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Billet de blog 6 mars 2022

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Primaire Populaire : un triple gâchis

Il semble nécessaire d’essayer d'analyser l'abandon de candidature de Christiane Taubira en raison des défis qu’il pose à quiconque envisage de porter dans un avenir relativement proche des combats de liberté et de fraternité. Ce renoncement, aboutissement du processus lancé par la Primaire Populaire, peut en effet être considéré comme un triple gâchis.

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Le renoncement de Christiane Taubira à se présenter à l’élection présidentielle faute de parrainages d’élus semble bien anecdotique au regard des événements géopolitiques qui marquent l’actualité des derniers jours. Cet abandon discret ne doit pas pour autant être occulté et il semble nécessaire d’essayer de l’analyser en raison des défis qu’il pose à quiconque envisage de porter dans un avenir relativement proche des combats de liberté et de fraternité. La non-candidature de Christiane Taubira, aboutissement du processus lancé par la Primaire Populaire, peut en effet être considérée comme un triple gâchis.

Christiane Taubira est, depuis au moins sa défense du mariage pour tous, une figure respectée à gauche, sortie à peu près indemne d’un quinquennat Hollande qui aura détruit le capital politique de quiconque l’aura approché de près. Il suffit de comparer l’aura de Christiane Taubira à celle d’autres figures, légitimistes – Bernard Cazeneuve, Manuel Valls ou Najat Vallaud-Belkacem – ou contestataires – Christian Paul, Cécile Duflot ou Arnaud Montebourg—pour comprendre que l’ancienne ministre de la Justice restait une des rares (la seule) personnalité de gauche cumulant expérience du pouvoir à un haut niveau et relative popularité. Cette originalité peut s’expliquer par le fait qu’elle ait su ménager discrètement les tenants de la ligne hollandaise de gouvernement, contrairement aux frondeurs ou aux écologistes – accumulant ainsi une certaine stature de sage au-dessus de la mêlée – tout en sachant s’opposer là encore discrètement à la déchéance de nationalité qui reste un des principaux points de rupture d’une partie de la gauche avec le parti socialiste et son courant hollando-vallsiste. En se greffant à la Primaire Populaire, Christiane Taubira a pourtant échoué à capitaliser sur ses qualités. Comment expliquer qu’une candidate non dénuée d’atouts, ayant une certaine expérience de la politique (candidate à l’élection présidentielle, ministre de la Justice), entourée de professionnels connaissant bien les enjeux partisans (Christian Paul, PRG) et bénéficiant d’une organisation efficace à mobiliser les médias ait échoué à ce point à s’imposer comme une candidate à l’élection reine de la vie politique ? Si Emmanuel Macron a su devenir président avec des ressources de la même nature (bien qu’en quantité bien plus importantes), l’exemple de Christiane Taubira rappelle que cela reste très difficile et qu’il peut être dommageable de gâcher les rares qualités individuelles à gauche dans des aventures solitaires où les capitaux patiemment accumulés s’épuisent bien vite.

