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Billet de blog 26 janvier 2010

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De Bonn à Londres, les espoirs déçus de l'Afghanistan

Selon la constitution afghane (art. 156), le mandat du président Karzaï a pris fin le 20 mai 2009. Depuis, le pays tourne dans le vide politique et le peuple attend, dans un climat de violence et d'insécurité, la nomination du nouveau cabinet dont 14 sur 25 ministres ont été refusés pour la seconde fois par le Parlement la semaine dernière.

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Selon la constitution afghane (art. 156), le mandat du président Karzaï a pris fin le 20 mai 2009. Depuis, le pays tourne dans le vide politique et le peuple attend, dans un climat de violence et d'insécurité, la nomination du nouveau cabinet dont 14 sur 25 ministres ont été refusés pour la seconde fois par le Parlement la semaine dernière. Quant au Parlement lui-même, son renouvellement prévu en mai 2010 est reporté en septembre pour des problèmes financiers, de logistique et d'insécurité.

C'est dans ce climat (méfiance et défiance) que le 28 janvier prochain se réunira à Londres la 9e Conférence internationale pour l'Afghanistan. L'objectif de cette conférence est d'étudier les nouvelles relations entre le gouvernement du président Karzaï, élu dans des conditions chaotiques, et la communauté internationale. Lors de cette conférence, on va également tracer les grandes lignes de la nouvelle stratégie américaine : donner aux Afghans la responsabilité pleine et entière de la gestion politique, économique et sécuritaire de leur pays à partir de 2011.

Pour la préparation de cette conférence, les tractations, c'est-à-dire les pressions pour mettre en place un cabinet compétent et efficace autour de Karzaï, ont été intenses. Le premier cabinet a été rejeté aux 2/3 par l'Assemblée nationale afghane pour « cause de corruption, népotisme, tribalisme, gabegie » (René Backmann, Le Nouvel Obs., 7 janv. 2010). Quelle sera la réaction de la communauté internationale qui attend que le président Karzaï arrive à Londres avec un cabinet solidement constitué ? Comment pourra-t-elle établir avec lui un partenariat pour corriger l'échec de la reconstruction et trouver des solutions au regain de l'influence territoriale des talibans ? Or, personne ne peut ignorer que le vrai pouvoir est entre les mains de la communauté internationale.

Pourquoi en est-on arrivé là ? Au commencement de l'histoire de la reconstruction de l'Afghanistan, le 22 décembre 2001, date de la mise en vigueur de la conférence de Bonn qui désigne Karzai comme chef de gouvernement provisoire, les Occidentaux avaient l'entière confiance des Afghans. À cette époque, ils avaient promis que l'armée américaine allait chasser les talibans d'Afghanistan, que l'armée de la coalition internationale sous mandat de l'ONU allait sécuriser le pays et aider financièrement à la reconstruction économique pour reconstruire les rapports de l'État et de la nation afghane anéantie par plus de 20 années de guerres. Par reconstruction, les Afghans entendaient : la reconstruction de l'État, de la nouvelle société et de l'économie en tenant compte des erreurs politiques du passé.

Huit années plus tard, le résultat est contraire aux promesses des uns et aux attentes des autres ; les déceptions sont immenses des deux cotés.

Dans les pays occidentaux, on parle du bourbier afghan, de la culture du pavot, de la corruption et du retour des talibans, de processus de « transition ».Tandis que, du côté afghan, on parle de promesses non tenues, de double langage de la communauté internationale qui s'occuperait d'abord de sa propre sécurité et non des Afghans et s'immiscerait, militairement et financièrement, dans les affaires intérieures afghanes sans mettre face à sa responsabilité un gouvernement qu'elle a elle-même mis en place. En un mot d'avoir perdu du temps et gaspillé l'argent mis à la disposition de la reconstruction de l'Afghanistan. Mais au-delà de toutes ces critiques, il faut chercher la raison de ces mécontentements dans la précipitation avec laquelle avait était préparée la conférence de Bonn du 22.12.2001 et le rôle ambigu joué par l'ONU à cette conférence. En effet, à cette date, le monde était sous le choc du 11 septembre 2001. De l'autre côté, les responsables des différents partis de la résistance afghane ne pouvaient pas se mettre d'accord pour assumer leurs responsabilités politiques et ceci depuis le retrait des troupes soviétiques de l'Afghanistan en février 1989.

