Chronique du gai savoir
" Quand le sage est surpris par l'orage, il s'enroule dans son manteau et avance à pas lents sous la pluie. " F.Nietzsche, Vérité et mensonge au sens extra moral, 1872
Au début, c'était bien ! Quelle dose d'hypocrisie extraordinaire ne faudrait-il pas pour ne pas se souvenir du bonheur de la prolongation inespérée des vacances, de l'appel merveilleux de l'aventure retrouvée dans un monde qui en avait perdu le sens et même oublié la saveur.
Au début, au tout début c'était bien ! Les chinois étaient malades mais vu le peu de respect des normes écologiques et éthiques de leurs économies capitalistes, finalement n'était-ce pas un juste retour de bâton ? Et puis comment savoir ce qui se passe réellement dans ce pays où règne la terreur de la dictature communiste à l'aide du pouvoir le plus centralisé au monde ? Au début c'était bien, c'était ailleurs, dans un autre monde, ça concernait les autres, les chinois... Si nombreux que deux ou trois mille de moins ne se verraient même pas. Bon , les chiffres évidemment étaient ceux du parti communiste Chinois... Au début c'était bien, un spectacle plutôt divertissant et imprévu.
Or, les chinois... en regardant autour de soi, on se dit qu'ils ne sont pas très loin, qu'ils voyagent beaucoup et qu'ils ne sont pas facile à identifier... " On va manger Chinois ce soir ? Il n'y a plus de papier toilettes ? Va chez le Chinois, il n 'est jamais fermé... " Quelle ville européenne n'a pas son quartier Chinois où tournent sur les broches de jolis canards rouges ? Les Chinois... Mon boulanger est Chinois... Et le pompiste... Et puis on s'est souvenu qu'il y avait quelques européens dans cette métropole inconnue jusqu'alors. Wuhan ! Mais où est-ce ? 15 Millions d'habitants ? ! Ah bon ?
Au début c'était bien, on révisait sa géo ! Les cartes du virus Chinois coloraient de ronds rouges l'empire du soleil levant. Les Chinois étaient enrhumés, certains déjà affaiblis par l'âge et des pathologies diverses, en mourraient. C'est pas qu'on ne les aime pas les Chintoks, mais on s'est habitué à les moquer un peu, gentiment... Et puis les chiffres (à deux unités ) de leurs croissances économiques annuelles nous dépassent tellement qu'il est impossible de ne pas les jalouser un peu... Finalement que ça les ralentisse n'est pas si mauvais.
Et puis le vilain virus, sorti d'on ne sait où - Peut-être d'un de ses labos qui manipulent et inventent les virus pour trouver les antivirus... Tiens il y en a un, Français, à Wuhan ! ( " Mais où est passée Titine, la chauve-souris sujette aux expériences ? ! " ) -est arrivé en Europe. En passant par l'Italie où il a commencé à inquiéter au moins les vieux ( " heu, mais à quel âge l'est-on ? " ) et ceux qui y tenaient ! Ma qué ! Les morts ont commencé à pleuvoir par centaines, puis milliers. Malgré les corrections habituelles des chiffres annoncés par les autorités on ne pouvait plus cacher que le truc chinois était devenu un truc Européen, puis rapidement, beaucoup plus rapidement que les annonces hésitantes des états et de l'OMS, Mondial. PANDEMIE !
Au début ... Les masques devaient arriver demain, les hôpitaux attendaient presque impatiemment la "vague", nous étions prévenus et avertis. Or un homme averti en vaut deux. Donc nous avions doublé les défenses ! Puis le discours gouvernemental s'est quelque peu fissuré. Un soir le Président et la première Dame se rendaient en dilettante au théatre, le lendemain soir ou presque le même Président ( mais était-ce le même ? ) appelait à la mobilisation générale. " Nous sommes en guerre !" Dans certains milieux la parole arriva comme un seau d'eau glacé dans des dos fragilisés par le matraquage de LCI ou autre France info... Nous étions au bord du précipice... Dans d'autres, on ne put se retenir d'esquisser un léger sourire. " Ce type perdait son sang froid et ce qui va avec, sa tête ! " Un soir le ministre de l'éducation nationale annonçait qu'il était hors de question de fermer les établissements d'enseignement, le lendemain , on fermait tout ! Un matin on hésitait à rendre le masque obligatoire, le lendemain, acculées par la pénurie, les élites porteuses de serviettes du pouvoir, les mettaient à l'index comme dangereux... La parole publique devenait cacophonique... Les décisions politiques le fruit de la précipitation d'apprentis sorciers...
