Dominique de Villepin appartient à cette catégorie rare de responsables politiques français dont le nom reste associé à une image gravée dans la mémoire collective internationale. Celle d’un homme debout, le 14 février 2003, à la tribune du Conseil de sécurité des Nations unies, face à Colin Powell, refusant l’invasion américaine de l’Irak au nom du droit international et de la paix. Ce jour-là, la France redevenait, l’espace d’un discours, la voix du multilatéralisme et de l’indépendance diplomatique, et de Villepin, ministre des Affaires étrangères de Jacques Chirac, devenait l’icône d’une résistance verbale qui marqua l’Histoire. Mais derrière cette image de tribun flamboyant se cache un parcours complexe, ponctué de contradictions, d’ascensions rapides et de revers politiques, que l’intéressé semble vouloir réécrire à l’approche de l’élection présidentielle de 2027.
Né le 14 novembre 1953 à Rabat, Dominique Galouzeau de Villepin grandit entre l’Amérique latine, la France et l’Afrique du Nord, héritant d’une sensibilité internationale façonnée par les postes diplomatiques de son père. Diplômé de l’ENA et agrégé de lettres, il entre au Quai d’Orsay dans les années 1980, gravissant les échelons grâce à son sens aigu des dossiers et à un talent oratoire rare. Conseiller diplomatique de Jacques Chirac à l’Élysée entre 1995 et 2002, il devient ensuite ministre des Affaires étrangères, un poste qui lui offre la scène mondiale où il prononcera son discours historique contre la guerre en Irak.
Si ce moment lui a valu une popularité internationale, notamment dans le monde arabe, c’est aussi parce qu’il s’inscrivait dans une vision plus large : celle d’un ordre international fondé sur le droit, la souveraineté des peuples et le règlement pacifique des conflits. De Villepin avait déjà affiché cette conviction quelques années auparavant en rencontrant Yasser Arafat, dans une période où le leader palestinien était marginalisé par une partie de la communauté internationale. Attaché au principe d’un État palestinien vivant aux côtés d’Israël, il défendait publiquement la solution à deux États comme seule issue durable au conflit, et n’hésitait pas à dénoncer, y compris après avoir quitté les fonctions officielles, les violences contre Gaza et l’occupation qui mine toute perspective de paix.
En 2004, il quitte le Quai d’Orsay pour devenir ministre de l’Intérieur, puis est nommé Premier ministre par Jacques Chirac en mai 2005, après le rejet du traité constitutionnel européen par référendum. C’est là que le contraste entre son aura internationale et sa gestion interne commence à se dessiner. Son gouvernement est rapidement confronté à la crise des banlieues de l’automne 2005, déclenchée par la mort de deux adolescents à Clichy-sous-Bois et marquée par trois semaines d’émeutes. Sa réponse, jugée autoritaire par ses opposants, ternit son image d’homme de dialogue et alimente l’idée d’un dirigeant plus à l’aise dans la diplomatie mondiale que dans la gestion sociale nationale.
En 2006, sa tentative de réforme du marché du travail avec le Contrat première embauche (CPE) se heurte à une mobilisation massive des étudiants et des syndicats. Contraint de retirer le texte, de Villepin sort affaibli et voit ses ambitions présidentielles de 2007 compromises, d’autant qu’une rivalité frontale avec Nicolas Sarkozy s’installe au sein de la droite. À ces difficultés s’ajoute l’« affaire Clearstream », une enquête sur des accusations de corruption qui visait, entre autres, Sarkozy. Bien que relaxé en 2010, l’ombre de ce dossier pèsera longtemps sur sa carrière.
Après avoir quitté Matignon en 2007, il se tient à distance du pouvoir tout en continuant d’intervenir dans le débat public, souvent sur des sujets internationaux. Dans ses ouvrages et ses interventions médiatiques, il plaide pour un monde multipolaire et une France indépendante des blocs, reprenant parfois le ton de 2003. Ses prises de position sur la Palestine, notamment après les offensives israéliennes contre Gaza, renforcent son crédit auprès de certains milieux arabes et altermondialistes, mais irritent une partie de l’establishment parisien, plus enclin à un alignement atlantiste.
En 2010, il lance son propre mouvement, République Solidaire, avec l’ambition de proposer une alternative au duel Sarkozy–Parti socialiste. Mais l’initiative s’essouffle rapidement et sa candidature présidentielle de 2012 avorte, faute de parrainages suffisants. Depuis, de Villepin s’est progressivement éloigné de la vie politique partisane, tout en maintenant une activité de conseil à l’international, notamment en Afrique et au Moyen-Orient, où il met à profit ses réseaux et son image d’homme de paix.
L’année 2025 marque cependant un tournant. De Villepin a annoncé la création d’un nouveau parti politique, dont le programme reste en cours d’élaboration mais qui se veut « au-dessus des clivages » et « tourné vers la reconstruction du pacte républicain et du rôle de la France dans le monde ». Ses proches laissent entendre que cette initiative prépare un retour sur le devant de la scène en vue de l’élection présidentielle de 2027. Un pari audacieux, tant la scène politique française s’est recomposée depuis ses années de gloire, et tant l’opinion publique est méfiante vis-à-vis des figures de l’ère Chirac.
Sa stratégie semble s’appuyer sur la double image qu’il cultive : celle, extérieure, de l’homme d’État capable de tenir tête aux puissants, de dialoguer avec des figures controversées comme Arafat ou de plaider la cause palestinienne dans des forums internationaux ; et celle, intérieure, d’un républicain classique qui se réclame de l’autorité de l’État et de la cohésion nationale. Mais cette dualité, qui a longtemps été sa force, pourrait aussi être sa faiblesse : l’homme qui incarne à l’étranger la dignité de la France face aux grandes crises est le même qui, au plan interne, a laissé l’image d’un Premier ministre intransigeant et parfois sourd à la contestation sociale.
À l’heure où les tensions internationales — de Gaza à Kiev — ravivent le besoin de diplomates expérimentés, et où les fractures internes en France s’approfondissent, Dominique de Villepin semble vouloir convaincre qu’il peut incarner à nouveau une vision, mêlant indépendance nationale et engagement mondial. Mais il lui faudra plus qu’un souvenir glorieux pour rallier un électorat divisé et se frayer un chemin entre les figures montantes et les appareils établis. Son discours de 2003 reste un repère, presque un mythe, mais la politique française est moins sensible aux mythes qu’aux rapports de force.
En 2027, s’il se lance, il affrontera un paysage radicalement différent : une extrême droite en position de force, une gauche fragmentée, un centre affaibli par l’usure du pouvoir, et une société traversée par des crises économiques, sociales et identitaires. L’épreuve sera de transformer un capital symbolique en dynamique électorale réelle. L’homme qui avait dit « non » à la guerre pourra-t-il dire « oui » à une France prête à le suivre ? L’Histoire retiendra peut-être qu’il y a des discours qui marquent un siècle, mais que gouverner exige d’autres victoires, moins éclatantes et plus tenaces.
Billet de blog 15 août 2025
Dominique de Villepin : l’ONU comme tremplin vers l’Élysée
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