Peu importe la divergence politique des chefs de guerre afghans, M. Brahini, représentant de l'ONU pour le pays et ses conseillers (afghans et internationaux) vont se mettrent au travail sans tenir compte ni de l'histoire politique de l'Afghanistan, ni de l'évolution du pays durant plus de vingt années de guerre, ni des problèmes frontaliers de l'Afghanistan avec le Pakistan (mis en sommeil jusqu'à la fin des talibans en 2001) pour élaborer et trouver une solution urgente aux désaccords politiques des différentes factions de la résistance afghane.

Dans la précipitation, ils n'ont probablement pas eu la possibilité matérielle de tenir compte du degré de destruction sociale qu'avait subi la société afghane dans l'ensemble durant les années de guerre (« purges » des communistes, exil, exode, déplacements forcés de population).

On voulait croire que la destruction sociale avait pour cause l'exode, l'exil d'une partie de la population. Or ses racines étaient plus profondes. À propos de la destruction sociale causée par l'aide financière en Afrique, pour Dambisa Moyo,[1] « Le capital social, par quoi l'on entend le tissu invisible des relations qui unissent vie des affaires, vie économique et vie politique, est la base du développement d'un pays. Au niveau le plus élémentaire, cela se ramène à une question de confiance ». Autrement dit, il fallait appliquer ce concept pour réussir la reconstruction politique et économique de l'Afghanistan. Pendant la conférence de Bonn fin 2001, il était nécessaire de créer d'abord et avant tout ce capital social, ce tissu invisible à l'œil nu, matérialisé par le sentiment de la confiance des peuples sur lequel les gouvernements et l'assistance internationale allait pouvoir greffer l'ensemble des actions politiques et économiques : par une volonté politique ferme de ne pas reconstruire le nouvel Afghanistan avec des idées anciennes, de ne pas promettre la démocratie, les élections, les droits de l'homme, etc. avant d'avoir fait un recensement et accordé à chacun et chacune des habitants d'Afghanistan des cartes de citoyenneté avant des cartes d'électeur falsifiables. Autrement dit, il fallait que les responsables afghans et leurs conseillers internationaux conseillent et exigent des gouvernements provisoires et de transition, la rationalisation et la modernisation des actions politiques et économique pour ne pas réhabiliter l'ancien régime d'une part et ne pas perdre leur temps en gaspillant l'aide internationale, d'autre part.

Dès le début de la reconstruction de l'Afghanistan, les agences de l'ONU, de l'OTAN ou de l'Europe, la Banque mondiale, la Banque asiatique de développement auraient dû faire preuve d'audace politique et n'auraient pas dû faire de concessions vis-à-vis du gouvernement choisi et mis en place par eux-mêmes. Il fallait dès le début imposer un contrôle sévère. Au lieu de cela, le gouvernement et les conseillers internationaux sont tombés dans l'improvisation et dans le laisser-faire. Ainsi, par exemple, pour organiser les élections présidentielles de 2004, les comités électoraux vont s'appuyer sur le malek et le mollah, alors que ni l'un ni l'autre n'ont ou une liste ou la connaissance individuelle des électeurs potentiels. Sous les yeux des habitants des villages et des observateurs, les urnes se remplissent, les contestations ne donnent rien, les observateurs ferment les yeux. Ceux qui ont été lésés perdent confiance en l'État et les institutions internationales. Le tissu social se déchire sans que personne semble le remarquer, les talibans recommencent petit à petit à gagner du terrain, l'OTAN fait la guerre contre les talibans, on pointe la non-gouvernance, la corruption et la culture du pavot sans pointer l'approximation et le silence des internationaux.

Il est triste de constater que, depuis bientôt dix ans, l'ONU sous la pression des États-Unis et de leurs alliés, a continuellement précipité les événements et les décisions politiques en oubliant, voire en occultant, les évidences politiques, sociales, économiques, environnementales et démographiques de l'Afghanistan. D'où l'échec de la reconstruction et la progression des talibans avec lesquels le gouvernement afghan et la communauté internationale cherchent à négocier.

Que faut-il faire pour s'en sortir ?