Pandémie !
Oups ! Même ceux dont on peut penser qu'ils avaient tout intérêt à supprimer les vieux, les pauvres , les migrants, ces faibles consommateurs qui coûtent plus qu'ils ne rapportent, semblaient un peu débordés par le coronavirus , rebaptisé par nos élites de la recherche : COVID 19. Débordés et souvent affolés. Que faire ? Heu... Mettre des masques , bien sûr ! Ah, zut ! On n'en a pas ! Trop chers à stocker et visiblement trop compliqués à fabriquer ! ? Reste alors le confinement ! Tout le monde chez soi et les vaches seront bien gardées... Mais "tout le monde Monsieur le président , cela fait beaucoup ! " Et ce n'est pas très social ! Alors il a fallu inventer un accompagnement idéologique (une superstructure dirait le Caïman Althusser), une morale. La distanciation. ( cf Ce qui se cache sous la distanciation, Guy Séguéla, 20/03/2020, Médiapart, annexe 1).
La distanciation, une morale du rapport à l'autre qui consiste à ne le voir ni le toucher, celui-ci étant susceptible de nous contaminer. L'autre, c'est le danger ! Et en retour je suis le danger ! Une morale donc de l'isolement ! Fondamentalement anti sociale ou communautaire, voire même inhumaine sil est vrai " qu'un homme qui vit seul est un monstre ou un dieu..." selon Aristote. Et comme les dieux ne s'enrhument pas... Certains philosophes en mal de reconnaissance publique, en maltraitant la philosophie de Husserl, en ressuscitant le vieux dualisme du corps et de l’âme, ont tenté d'expliquer que l'homme n'est pas qu'un corps, mais aussi une idée, un esprit... On peut donc continuer à s'aimer sans contact... Pour se reproduire c'est évidemment plus compliqué... Pour laisser advenir le dieu qui nous transcende quand les corps s'entremêlent, aussi. On peut toujours dire que l'amour à distance s'alimente de l'image de l'autre phantasmée ou fantasmé mais enfin le plaisir solitaire est toujours de la masturbation... Mais bon le jeu n'en vaut-il pas la chandelle ?
Et puis le confinement n'est pas le couvre feu ! Voyons !
Au début , donc... Les gendarmes bons enfants nous laissaient nous promener avec nos Ausweis signés par nous mêmes, sortes de bons de sortie que l'on s'accorde pour vaquer aux courses ou aux sports (autour du pâté de maison) ou même au travail quand on est dans un commerce nécessaire. Un reste de l'occupation Allemande mis à la sauce macroniste.
"Surveillez-vous vous mêmes ! " L'appel à la conscience, à la responsabilité individuelle ! On a failli y croire ! Tant que l'on pouvait tricher un peu...
Au début l'appel à la solidarité, l'union nationale des bonnes volontés, les multiples signes de reconnaissance de l'appareil de santé Français, jusqu'alors délaissé, paupérisé par ce même gouvernement qui l'encensait aujourd’hui, c'était bien ! Tous unis, tous ensemble contre l'ennemi invisible ! Qu'est-ce que c'était bien ! Presque beau !
Et puis les masques sont tombés petit à petit... ( pas ceux de L'ARS toujours introuvables !) Les amendes conséquentes commencèrent à pleuvoir sur ces dangereux égoïstes, inconscients qui ne respectaient pas le confinement. Les sans abris par exemple, les amoureux des promenades sans excuse valable, les travailleurs qui remplissaient mal leurs ausweis... Et puis, on ressortit le mot crise coefficienté du mot récession économique ! Le Medef, toujours attentif et soucieux des droits des travailleurs, proposait de passer la semaine de travail de 35 à 48 ou 60 heures. Suppression des congés, des jours fériés... Il faut bien compenser le temps (comprenons l'argent ) perdu par les investisseurs ! Faire repartir la croissance de " la richesse des nations "... L'idéologie de la récession devint la nouvelle religion. Il fallait s'attendre au pire pour les droits des travailleurs.
