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Billet de blog 11 février 2014

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Monsieur le président Obama,

Monsieur le Président, C’est la deuxième fois que je m’adresse à vous au sujet de l’Afghanistan, mon pays natal.Afghan qui a la chance de vivre son exil dans le sud de la France, je suis conscient des limites de mon invisibilité politique et de citoyen ordinaire mais suis un observateur et un témoin des interventions de votre pays en Afghanistan depuis 1978.

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Monsieur le Président, 

C’est la deuxième fois que je m’adresse à vous au sujet de l’Afghanistan, mon pays natal.

Afghan qui a la chance de vivre son exil dans le sud de la France, je suis conscient des limites de mon invisibilité politique et de citoyen ordinaire mais suis un observateur et un témoin des interventions de votre pays en Afghanistan depuis 1978.

Les tensions de ces derniers mois entre Washington et Kaboul et le refus du Président Karzaï de signer le Pacte de sécurité avec votre gouvernement, malgré l’accord de la Loya Djerga afghane, et l’insistance voire l’avertissement des responsables de l’OTAN et de l’ONU, m’incitaient au silence et à la perplexité. Cependant, les déclarations de votre ancien ministre de la Défense, M. Robert Gates, dans le livre de ses mémoires publié en janvier dernier auquel la BBC a fait un large écho, m’oblige à reprendre ma plume pour vous interpeller au sujet de votre propre responsabilité consernant la dégradation de vos relations avec le Président Karzaï depuis sa deuxième élection douteuse en 2009. Si les écrits de M. Robert Gates sont le reflet de la réalité, vous retirez vos armées de l’Afghanistan fin 2014 non parce que vous n’avez pas su obliger les talibans à déposer les armes et que vous avez échoué à aider le peuple afghan à reconstruire son pays, mais parce que Karzaï ne vous écoutait pas comme il écoutait votre prédécesseur G.W. Bush. Autrement dit, depuis 2009, tous vos changements de stratégie, l’envoi de troupes supplémentaires ou des négociations secrètes avec les chefs talibans étaient les conséquences de la dégradation de vos relations personnelles avec Karzaï et non la recherche d’une solution équitable pour reconstruire un  pays en paix. 

Dimanche 2 février, la campagne présidentielle pour la transition du pouvoir a commencé en Afghanistan. Onze candidats s’affrontent dans une ambiance chaotique pour devenir «  président roi » d’un pays en ruines et d’une nation sans État.

Faut-il vous rappeler qu’aujourd’hui en Afghanistan il n’y aurait pas d’élections si, le 11 septembre 2001, votre propre pays n’avait pas été victime des terroristes ? C’est suite à cet évènement triste que Karzaï fut désigné comme chef du gouvernement provisoire par votre prédécesseur, Georges W. Bush. À l’époque, Karzaï était un inconnu qui n’avait aucune envergure d’homme d’État… mais qui possédait un passeport américain. Ce sont les gouvernants occidentaux et l’ONU qui, lors de la conférence de Bonn fin 2001, l’ont propulsé comme homme providentiel de la reconstruction sans lui imposer de conditions ni de règles à respecter ni de comptes à rendre.

Ainsi a-t-il pu s’imaginer par cette désignation au pouvoir politique que le trône de l’Afghanistan lui avait été donné par le ciel ! Comme le roi Abdul Rahman dont il se réclame l’héritier.

Dans l’ivresse du pouvoir mais sans expérience politique, sous l’influence des conseillers et experts américains, il tombe aveuglément dans les travers de l’improvisation et la pratique du pouvoir selon ses propres critères : un semblant de modernité pour capter l’aide et la confiance de la communauté internationale, le consensus avec ses adversaires et l’abandon total de la reconstruction du pays aux militaires de l’OTAN, aux diplomates onusiens et américains et aux ONG.

C’est dans ce contexte que fut rédigée la nouvelle constitution afghane par vos constitutionalistes et des experts internationaux. Parmi eux, le regretté Guy Carcassonne, éminent constitutionnaliste français, qui a été très mécontent du résultat de ces travaux dont il a dit à l’époque : « J’ai échoué dans la rédaction de la Constitution de l’Afghanistan ».

En avril prochain, si tout se déroule correctement, l’Afghanistan va avoir un nouveau président. Tout le monde sait que les conditions climatiques, politiques et sécuritaires sont telles que, parmi ces onze candidats, sera désigné celui qui aura votre consentement et le consentement de M. Karzaï.

De grâce, Monsieur le Président, pour que le futur président d’Afghanistan ne partage pas le pouvoir entre ses rivaux et qu’il travaille à un meilleur avenir pour son peuple, il faut exiger de lui :

-       qu’il ne confonde pas l’Islam religion et l’Islam politique. L’Islam en tant que religion est une spiritualité qui incite l’homme à s’élever et à devenir plus humain dans sa vie quotidienne, tandis que l’Islam politique -vous en avez fait l’expérience avec les talibans- sème la terreur, incite à l’obscurantisme et abolit les droits fondamentaux de l’homme.

Je me souviens que lorsque j’étais enfant, mes aînés nous disaient que « essuyer les larmes d’un enfant ou voler au secours d’une vieille femme, veuve et impotente, équivaut à mille pèlerinages à la Mecque »…

-       qu’il œuvre avant toute chose à la mise en place de la République, mission dans laquelle le Président Karzaï a échoué lamentablement. La République a besoin de la laïcité ; la laïcité c’est le fondement de la modernisation qui amène la démocratie, la bonne gouvernance et la lutte contre les privilèges. La laïcité permettra au peuple afghan de ne pas écouter ses chefs religieux et politiques qui avant toute prise de parole invoquent le nom de Dieu et récitent des versets du Coran pour berner la population et devenir, au non de la religion, parasites corrompus de la société et obstacles au progrès.

-       qu’il respecte le bien public et l’environnement, deux autres points noirs de ces douze dernières années et une cause essentielle du retour des talibans.

Faut-il rappeler que des milliers de maisons, des centaines de petites et grandes villes, des centaines de casernes militaires ont été construites par des individus, les chefs de guerre ou même les soldats de l’OTAN, sur des terres qui étaient soit des propriétés privées soit des terres communales. Une telle situation empêche les paysans de travailler et les nomades de circuler et discrédite  l’État.

Douze années de perdues et des milliards de dollars gaspillés et l’Afghanistan n’a pas encore commencé sa reconstruction car l’État afghan ne dispose ni de cadres ni de fonctionnaires compétents ni même d’institutions indispensables. D’où le gaspillage et l’incompétence soulignée par des rapports récents des experts américains. À cause d’une méconnaissance totale de l’histoire économique  et sociale de l’Afghanistan, depuis 2002 la confusion a été totale entre la reconstruction des ruines des guerres et le développement économique.

Si les élections d’avril prochain se passent bien, ce sera la première fois que le peuple afghan pourra choisir un président sans intervention étrangère.

De grâce, Monsieur le Président, n’accordez pas une autre carte blanche à celui que vous souhaitez désigner comme nouveau chef d’État afghan.

Avec mon respect et ma gratitude,

Habib Haider

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