EN 2002, L'AFGHANISTAN N'AVAIT PAS BESOIN DE LA RÉHABILITATION DE L'ANCIEN RÉGIME MAIS DE LA CRÉATION D'UNE NOUVELLE SOCIÉTÉ PLUS JUSTE ET PLUS ÉQUITABLE.

Aujourd'hui, parce qu'on n'a pas de vraie solution, on efface tout et, au nom de la nouvelle stratégie pour sortir du bourbier afghan, on recommence comme en 2002. Bien sûr ce pays a besoin d'une armée et d'une police, qu'il faut former et équiper pour servir la nation. Mais il faut aussi et surtout, en même temps, comme le dit le secrétaire général de l'ONU, M. Ban Ki Moon, « Changer les mentalités, renforcer l'action civile pour une meilleure gouvernance et une meilleure économie ».

Les changements de mentalités passent par l'évolution de tout le système politique, et donc d'abord par l'éradication du système tribal. Parce que ce système maintient les gens dans la dépendance matérielle et dans l'ignorance intellectuelle.

Tant qu'on ne changera pas ce système, toute stratégie politique ou militaire sera VAINE.

Par exemple : le ministre américain de l'Agriculture, M. Tom Vilsack, en visite à Kaboul au début du mois de janvier 2010, a déclaré vouloir faire du développement agricole la priorité de son action civile. Il incite le gouvernement afghan dans ce sens. Il suggère que les agriculteurs qui cultivent le pavot pour le vendre aux talibans passent à d'autres productions comme le raisin de table, les grenades, les noix, etc.

Ce type de proposition est encore un « emplâtre sur une jambe de bois ». L'agriculture afghane a besoin de grandes réformes : accès à la citoyenneté, création de la propriété foncière et des cadastres, etc.

L'agriculture qui occupe 85% de la population afghane est la colonne vertébrale de la société afghane et je me réjouis qu'enfin, on parle de ce secteur.

Mais, pour aider à installer la paix et lutter contre les talibans, il faut que la Conférence de Londres mette ces réformes fondamentales à l'ordre du jour. Sinon, on ne réformera pas en profondeur le système agricole. Au mieux, les crédits accordés aux paysans ne serviront qu'à acheter des semences OGM, enrichissant Monsanto ou d'autres.

Les Afghans sont riches d'une tradition millénaire en agriculture. Ils savent cultiver et commercialiser. L'extrême désorganisation actuelle de l'agriculture est due à la guerre. Il ne sert à rien de vendre voire donner aux paysans des semences. Il faut recréer les conditions politiques, économiques et sociales du redémarrage de l'agriculture dans chaque village. Chaque emploi créé dans l'agriculture génère 10 emplois en amont, et 10 emplois en aval. D'où l'impact pour la paix.

La reconstruction de l'Afghanistan discutée le 28 janvier prochain à Londres, exige de l'audace politique de la part du gouvernement afghan et de la rigueur politique et morale de la part de la communauté internationale. Il faut que la communauté occidentale cesse de considérer ce pays comme un pays perdu qu'il faut laisser aux talibans. Il faut cesser de croire que la transition du pouvoir aux Afghans se fera en donnant des sommes d'argent aux talibans ; cette pratique de donner de l'argent en contrepartie de la destruction de champs de pavot a fait multiplier la production de pavot par 5 depuis 2001. Les talibans ne sont pas des marchandises mais des Afghans à qui il faut donner d'abord une identité, expliquer dans un langage simple leurs droits et devoirs, et ce n'est que par cette méthode qu'on peut espérer qu'un jour ils rentreront dans le rang.

La reconstruction de ce pays a besoin de milliers de techniciens aux compétences multiples, conscients des contraintes culturelles, environnementales et économiques de l'Afghanistan. Il faut que la Conférence de Londres crée en collaboration avec le nouveau gouvernement afghan les conditions nécessaires pour gérer les ressources mises à disposition du pays non seulement pour résoudre les problèmes à court terme mais surtout à long terme.

Un pays détruit par des dizaines d'années de guerre ne se reconstruira pas en 10 ans. L'essentiel, c'est de tirer des leçons des réussites et des échecs des années qui viennent de s'écouler.


[1] auteure de « L'aide fatale », J.C. Lattès, 2009


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