Le pire ne tarda pas et accompagna le coup d'état de l'état qui s'appropriait les pleins pouvoirs par le mot, pas si fou finalement, de "guerre". Rapidement l'assemblée nationale autrefois assemblée du peuple, déjà vidée par le confinement et la menace du rhume, ne fut plus le passage obligé, en démocratie, des volontés de l’exécutif. Les décrets plurent : autorisation pour les grandes entreprise de faire travailler leurs ouvriers 48 heures... Contrôles stricts des déplacements, peines de prison à la clef pour les contrevenants, interdiction de rassemblements de plus de deux ou trois personnes... Les manifs devenant actes terroristes... L'agora, fondement de toute démocratie était hors la loi ! Sur le modèle de l'occupation allemande 80 ans auparavant, mais les vieilles recettes politiques ne sont jamais obsolètes, la France était mise au pas. Les français désormais anesthésiés par l'idéologie précitée, la peur pour leurs santés, leurs portefeuilles, devenaient des toutous et s'habituaient à vivre sous le joug de ce qui possédait désormais toutes les caractéristiques d'une dictature ou d'une oligarchie.
Au début c'était bien mais là, cela sentait le roussi !
Certains intellos, cadenassés par la réduction de leurs propos soupçonneux et presque diffamatoires, par le concept usé mais toujours efficace de " théorie du complot", ne pouvaient s'empêcher de remarquer qu'il tombait drôlement bien, ce virus, pour permettre aux gouvernants du monde de reprendre en main leurs peuples ivres de libertés, s'appropriant rues et places, chassant les vieux mondes suppôts du capital, à coups de grèves générales, de chants, de slogans et de rires ! Printemps arabes, gilets jaunes, révoltes étudiantes en Asie... Les 19 premières années du 21 ieme siècle semblaient avoir rendu l'espoir à un peuple plié jusqu'alors sous la botte du capitalisme. Le coup du virus faisait rentrer dans le rang les espoirs de tous les peuples du monde. Quel beau coup !
Ce qui semblait renforcer cette hypothèse blasphématoire n'était-ce pas le silence de plomb sur l'origine de la maladie ? Nul ne parlait de virus naturel... Mais nul ne s'interrogeait sur sa provenance primaire. Le mystère planait comme dans les pires temps du moyen âge, les voix de dieu restaient impénétrables et...sacrées ! On pouvait en plaisanter entre copains (par internet, bien sur ! ) mais aucun discours scientifique ne proposait de théorie ou même n'en tentait une. Silence ! Omerta, diraient les Corses ! Même les enquêteurs indiscrets et sans limite jusqu'alors de Médiapart, semblaient sur ce sujet, changés en statue de sel par le dieu " politiquement correct ".
Dès lors la question de Lénine, redevenait d'actualité. Que faire ?
Que faire contre une époque de l'histoire dont les possibles semblent obstrués par l'éternel retour du même sous sa forme capitaliste. Ce n'est pas disait Heidegger, dans qu'appelle-t-on penser ? , parce que l'on omet de penser la pensée la plus lourde qu'elle ne nous attend pas au coin du chemin. Le capitalisme et ses sbires, peut-être nous tous, guérit de ses plus graves blessures et in contrario en ressort plus fort, revigoré, rajeuni, c'est à dire plus riche. Cf l'efficacité de l'appareil industriel Allemand reconstruit de fond en comble dans les années 50...
Au début c'était bien parce qu'on croyait la carapace du monstre entamée par sa propre outrecuidance. Il n'était qu'en mutation, se débarrassant de ses vieilles peaux, faisant table rase des gêneurs (migrants, retraités, chicanos, blacks, intouchables...) et de ces fardeaux sociaux que sont les lois et les assemblées du peuple qui font perdre tellement de temps (entendons d'argent ) à la substance automatique productrice de richesses. A l'économie. Nouveau dieu cruel qui réclame ses hécatombes, ses sacrifices. Il faudra bien que quelqu'un paye le manque à gagner des Rothschilds et consorts... Et comme le travail reste ontologiquement l'origine de la richesse... Le peuple persuadé d'avoir à lutter contre la dernière forme de la crise, rebaptisée récession, montrera à nouveau son héroïsme. Il travaillera à mort... Et pour rien ou presque. Finalement travailleurs idéaux dans les verts pâturages de la mondialisation. Travaillant une fois de plus ou comme toujours à son aliénation comme s'il travaillait à sa libération !
Au début c'était bien car l'on avait besoin d'aventures, d'espoirs, d'oxygène... De retrouver papillons et chants d'oiseaux... Et puis nous sommes rapidement devenus trop vieux pour rêver, trop vieux pour les victoires de l'imaginaire. Ne reste donc plus qu'à s'enrouler dans son manteau et à continuer à pas lents son chemin sous l'orage, quitte à se faire piétiner par les hordes de travailleurs qui se jettent hors du métropolitain.
Guy Séguéla, 14/04/2020