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Billet de blog 27 mai 2010

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Kaboul: une loya djergah pour la paix?

Les opinions internationales se désintéressent chaque jour un peu plus des problèmes fondamentaux des Afghans.

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Les opinions internationales se désintéressent chaque jour un peu plus des problèmes fondamentaux des Afghans. La réputation de ce pays – royaume d’insolence1 et d’ingouvernabilité – se confirme et ceux qui se préoccupent encore de l’Afghanistan, pensent qu’on ne peut plus rien y faire et qu’il faut laisser l’Afghanistan aux Afghans. C’est dans cette optique que travaillent les Américains et leurs alliés. De plus, les problèmes politiques et la récession économique en Occident servent d’alibi aux États engagés en Afghanistan pour se retirer le plus discrètement possible… alors que la reconstruction n’a même pas commencé. Ils promettent aux Afghans les moyens de sécuriser leur pays en formant policiers et militaires et un retour à la stabilité par une politique de main tendue aux talibans.

C’est dans ce contexte que le président Karzaï a convoqué, en principe dans les premiers jours de juin (mais la date a déjà été reportée à deux reprises…), un grand rassemblement des chefs de tribus, des chefs religieux, des chefs de guerre, des notables et des fonctionnaires, ce que l’on appelle la « Loya djergah». Or, pour ceux qui connaissent la culture politique afghane ancestrale, un chef qui n’a pas conquis le pouvoir par la guerre n’a aucune légitimité pour recourir à ce type d’institution traditionnelle et tribale. La Loya djergah permet aussi au chef d’imposer sa loi et en aucun cas de négocier un quelconque partage. Cette institution est la survivance d’un système féodal que les chefs afghans utilisaient pour gouverner sans réformer.

Depuis 2002, Karzaï encouragé par les Occidentaux utilise fréquemment les Loya djergah pour, soi disant, faciliter la transition politique et la reconstruction. En fait, il s’agit pour lui d’asseoir sa légitimité tout en conservant son pouvoir. Force est de constater que, avec Karzaï sorti de la poche de Georges Bush suite à la Conférence de Bonn fin 2001, et sans aucune politique réfléchie et définie, la reconstruction de l’Afghanistan est un échec total. En 2002, les Afghans étaient dans un fol espoir de voir se mettre en place une nouvelle société plus juste, plus équitable. Un vent d’espérance soufflait, des centaines d’Afghans de la diaspora étaient revenus au pays, qui pour devenir fonctionnaires ou industriels, qui pour créer des fermes modernes, en aménageant de nouveaux territoires… Traités comme des bons à rien par les experts internationaux, profondément déçus du non partage des pouvoirs et devant le simulacre de démocratie, ils ont renoncé et la plupart sont repartis dans leur pays d’adoption.

Pour que la sécurité politique s’installe en Afghanistan, il aurait fallu et il faut encore et toujours que ce pays, dans sa totalité et sa diversité ethnique, adopte une vraie politique réformiste de la reconstruction et, maintenant qu’une nouvelle Constitution existe, fasse disparaître définitivement le système tribal, dont fait partie la Loya djergah et qui est la cause de tous les malheurs d’hier et d’aujourd’hui. Sinon, à quoi sert l’Assemblée nationale élue soi disant démocratiquement? Si on joue sur les deux tableaux – Loya djergah et Assemblée nationale – on aboutit fatalement à des conflits d’intérêts locaux et nationaux, d’où un blocage du processus politique de décision, d’autant que Karzaï, réélu depuis 6 mois, n’a toujours pas constitué un gouvernement complet ! Il faut d’urgence et impérativement choisir entre l’ancien régime féodal qui consiste entre autres à couper les têtes de tous les opposants, à confisquer leurs biens et transformer les vaincus en esclaves, et la démocratie dans son expression la plus profonde et adaptée à la culture afghane.

Est-il sérieux de faire venir à Kaboul dans les prochains jours, et à quel prix, 1 000 personnes alors que 6 Afghans sur 10 ne mangent pas à leur faim, que des milliers d’Afghans ne cherchent qu’à fuir le pays à cause de l’insécurité, que les femmes sont humiliées, asservies ? Alors qu’au centre du pays, les nomades pashtounes sont en lutte armée contre les chefs de guerre hazaras qui se sont approprié les pâturages, empêchant la transhumance et les échanges de produits et services ? La nouvelle stratégie du Président Obama soutenue par la communauté internationale suggère au Président Karzaï de tendre la main aux talibans, l’objectif étant de sécuriser pour permettre le développement. Mais la sécurité et le développement imposent d’abord une politique de réformes totalement inexistante.

Si la convocation de la Loya djergah pour faire la paix avec les talibans « modérés » en vue de sécuriser l’Afghanistan permet à nouveau aux Pashtounes, ethnie majoritaire, d’exercer une domination sur la totalité du pays, comment sera respectée la Constitution qui dit que chaque Afghan est un citoyen, que chacun a les mêmes droits et devoirs quelle que soit son ethnie d’origine ? Est-ce pour imposer la charia que ces talibans, pashtounes dans leur immense majorité, veulent conquérir le pouvoir ou plutôt pour avoir la suprématie sur toutes les ethnies du pays comme autrefois ? Or, à ce jour, toutes les ethnies sont sur-armées et des milliers d’armes circulent dans les quartiers des grandes villes et les villages. D’où le risque imminent de guerre civile.

Que se passera-t-il au moment du retrait des armées occidentales qui se profile à l’horizon de 2011 ?

[1] cf. l’ouvrage de Mike Barry, Le Royaume de l’insolence, Flammarion, 2001

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