Cette non-candidature est également l’échec de la Primaire Populaire. Pendant près d’un an, cette organisation a mobilisé de l’argent et de l’énergie militante avec un certain succès : 18 équivalents temps plein dans la dernière ligne droite et des heures de discussion suscitées parmi les sympathisants de gauche. Sans s’appuyer sur une structure partisane, bien que celles-ci aient pu ponctuellement et alternativement contribué à sa réussite, la Primaire Populaire a réussi à mobiliser près de 400 000 votants. Si cela peut paraitre ridicule au regard des primaires organisée en 2012 ou 2017 (plusieurs millions de participants), il ne faut pas minimiser le tour de force que cela constitue au regard de la jeunesse de l’organisation et des résultats des investitures des partis traditionnels pour l’élection de 2022. Mais compte tenu de l’aboutissement décevant de cette primaire, il est légitime de s’interroger sur la pertinence de ce type de mobilisation. Bien qu’on dispose de peu d’informations sur les votants, il est probable que la Primaire Populaire n’ait su parler qu’à un public déjà fortement politisé, au fait des enjeux stratégiques du scrutin présidentiel. La mobilisation qu’elle a suscitée lui a certes permis de s’imposer comme un acteur du champ partisan mais cela s’est également avéré insuffisant pour s’imposer aux autres acteurs du champ. En se concentrant sur la question procédurale du mode de désignation d’un candidat unique, la Primaire populaire a négligé que ce qui a fait le succès des primaires pour le PS ou dans une moindre mesure LR, c’est aussi la capacité des candidats désignés à s’appuyer sur un appareil militant et un réseau d’élus, un corpus d’idées et un réservoir d’intellectuels et d’experts organiques ou encore sur une expérience collective des campagnes électorales. Si la primaire est un moyen de trancher la question de l’incarnation, il ne faut pas céder à l’illusion que l’élection présidentielle est une aventure individuelle. La constitution d’un collectif ne peut se faire après le vote d’investiture. De ce fait, et bien qu’il soit facile de prédire l’échec après coup, on peut considérer que la Primaire Populaire a échoué à atteindre ses objectifs bien avant le retrait de Christiane Taubira – les réactions le soir de sa désignation pouvant en témoigner. Avoir continué malgré tout dans l’espoir d’obtenir une unité illusoire représente donc un gâchis de moyens et de temps – le ralliement à la candidature de Jean-Luc Mélenchon n’étant que le dernier exemple d’une attitude jusqu’au-boutiste dénuée de rationalité politique et de respect des engagements initiaux. Le succès aux élections, quelles qu’elles soient, nécessite un effort de longue haleine et le choix de la personne chargée d’incarner un collectif ne peut à lui seul remplacer ce travail en amont.

Cependant, le résultat de la Primaire Populaire ne doit pas masquer l’échec des partis dans cette élection. Les participants de la Primaire Populaire ne sauraient représenter les électeurs mais ils sont un noyau (de 400 000 personnes tout de même) de citoyens intéressés aux questions politiques, se sentant proches des trois principales formations de gauches (LFI, PS et EELV). Alors que la procédure était ouverte à des profils hors partis, c’est bien vers trois professionnels de la profession que se sont tournés les suffrages. Si la candidate Anne Hidalgo a obtenu un score médiocre lors de ce scrutin, il ne faut pas oublier que Christiane Taubira aurait pu représenter le Parti socialiste (ancienne ministre de François Hollande, présence de nombreux socialistes autour d’elle, soutiens d’importants élus socialistes). La Primaire Populaire a donc paradoxalement consacré les partis politiques comme instances de sélections des candidats et a reconnu leur légitimité à gouverner. Comment comprendre dès lors qu’aucun des trois grands partis de gauche n’ait été capable d’offrir un débouché à ces attentes de citoyens fortement politisés, en demande d’une offre politique originale. Cela est d’autant plus surprenant que ces organisations ne se ressemblent guère, tant sur le plan des idées que sur celui de la structure. Tout à la défense de leur positions (élus, scores passés, programmes) aucun parti n’a eu la vista tactique pour accueillir ces énergies. La tentative improvisée d’Anne Hidalgo ou les négociations secrètes menées par l’équipe de Yannick Jadot montrent qu’à aucun moment les partis n’ont essayé de construire collectivement et intelligemment une réponse au défi lancé par la Primaire Populaire. Alors que les partis de gauche peinent à renouer avec le mouvement social et à s’emparer des luttes – et bien qu’on ne parle ici que d’un vote électronique – cette primaire est une occasion perdue de plus pour les partis de gauche de se renforcer.

Dilapidation de capital politique pour Christiane Taubira, gâchis de moyens de la Primaire Populaire, occasion manquée pour les partis de gauche, la Primaire Populaire doit au moins servir de leçon aux acteurs qui ont contribué à son échec. Pour reconstruire une offre électorale de gauche, il faudra renoncer aux mirages de l’aventure individuelle, de la procédure magique dépolitisée ou de la possibilité de gagner sans une large assise sociale.

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