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Billet de blog 23 juillet 2013

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Afghanistan : une page se tourne

Avec les élections présidentielles et le retrait définitif des troupes occidentales programmés en 2014, c’est une nouvelle page de l’histoire de l’Afghanistan qui va se tourner…

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Avec les élections présidentielles et le retrait définitif des troupes occidentales programmés en 2014, c’est une nouvelle page de l’histoire de l’Afghanistan qui va se tourner…

Sur le plan intérieur, les deux lois pour l'élection présidentielle et la commission de surveillance pour les élections ont été, après d’âpres discussions à l’Assemblée nationale et sous la pression de la communauté internationale, promulguées par le Président Karzaï.

Sur le plan international, les tensions entre le gouvernement afghan et Washington à propos de l’ouverture précipitée d’un bureau diplomatique des talibans à Doha ont été telles que les Américains ont rompu toutes les discussions avec le Président Karzaï, choisissant « l’option zéro » (1) qui prévoit un départ accéléré des soldats américains avant l’été 2014.

Quel héritage Karzaï et les Américains vont-ils laisser à l’Afghanistan ?

Sur le plan politique, bien que la constitution de 2004 désigne l’Afghanistan comme une République islamique, les droits et les devoirs des citoyens restent très flous. La reconstruction de la république a souvent été oubliée au profit d’intérêts personnels. Aussi, depuis 2001, le pays n’a pas retrouvé son unité nationale. Des tensions communautaires, ethniques et religieuses laissent le champ libre à des conflits entre Afghans et ouvrent une voie royale à des interventions extérieures (iraniennes, pakistanaises, etc.). Le « royaume de l’insolence » (2) risque de se transformer en enfer communautaire que le futur remplaçant de Karzaï (qui ne peut pas prétendre à un mandat supplémentaire), quelle que soit sa dimension ethnique et communautaire ou politique, aura du mal à affronter sans l’appui de la communauté internationale.

Chaque communauté est surarmée et les armes circulent librement dans la population. Les kalachnikovs et autres armes de guerre sont échangées à des prix variant entre 40 et 600 dollars au marché noir.

Sur le plan social, l’injustice sociale est à son comble : 80% des Afghans vivent avec 1 dollar par jour. Si la corruption, la culture du pavot, la contrebande disparaissaient de l’économie afghane en même temps que l’aide militaire et civile, l’économie afghane serait bloquée, quels que soient les salaires accordés aux militaires et aux policiers, et le peuple ne pourra pas manger.

Faute de sécurité dans les campagnes, l’exode rural est à son comble et le nombre de réfugiés est estimé, comme dans les années 2000, à 2 à 3 millions d’Afghans au-delà des frontières, au Pakistan et en Iran.

La situation des femmes, malgré les efforts considérables des associations de défense des droits des femmes, s’aggrave. L’État est incapable de rendre la justice et la justice mise en place depuis 2002 est non seulement corrompue mais incompétente. Très souvent, à cause de cette incompétence, la population dans les campagnes a recours à l’arbitrage des talibans. 

Bien sûr, 6 millions d’enfants vont à l’école mais ils n’y vont qu’une ou deux heures par jour et leur objectif n’est pas d’apprendre un métier mais d’apprendre l’anglais pour prendre le chemin de l’exil.

Oui, il y a quelques hôpitaux mais n’y sont soignés que ceux qui peuvent payer les honoraires et les frais en dollars, ou ceux qui sont pistonnés.

Les meilleures terres sont volées ou confisquées par les riches et les puissants, l’eau manque cruellement et le traitement des déchets domestiques est devenu un problème de santé publique.

Sur le plan économique, parallèlement à la production du pavot et à l’arrivée de sommes importantes de l’aide de la communauté internationale depuis 2002, nous avons vu quelques immeubles se reconstruire dans les grandes villes et l’activité due à la consommation créer quelques richesses. Mais tout ceci est très factice. Depuis sa prise de pouvoir, le gouvernement afghan n’a pas eu de véritable politique économique. Les conseillers ont vainement copié la politique économique héritée de l’époque de Abdul Rahman (1880-1901) et de Nader (1928-1933). Ces politiques consistaient à développer la commercialisation des excédents des produits agricoles à l’étranger et ainsi augmenter les revenus de l’État grâce à des taxations douanières. L’alliance du pouvoir central avec les chefs  tribaux et religieux était un excellent tandem pour maintenir la population dans l’ignorance et ainsi assurer la paix sociale.

Depuis 2002, cette politique économique a été poursuivie avec des variantes modernes utilisant l’aide internationale pour développer l’agriculture, l’industrie, le commerce, la banque… Faute de vraies réformes, comme dans le passé, toutes ces dépenses et ces efforts n’ont rien donné ni pour le développement agricole, ni pour la création d’emplois dans l’industrie, ni pour le développement des banques. Seulement 4 % des Afghans ont accès à un compte en banque.

Faute de sécurité et d’institutions garantissant les investissements, mis à part dans le commerce, personne n’ose investir dans l’agriculture ou dans l’industrie. L’artisanat local en subit le contrecoup. Les tapis des nomades et des artisans afghans sont délaissés au profit des tapis industriels importés, et les fruits et légumes produits dans les villages afghans ne trouvent pas de débouchés, à cause de la concurrence des fruits et légumes chinois.

Le fardeau laissé pour le successeur de Karzaï est énorme.

La reconstruction que la communauté internationale (surtout les experts américains, de la Banque mondiale, du FMI, de la Banque asiatique de développement, et de l’ONU) a dictée au gouvernement afghan ne correspondait aucunement à la réalité économique ni aux besoins d’un pays détruit par des décennie de guerres. Faute de quoi, les Afghans ont changé de comportement économique. Ils sont devenus des consommateurs de couches-culottes, de papier hygiénique importés de Chine et de canettes de Coca-Cola périmées. Et tout cela grâce aux « dons » de la communauté internationale et grâce à la culture du pavot exclusivement cultivé pour l’exportation.

Ces comportements irresponsables ont dégradé de façon cruelle l’environnement. 18 millions d’Afghans utilisent un téléphone portable et c’est autant de cartes de téléphone en plastique qui sont régulièrement jetées dans la nature sans déranger personne ! Bien sûr, le téléphone permet aux Afghans de devenir des citoyens du monde et de communiquer avec le cousin en exil en Occident. Mais ce téléphone portable ne participe nullement à un développement économique équitable, indispensable pour l’avenir de l’Afghanistan.

Avec le retrait définitif des forces occidentales et les élections présidentielles d’avril 2014, une page de l’histoire Afghane se tourne. La nouvelle page que les futurs dirigeants de l’Afghanistan doivent écrire nécessite une révision à 100 % de l’ensemble des politiques économique, sociale et environnementale de l’Afghanistan. Avec ou sans les talibans ?

(1) Cf. Afghanistan : l’« option zéro » ? / René Backmann, Le Nouvel Observateur n° 2541, 18-24 juillet 2013

(2) Selon l’expression de Michael Barry

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