Depuis l'arrivée de Barack Obama au pouvoir, la stratégie des Etats Unis et de l'OTAN semblent prendre une nouvelle allure. La sécurisation du territoire par la force militaire et le développement économique sont devenus des maître mots. En soi, c'est une très bonne chose. Cependant, quand on regarde de près le problème afghan, et les solutions possibles le concernant, on a l'impression que les conseillers et les spécialistes n'ont toujours pas une bonne lecture de l'histoire de l'Afghanistan.
Ce n'est pas de leur faute. En effet, récemment une étude de l'UNESCO a montré qu'aujourd'hui malgré des dizaines d'années d'effort en matière de développement dans le domaine de l'éducation, 70 % de la population afghane est illettrée, ce qui veut dire que la culture dominante est orale et que ce peuple n'a pas eu la chance que son histoire politique, économique et sociale soit écrite par de vrais spécialistes qui pourrait servir aujourd'hui de base de réflexion aux stratèges gouvernementaux et internationaux pour élaborer de nouvelles stratégies et ne pas commettre à nouveau les mêmes erreurs.
Depuis sa création en 1747, l'Afghanistan a évolué autour d'un Empire gouverné par un Etat tribal. Depuis différents gouvernants se sont succédés sans apporter à la nation afghane un Etat central suffisamment organisé pour servir la nation afghane ni avoir l'audace d'apporter les réformes indispensables pour gérer les affaires de l'Etat au présent et anticiper pour le futur. De ce fait, jusqu'à aujourd'hui, alors qu'on parle de nouvelles stratégies et de nouvelles élections, les gouvernants d'Afghanistan et leurs conseillers contournent les problèmes et les laissent pour le futur. Exemple : aujourd'hui on parle des élections présidentielles qui doivent avoir lieu au mois d'Août prochain. Le peuple afghan attendait que depuis les cinq dernières années un recensement ait lieu et que le Ministère de l'Intérieur de l'Afghanistan qui cherche déséspèrement à former avec l'aide de la communauté internationale 80000 policiers, accorde une carte d'identité à chaque citoyen. Pourquoi cela n'a-t-il pas été fait ? Parce que ni le gouvernement afghan ni la communauté internationale n'ont eu l'audace de prendre leurs responsabilités et de mettre en place un vrai système démocratique d'élection. Aujourd'hui les cartes d'électeurs sont distribuées arbitrairement, en demandant aux électeurs uniquement leur nom, leur empreinte digitale et une photo d'identité. Des rumeurs courent que les candidats aux élections achètent les électeurs avec de l'argent.
Quelle crédibilité peut-on accorder à ces élections ? Comment ce peuple à culture orale qui a besoin de vérité, peut-il croire à la sincérité des occidentaux qui financent (250 millions de dollars) et encadrent ces élections par l'envoi d'observateurs internationaux ? Par ailleurs, tout le monde sait que le choix est déjà fait et nous connaissons d'avance le nom de celui qui sortira du chapeau. Comment le peuple afghan peut-il croire à la politique dans ces conditions-là ?
