Habib Haider

Abonné·e de Mediapart

34 Billets

0 Édition

Billet de blog 22 juillet 2009

Habib Haider

Abonné·e de Mediapart

Qui se soucie des Afghans?

En Afghanistan, le 20 août prochain, si tout ne va pas plus mal, auront lieu « les secondes élections présidentielles et provinciales ».

Habib Haider

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

En Afghanistan, le 20 août prochain, si tout ne va pas plus mal, auront lieu « les secondes élections présidentielles et provinciales ». Alors que la guerre et les exactions s’intensifient sur 80% du territoire, la communauté internationale avec l’ONU à sa tête, fait tout ce qu’elle peut pour inciter la population à aller accomplir son « devoir démocratique ». De leur côté, les talibans font tout pour empêcher les électeurs de se rendre aux urnes. Politiquement parlant, pour le moment, et en attendant des alliances de toutes natures, 41 candidats s’affrontent : un président sortant, une multitude de chefs de guerre et de trafiquants de drogue, quelques anciens communistes et un taliban. Ni le Président Karzaï, ni aucun des quarante autres n’ont de programme politique ; ils ne défendent que leurs propres intérêts et depuis 5 ans, dans le parlement afghan, nous n’avons pas vu un quelconque mouvement politique se former pour défendre les intérêts supérieurs du peuple. Devant cette situation-là, le peuple citoyen sera électeur grâce à une carte d’électeur factice. Sima Samar - Présidente des Droits de l’Homme en Afghanistan est très inquiète : « Le taux des femmes inscrites sur les listes électorales - environ 72 % - est anormalement élevé. La condition féminine ( interdiction faite aux femmes de se présenter à visage découvert pour faire une photo...) et la procédure utilisée ont certainement rendu possible des inscriptions frauduleuses en quantité. » Cela ne sera pas sans conséquence sur les résultats du scrutin dans les 28000 bureaux de vote quelle que soit la vigilance des observateurs internationaux. Malgré la difficulté à comprendre cette situation au travers des seules informations de nos médias occidentaux, essayons de nous mettre à la place d’un citoyen électeur afghan dont les terres ont été confisquées par un chef de guerre, dont le frère a été tué à la campagne parce qu’il est allé revendiquer son lopin de terre, ou de cet ouvrier qui attend un boulot depuis 5 ans et qui est réduit à la mendicité ou à la prostitution, ou dont la femme a été violée parce que les occidentaux ont distribué largement du « Viagra » pour soudoyer les chefs de village.

Dans quel état d’esprit, avec quelle confiance, quelle espérance, les gens du peuple pourront-ils aller voter ? Maintenant que l’heure du bilan est arrivée et que le Président Karzaï remet son mandat en jeu, il n’a rien à présenter et avoue que s’il a échoué dans la reconstruction du pays, c’est que la communauté internationale ne lui a pas donné les moyens pour faire face. En 2001, lors des Accords de Bonn, après huit jours de tractations et de pressions diverses, Karzaï, fils d’un chef de guerre pachtoune et représentant de la compagnie pétrolière américaine UNICAL a été désigné par défaut alors qu’il se trouvait quelque part en Afghanistan.

Sa mission officielle vis à vis du peuple afghan était de mettre en marche la reconstruction du pays. Dans la réalité, il réalisait la feuille de route établie par l’ONU et la communauté Internationale, mais échouait lamentablement dans la construction de la nouvelle société afghane, après 30 années de guerre et 50 années de développement inadapté aux besoins sociaux et économiques de l’Afghanistan.

Les Américains - au travers de leur ambassadeur d’origine afghane, Monsieur Zalmay Khalilzad - s’immisçaient dans les affaires intérieures de l’Etat afghan par sa présence constante auprès du Président, jusqu’à lui conseiller le choix de tel ou tel ministre pour telle ou telle mission.

Vis à vis du peuple le Président Karzaï n’a pas de légitimité traditionnelle :

1° il n’est vainqueur d’aucune guerre : dans la culture afghane on obtient le pouvoir par le sabre et on s’impose par la force.

