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Billet de blog 16 mars 2011

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Afghanistan: à quand un Printemps du Jasmin?

Devant l'immensité des catastrophes du Japon et la grande espérance du Printemps du Jasmin dans les pays arabes, parler de l'Afghanistan semble presque dérisoire. Pourtant, à partir du 21 mars prochain, commence la transition de pouvoir de l'armée de l'OTAN à l'armée nationale afghane.

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Devant l'immensité des catastrophes du Japon et la grande espérance du Printemps du Jasmin dans les pays arabes, parler de l'Afghanistan semble presque dérisoire. Pourtant, à partir du 21 mars prochain, commence la transition de pouvoir de l'armée de l'OTAN à l'armée nationale afghane. Pour assurer la sécurité dans six régions dont les noms seront précisés par le président Karzai à l'occasion du Jour de l'an afghan. Ce retrait aurait pu marquer l'histoire si la reconstruction promise aux Afghans par la communauté internationale en 2001 avait réellement vu le jour. Dans la pratique ce n'est pas le cas :car la reconstruction de l'État est au stade de balbutiement, le gouvernement afghan n'est toujours pas complet, certains ministères travaillent avec des responsables mais pas de ministres et la tension est très forte entre Karzaï et le Parlement dont la majorité ne le soutient pas. En soi, cette passation était attendue mais le climat politique est très violent : les attentats, les enlèvements arbitraires, la corruption, la culture du pavot, la violation des droits de l'homme et de la femme sont quotidiens. La nouveauté qui perce désormais c'est une intolérance ethnique qui se traduit par des déclarations de ministres du gouvernement souhaitant la soumission des ethnies minoritaires à la majorité pashtoune. Dans les administrations il arrive aussi que, quand le responsable est un Pashtoune, il exige que la correspondance administrative et la conversation se fassent uniquement en pashtoun au lieu du dari qui était la langue administrative commune à toutes les ethnies depuis 1747, date de la création de l'État afghan.
Sous la pression à la fois du président afghan dont les relations avec l'administration américaine se sont beaucoup dégradées depuis sa réélection controversée et de l'opinion publique internationale (73% des Américains estiment que les USA devraient retirer leur troupes d'Afghanistan selon un sondage du Washington Post ABC indique Libération du 15.3.2011), ce retrait va avoir lieu à partir du 21 mars et prendra fin en 2014. Évidemment, au niveau international, l'échec de la reconstruction de l'Afghanistan depuis 2002 et le fait que l'opinion publique occidentale ne croit plus à l'avenir de ce pays font que maintenant l'Amérique et ces alliés de l'OTAN et le gouvernement afghan mis en place par la communauté internationale sont contraints d'accepter ce retrait. Faute d'une vraie reconstruction de l'État, les institutions publiques aujourd'hui sont dans l'incapacité de fonctionner pour préserver la cohésion nationale tant espérée par les stratèges occidentaux. C'est l'échec sur toute la ligne mais aucun expert militaire ou civil ne veut l'avouer. D'autant plus que la politique de la main tendue aux talibans ne donne pas les résultats espérés et que les élections frauduleuses ont disqualifié aussi bien la présidence que l'Assemblée nationale afghane sur leur capacité à diriger le pays. D'où la présence de plus de 2 000 ONG et de dizaines dePRT (équipes de reconstruction provinciales militaires) qui prouvent l'absence de l'État en ce qui concerne la mise en place d'organes pour assurer le bon fonctionnement du pays. Cette absence de l'État fait que la presse parle de gaspillage, de détournement de l'argent de l'aide, d' « achat » des talibans pour obtenir la paix. Quand l'argent disparaît, l'Etat est dans en mesure de savoir comment et où est parti cet argent. Mais il se dérobe pour traduire le coupable devant la justice ! Comme c'est souvent l'argent qui sert à payer les salaires des fonctionnaires, des policiers et des militaires, la communauté internationale est amenée à réinjecter de l'argent dans les caisses fréquemment.
Après le 21 mars, dans 6 régions du pays (environ 1/3 du pays), l'État afghan va assurer la sécurité avec une armée afghane mal préparée, absolument pas motivée -parce que les soldats ont rejoint l'armée pour des raisons de survie alimentaire- et qui ne va aujourd'hui sur le terrain qu'encadrée, financée, armée et véhiculée par les instructeurs des armées occidentales. En 2014, l'armée afghane devrait compter quelque 300 000 soldats et policiers aujourd‘hui payés en moyenne 50 euros par mois par la contribution occidentale. Qui les paiera après le départ des Occidentaux ?
D'un point de vue politique, la main tendue vers les talibans est dans l'impasse : les talibans ont posé comme condition le retrait des armées occidentales. En 2014, nous allons probablement aboutir à une « paix » fabriquée à coup de négociations et d'échanges d'intérêts. Ces négociations sont l'annonce d'une tribalisation du pouvoir et de l'affaiblissement de l'État central au profit des ethnies des différentes tribus. D'où le risque d'une régionalisation progressive du pouvoir politique au profit des chefs tribaux qui se comportent comme des prédateurs et non comme des hommes d'État.
La tribalisation politique et la décentralisation du pouvoir entre les mains de chefs tribaux dans les régions concernées alors que la majorité de la population est illettrées, sans conscience politique et vivant dans des condition de survie économique représentent un grave danger pour la poursuite du développement économique tel qu'il est conçu par la communauté internationale et pour la démocratie et l'avenir du peuple.
Malheureusement, en Occident, tous les experts pensent qu'il faut aider les Afghans à se développer afin que le développement économique et social amène la démocratie et la sécurité. Le développement qui se fait, au coup par coup, par les ONG, par les PRT ou par l'État, est détourné par les chefs de guerre : si on installe l'électricité dans un village, le chef de guerre demande la gratuité ou s'il faut payer, c'est lui qui -en l'absence de l'État- sera payé. Si on soumet le destin de la nation au bon vouloir des chefs de guerre, il est naturel que ces gens-là monnayent l'avenir du développement économique et social à leur propre profit et au détriment du peuple. Cela est un grand danger que le retrait des armées occidentales laissera en héritage pour le peuple afghan.
Pour voir le Printemps de l'Afghanistan, il faudra attendre encore quelques siècles...

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