Cela fait 30 ans que les afghans de base, ceux qu'on traite d'illettrés, de sous-développés, de talibans et de trafiquants de drogue, ont besoin de paix et de sécurité. Aujourd'hui, l'Afghanistan est en guerre ; 60 % du territoire afghan est aux mains des insurgés. En France et en Occident, on continue à parler de changement de stratégie, d'élections et de développement. S'il y avait réellement une stratégie, il faudrait absolument qu'elle passe par le redressement de l'économie et pas par le développement de l'économie : depuis 1978, l'économie afghane qui était basée à 80 % sur l'économie rurale et à 20 % sur l'économie de marché, a été complètement déstructurée. La guerre des russes et des communistes a été une guerre contre la campagne. Ils ont pratiqué la terre brûlée. Ils ont détruit les réseaux d'irrigation. Les réformes communistes ont complètement modifié les anciennes règles économiques et sociales dans les campagnes. Depuis cette date, la complémentarité nomades-paysans a complètement disparu. Beaucoup de nomades ne peuvent utiliser leurs pâturages traditionnels confisqués par les chefs de guerre et beaucoup de paysans n'on pas accès aux crédit pour régler leurs problèmes quotidiens parce que les nomades ne passent plus. Si on ne résoud pas ces problèmes au niveau local, en partant de la base, et si, pour ne pas déranger tel ou tel chef de guerre, ou tel ou tel chef de tribu, pour des raisons politiques, ni la reconstruction, ni le développement ne verront le jour. Tout le monde a besoin de paix même les chefs de guerre les plus virulents qui n'ont pas le soutien de la population. Pour remédier à cet état-là, les stratèges auraient dû exiger des quelques 80 ou 100 chefs de guerre qui sont des élus du peuple à l'assemblée nationale , qu'ils utilisent l'argent détourné pour leur propre compte et placé dans les pays arabes, pour le développement des zones rurales. Dans ce cas-là, l'argent de l'aide internationale aurait bien servi :
1. — pour payer des salaires à des policiers, des gendarmes pour assurer la sécurité
dans les 30000 villages d'Afghanistan,
2. — à faire des réformes pour amener l'économie détruite de l'Afghanistan à devenir productive pour que, par les richesses créées, l'Etat puisse prélever des taxes et des impôts équitablement,
Tout ceci nécessite que l'Etat afghan ait une politique et que la communauté internationale ait des intentions saines pour la reconstruction. Dans ce pays où 70 % des gens sont illettrés, le nombre de fonctionnaires suffisamment expérimentés et formés est rare. Les efforts entrepris depuis 2002, pour améliorer les capacités, sont vains. Exemple : des dizaines de jeunes afghans « pistonnés » sont envoyés en Occident, en Inde... en vue d'améliorer leurs compétences. Ils parlent peu l'anglais et en 6 mois de temps, ils n'apprennent rien au cours de leurs stages que des « singeries », ce qui coûte cher à l'état afghan. Comment recruter des afghans pour servir l'Etat et non pas pour obtenir une bourse et faire un voyage à l'étranger ?
La fonction publique qui est un héritage ancien, a besoin d'une grande réforme.
L'Occident devrait aider la future administration afghane en l'obligeant à recruter des gens capables et motivés, pas les gens incapables et pistonnés. On ne peut acheter toujours les gens pour qu'ils se taisent ou qu'ils ne s'allient pas aux talibans. La réforme de la fonction publique a besoin de l'économie et l'économie a besoin de la fonction publique.
Depuis les 7 dernières années, cet effort a été détourné par des gens influents pour placer leur « clientèle ». Si ce type de pratique continue, aucune stratégie ne donnera de résultat.
Le quotidien des afghans ordinaires, ce qui n'ont ni un emploi dans une ONG, ni un travail dans une institution internationale ou dans un ministère est désespérant. A Kaboul même où il y a une relative sécurité par rapport à la campagne afghane, des familles entières ne mangent pas à leur faim. 80 % de la population afghane vit avec moins d'un dollar par jour et les enfants n'ont pas accès aux écoles faute de moyens ( les habiller , les transporter, les nourrir, leur payer un cartable...). Les stratèges doivent imaginer un avenir pour ces gens-là. Tout ne se résume pas à l'envoi de civils américains ou européens. Il faut inventer des solutions, des écoles pour les pauvres, des hôpitaux pour les pauvres . Cela est possible. La crise économique mondiale doit être l'occasion d'inventer une nouvelle économie dans laquelle l'afghan qui a un dollar de revenu puisse trouver des conditions de vie dignes en Afghanistan.
Tant qu'on ne reconnaîtra pas sa citoyenneté, le sujet tribal ne deviendra jamais un agent économique. Il sera toujours une bouche à nourrir, un sujet à éduquer sans assurance d'emploi, un candidat potentiel à devenir taliban ou à l'exil.