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Billet de blog 23 mars 2025

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Zakia, a choisi l’agriculture paysanne pour devenir autonome

Habitant « Ata-Khouja », village situé dans le district de Cheberghan au nord de l’Afghanistan, Zakia, une jeune fille afghane de vingt-quatre ans se donne comme objectif de devenir paysanne pour avoir un avenir

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Mon attention a récemment été attirée par un article lu sur le site Afghan German Online qui reprenait une interview parue dans un journal local afghan, Pajwak, le 13/3/2025 : habitant « Ata-Khouja », village situé dans le district de Cheberghan au nord de l’Afghanistan, Zakia se donne comme objectif de devenir paysanne pour avoir un avenir, en aidant  son vieux père de 70 ans dont le dos est courbé de fatigue. Elle raconte au journaliste :

- Vous voyez ! Chaque mauvaise herbe que je ramasse en bêchant cette terre a une valeur vitale pour moi [ ]

- Cette activité ancestrale n’est pas uniquement pour moi une activité alimentaire, mais en plus c’est un moyen qui assure mon autonomie alimentaire, et une garantie pour assurer mon indépendance économique et sociale.

Pour ne pas dépendre des aléas du marché, Zakia et son vieux père cherchent à vivre en autarcie.

Cette agriculture paysanne, soucieuse des contraintes du milieu et respectueuse des hommes et des animaux que nous connaissons sous le nom d’agro-écologie est une pratique très ancienne en Afghanistan.

Dans ce berceau de l’agro-pastoralisme, l’autarcie était l’économie qui aidait les Afghans à inventer des us et coutumes pour échapper aux aléas naturels et économiques.

À cette fin, les habitations en ville comme à la campagne étaient conçues sur le plan architectural pour que leurs occupants puissent transformer, conditionner et stocker les aliments que les paysans produisaient dans des ceintures périphériques des villes et des villages, en utilisant également les déchets domestiques.

Jusqu’aux années 1950, avant que le pays connaisse l’aide au développement et l’aide alimentaire, l’agriculture paysanne dans laquelle les échanges marchands avaient peu de place assurait la totalité des besoins alimentaires de la population.

Dès l’époque où le pays cherche à se développer, l’exode rural, le développement des échanges marchands sous l’influence des khans, maleks et beys (féodaux usuriers) - sans oublier l’urbanisation sauvage - font que la pratique de la ceinture verte des grandes villes disparait.

Les réseaux d’irrigation se voient obstrués.

Les nomades rencontrent des difficultés pour approvisionner les villes en produits laitiers et viande.

Le crise alimentaire commence à montrer son nez. Les aliments manquent et les prix augmentent.

Pour faire face à ce problème, le gouvernement va demander de l’aide aux États-Unis et intervenir sur les marchés intérieurs : création de la direction de l’alimentation, de coopératives d’approvisionnement pour les fonctionnaires et les militaires, par exemple.

De nos jours, les chercheurs et les spécialistes de l’Afghanistan accordent trop peu d’importance aux crises alimentaires de 1945 et 1971 et ne font pas le lien entre la disparition de l’agriculture paysanne, les conflits entre paysans et nomades (crise de l’agro-pastoralime) et la prise de pouvoirs par les talibans.

Pourtant, si nous y regardons de près, la cause essentielle des troubles politiques et économiques et de la crise alimentaire du pays a son origine dans l’absence de réformes adaptées et l’abandon de l’agriculture paysanne en Afghanistan.

Depuis 2021, les talibans ont hérité de leurs prédécesseurs un pays non seulement traumatisé par des années de guerres et des affrontements inter-ethniques, mais en même temps un pays menacé constamment par des crises climatiques sans oublier les centres urbains entièrement dévastés par des bâtiments inadaptés aux besoins économiques et aux habitudes culturelles.

Les nouveaux appartements en briques cuites et en béton armé ne sont ni adaptés aux besoins climatiques ni à des habitudes de préparation et de stockage d’aliments pour toute une saison, voire plusieurs années.

Les nouveaux centres urbains n’ont pas uniquement envahi les ceintures vertes et alimentaires, ils polluent aussi l’environnement avec des déchets en plastique et les déchets domestiques humains qui souillent les nappes phréatiques qui, par ailleurs,  n’arrêtent pas de baisser.

Depuis le retour des talibans, sous les yeux ébahis des experts, le pays s’enfonce dans des crises multiples.

À la perte de liberté, l’humiliation des femmes et la privation de scolarisation des filles s’ajoutent de grave problèmes sociaux et économiques.

La famine qui affecte 24 millions de femmes et d’hommes montre que les talibans par leur indifférence abaissent les êtres humains tout en tuant l’âme de leurs compatriotes.

Devant une telle situation, le retour des filles vers une agriculture paysanne respectueuse de l’Homme et de l’environnement est un exemple pour leurs frères. Cette recherche de l’autonomie est l’unique voie pour lutter contre la faim et les confits et un moyen pour vivre en paix.

Il faut lire les propos de Zakia pour comprendre son intérêt pour l’agriculture paysanne et l’enseignement qu’elle dispense.

Rappelons que les règles de l’autarcie et les pratiques de son agriculture ont été théorisées dès le XVIe siècle par un agronome persan de Hérat, Qassem ben Yossof Aboul Nasser Herawi[1]. Né en 1542, il a rédigé le premier guide de pratique agricole.

Contemporain d’Olivier de Serres (1539-1619), premier agronome français reconnu comme le père de l’agriculture moderne en France, Herawi non seulement louait le métier d’agriculteur, mais recommandait en même temps l’agriculture paysanne et les pratiques agro-écologiques nécessaires à l’autosuffisance de la population.

L’agriculture paysanne que Zakia veut remettre au goût du jour a beaucoup souffert de l’ignorance et du mépris des gouvernants afghans depuis des années.

Quels mots choisir pour que, à l’avenir, l’exemple de Zakia se multiplie afin que le pays ne tende plus la main pour obtenir l’aide alimentaire et puisse sortir des crises politiques, économiques, climatiques et environnementales ?

La réalisation de ce souhait n’est possible que si les gouvernants actuels et futurs d’Afghanistan trouvent de vraies solution aux conflits qui concernent les terres et les pâturages pour que la population puisse vivre de son travail.

[1] Erchâd al Zerâ’a / Qassem ben Yossof Aboul Nasser Herawi (921 de l’hégire = 1542 après J.-C.), publication de l’Université de Téhéran (Iran), 1967.

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