les gens qui se soumettaient à la loi des talibans étaient en sécurité.
Aujourd’hui, les prix des produits alimentaires ont considérablement augmenté ; à Kaboul et les autres grandes villes les loyers d’une maison digne de ce nom sont hors de portée des afghans. A tout ceci s’ajoute les dangers liés à la consommation d’eau potable prélevée dans une nappe phréatique contaminée par tous les rejets dans la nature en dehors de tout réseau d’assainissement.
La régionalisation de l’économie et l’ouverture des marchés afghans à des produits bon marché pour ne pas dire de médiocre qualité, importés de Chine, du Pakistan, d’Iran, tuent l’artisanat, l’industrie et l’agriculture afghanes. Depuis 2002, l’économie nationale n’a pas créé un seul emploi. Aucune des 70 sociétés nationalisées sous l’ancien régime qui employaient environ 85000 afghans n’a pu s’adapter à l’économie de marché. Tous ces emplois ont disparu. Aujourd’hui les revenus des fonctionnaires ne leur permettent pas de vivre. Un instructeur étranger gagne 10000 dollars par mois, un interprète afghan 500 dollars, et un soldat afghan 50 dollars. Avec ces 50 dollars, il peut tout juste nourrir les 7 membres de sa famille de pain sec pendant 2 semaines.
A Paris, le 14 décembre, il y aura encore une Conférence sur L’Afghanistan, le terrorisme, la reconstruction … Et à Kaboul, et en Afghanistan, pendant ce temps-là, 80 % de la population crève de faim et de froid dans des villes où l’insécurité est telle qu’ils ne sortent plus pour ne prendre le risque d’être kidnappés, rançonnés, violés ou abattus.
Le changement de politique des occidentaux consiste à régionaliser les problèmes afghans. C’est de nouveau trahir le peuple afghan plutôt que d’avouer l’échec de la reconstruction. Si on contourne les exigences de cette reconstruction parce que les occidentaux n’ont pas de courage et que le gouvernement afghan n’a pas l’audace de l’assumer, après Bombay, c’est toute la région qui risque de s’embraser.