2° il n’a aucune expérience de la gouvernance d’un Etat.

3° sur le plan personnel et psychologique, il n’a pas la carrure d’un Chef d’Etat.

Son autorité s’arrête à la porte de son bureau et les ministres s’occupent de leurs propres fonds de commerce. En l’absence totale d’une politique de l’Etat Afghan pour la reconstruction, plusieurs institutions internationales ont pris le pouvoir pour construire l’Afghanistan des experts et non pas celui des Afghans : !’UNAMA (Organisation politique de l’ONU pour l’Afghanistan), la Banque Mondiale, la FAO, la Banque Asiatique de Développement, les USA, l’Union Européenne sans oublier le Japon, le Pakistan, le Bengladesh, la Chine, la Russie l’Iran , etc... Tous ces pays là se sont jetés comme des vautours sur les fonds alloués pour la reconstruction et sans rendre de comptes à qui que ce soit.

Par exemple : les Britanniques se sont chargés de lutter contre la culture du pavot en donnant de l’argent aux cultivateurs pour qu’ils cessent cette culture sans aucune concertation avec le Ministère de l’Agriculture ni aucune proposition de culture de remplacement. Résultat : tout le monde s’est mis à cultiver le pavot pour toucher la prime d’arrachage ! Un autre exemple : les Japonais se sont donnés la tâche du désarmement et de la collecte des armes en vue de leur destruction. Ils rachetaient les armes d’où l’amplification du trafic d’armes avec les pays étrangers pour toucher les primes.

Un autre exemple encore : le HCR, le Haut Commissariat aux Réfugiés a organisé depuis 2002 le retour au pays des afghans des camps de réfugiés du Pakistan, de l’Iran, de l’Inde en donnant à chaque famille 100 dollars, une porte, une fenêtre et quelques poutres sans avoir une politique réelle de réinsertion dans l’économie du pays (environ 5 millions de personnes ). Cela a entraîné des allers et retours entre les camps et le pays, et la construction illégale de milliers de bidonvilles dans la périphérie de Kaboul et de toutes les grandes villes, sans que le maire nommé par le gouvernement fasse quoi que ce soit.

La communauté internationale n’a pas le droit de s’étonner ni de nier la résurgence et l’intensification de la guerre sur la totalité du territoire Afghan. Les stratèges américains et britanniques, par non connaissance de l’Afghanistan et de son peuple, choisissent l’intensification de la guerre pour imposer la sécurisation territoriale et le développement économique. Or l’Afghanistan a d’abord et fondamentalement besoin de structures et de réformes institutionnelles extrêmement profondes qui vont contre les intérêts des chefs de guerre avec lesquels les militaires occidentaux cherchent à faire alliance.

Il est impératif dès aujourd’hui que la communauté internationale assume ses responsabilités à l’heure du bilan et à la veille de nouvelles élections dans l’intérêt bien compris des Afghans.

Quand on est Afghan, avec tout le respect et l’admiration qu’on peut avoir pour lui - comment croire à la sincérité du Président Obama, quand il fait de l’Afghanistan sa priorité en promettant de sortir du bourbier et en même temps en envoyant des milliers de soldats supplémentaires, alors que nous avons besoin de millions de bâtisseurs civils qui parlent la langue, qui comprennent la culture, qui respectent les hommes et les femmes de ce pays et leur environnement ?

Président Obama, n’êtes-vous pas déjà prisonnier des lobbies militaires, pétroliers et financiers ?

Devant tant de désespoir, n’est-il pas à craindre une réaction spontanée et violente des afghans qui risquent de sortir dans la rue non pas pour manifester mais pour s’en prendre physiquement à tout ce qui pourrait représenter d’une manière ou d’une autre les intérêts occidentaux ? En Mai 2006, à Kaboul, on a déjà assisté à une réaction de ce genre.

Il est grand temps de traiter les afghans comme des hommes et des femmes qui réfléchissent et comprennent pourquoi l’OTAN et l’armée américaine font la guerre en Afghanistan...

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.