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Billet de blog 25 nov. 2014

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Afghanistan: Ashraf Ghani et Abdullah Abdullah dans les affres de la démocratie

Devant le dénigrement et l’égoïsme de ses hommes politiques, le peuple afghan étonne le monde par sa patience. À cause de la fraude massive, il a fallu cinq mois d’attente pour qu’enfin, après une médiation de John Kerry, les deux candidats à la présidence bafouent la constitution, contournent la démocratie et signent un accord d’union nationale.

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Devant le dénigrement et l’égoïsme de ses hommes politiques, le peuple afghan étonne le monde par sa patience. À cause de la fraude massive, il a fallu cinq mois d’attente pour qu’enfin, après une médiation de John Kerry, les deux candidats à la présidence bafouent la constitution, contournent la démocratie et signent un accord d’union nationale.

Depuis fin septembre dernier, Ashraf Ghani et Abdullah Abdullah sont devenus respectivement Président de la République et Chef exécutif du Gouvernement. Ils ne sont pas, à ce jour, capables de se mettre d’accord pour le partage du pouvoir afin de former un gouvernement d’union nationale. Ni l’un ni l’autre ne veut agir contre les intérêts des chefs féodaux qui ont œuvré pour qu’ils puissent accéder au pouvoir.

Or, depuis 50 jours, l’administration de l’État tourne au ralenti, l’économie est paralysée et la violence des talibans contre la population explose. Quant à la violence contre les femmes et les enfants, je n’ai pas le courage d’écrire les exactions dont ils sont victimes... Malgré la présence de la communauté internationale et des observateurs, l’Afghanistan est devenu un enfer où il est très difficile de vivre.

Dans les années 80, Mike Barry, grand spécialiste de l’Afghanistan, dans le titre de son livre qui décrivait le combat historique du peuple afghan pour sa liberté, avait qualifié ce pays de « royaume de l’insolence ». À cette époque, la société paysanne afghane se fracassait : alors que les chefs féodaux avaient pris le chemin de l’exil et qu’ils laissaient leur place à de vulgaires commandants de guerre et chefs de résistance, le peuple, tout en subissant les aléas de la guerre, vivait la métamorphose du féodalisme en Afghanistan : en plus de s’accaparer les terres et les moyens de production pour exploiter le peuple, les nouveaux féodaux détournaient l’aide internationale pour la guerre et exploiter les paysans comme soldats.

Aujourd’hui, il faudrait inventer un nouveau concept qui puisse résumer à la fois la résilience et l’évitement du peuple afghan et décrire la désespérance et le cri du cœur d’une mère afghane qui voit son enfant mourir à Kaboul dans un attentat sous le regard impuissant des nouveaux gouvernants du pays.

Comment un peuple tourmenté par la violence quotidienne, par les injustices de toutes natures, par des enlèvements, par les rançons, par la corruption, peut-il croire aux promesses de ses dirigeants ? Ils promettent pourtant la paix aves les talibans ou le développement, grâce à des contrats éventuels signés avec les Chinois, ou encore la lutte contre la corruption et la pauvreté...

Ashraf Ghani, grand économiste, anthropologue, expert à la Banque mondiale et spécialiste des conflits dans les pays en guerre, et Abdullah Abdullah, médecin, tous deux issus de familles féodales, se sont fait piéger en signant cet accord d’union nationale. En vérité l’union nationale c’est une alliance des chefs féodaux avec les pouvoirs centraux. Aujourd’hui le mot féodalisme est tabou dans le discours politique, cependant force est de se souvenir que dans les différentes périodes de l’histoire politique du pays et dès la fondation de l’État afghan en 1747, le féodalisme constituait le fondement du système social afghan. Les différents chefs féodaux étaient depuis toujours des représentant des rois et des présidents dans leurs fiefs.

À l’origine, le féodalisme était un féodalisme agraire. Sous Abdur Rahman en 1880, le féodalisme se métamorphose pour devenir un féodalisme agraire marchand. Entre 1901 et 1919, sous Habibullah, pour affaiblir le féodalisme, on abolit le servage. Des bribes de propriété privée commencent à voir le jour mais l’ancien serf ne peut pas devenir citoyen. Cette ambiguïté perdure jusqu’à nos jours et depuis 1933 tous les gouvernants, sous de multiples formes, ont instrumentalisé la démocratie pour donner des droits aux citoyens afghans ; mais tout cela, comme nous l’avons vu lors des élections d’avril 2014, n’était que des gesticulations.

Aujourd’hui si, au bout de 50 jours de palabres, les deux signataires de l’union nationale ont du mal à former un gouvernement, c’est le signe d’un retour en arrière et une preuve supplémentaire de l’échec de la reconstruction du pays depuis 2002. Est-ce que, dans cinq ans, les électeurs afghans vont avoir envie de retourner aux urnes ? Vaste question...

En attendant le temps passe et un mandat ne dure que cinq ans. Est-ce que les deux personnages à la tête de l’État vont passer toute la durée du mandat à faire des promesses et à endormir la population en leur faisant miroiter des choses impossibles ?

Il est évident que, pour les Afghans, le temps ne se mesure pas avec les aiguilles d’une montre mais avec le manche d’une pelle et la lumière du soleil. Mais est-ce que la patience du peuple sera suffisante ?

Hier, cinquante jeunes gens sont morts dans un attentat taliban sur un terrain de sports dans la province de Paktika. Depuis la prise du pouvoir, plus de soixante enfants et femmes ont été violés et/ou défigurés. Des centaines d’écoles sont fermées sous la menace des talibans et des milliers d’Afghans sont candidats à l’exil parce qu’ils sont à bout.

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