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Billet de blog 12 avril 2025

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Ce que Gaza murmure à la mémoire juive

Et si le crime ultime n’était pas de frapper, mais d’oublier ? Ce texte n’accuse pas : il rappelle. Il murmure à la conscience juive que l’alliance fut d’abord éthique, et que Gaza, aujourd’hui, n’est pas un champ de bataille, mais un miroir. Un appel. Une frontière entre mémoire vivante et mémoire trahie.

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La croix gammée a disparu des étendards d’Europe, mais son ombre s’attarde encore, projetée sur les murs lézardés de notre temps. Les bottes de la haine ne frappent plus les pavés, mais leur cadence résonne — transposée en algorithmes, en protocoles, en décisions glaciales de cabinets. Buchenwald n’est plus un lieu : c’est une méthode. Auschwitz n’est plus un camp. C’est un système. Le mal ne crie plus. Il gère. Il ne frappe plus. Il efface. Et Gaza en est la dernière chambre d’écho.

Il n’y a plus de crématoires — mais des drones. Plus de trains — mais des barrages. Plus de kapos — mais des tireurs d’élite, précis, silencieux, qui frappent des infirmiers, des journalistes, des enfants. Des murs s’élèvent là où des ghettos enfermaient. Des routes sont interdites à ceux dont la langue révèle l’origine. En Cisjordanie, les déchets s’amoncellent avec l’humiliation. Des femmes âgées sont arrachées à leurs foyers par des hommes venus d’ailleurs, armés non de mémoire mais d’arrogance. Leurs fusils parlent la langue de la domination, non celle de la survie.

Est-ce là ce que le sionisme est devenu — à peine huit décennies après la Shoah ?

Je n’écris pas depuis une chaire, ni au nom d’un parti. J’écris depuis le silence — ce silence qui consume ceux pour qui justice a encore un visage. Je parle sans titre, mais avec cette brûlure que la mémoire imprime à ceux qu’elle n’a pas quittés.

Se taire aujourd’hui, c’est renier l’alliance.

Vous, mes frères juifs, avez encore la parole. Vous pouvez dénoncer, témoigner, éclairer. C’est là un privilège — et dans votre tradition, le privilège est un fardeau sacré. Non un triomphe, mais une question.

Vous êtes les héritiers de Moïse et de Maïmonide, de Jérémie, de Job, de Buber, de Heschel. Vous n’êtes pas nés du confort, mais de l’épreuve. Chez vous, la justice n’est pas un idéal. C’est une plaie vivante. Et dans vos livres, c’est le témoin, non le roi, qui porte la vérité.

Dites-le avec gravité : ce qui se passe à Gaza n’est pas une guerre. C’est une profanation. Une brèche dans l’alliance morale. Une fracture  infligée au nom d’une blessure.

Des civils sont tués au nom de la sécurité. La famine est devenue outil stratégique. La mémoire est gommée pour faire place au mythe. Gaza n’est pas un théâtre d’opérations. C’est un verdict.

Ce n’est pas de la stratégie. C’est une ivresse. Une campagne vide de sens militaire, saturée de fureur symbolique. Un homme, Benjamin Netanyahu, s’agrippe au pouvoir pendant que la région brûle. Autour de lui gravitent Smotrich et Ben Gvir, qui ont détourné l’armée vers l’idéologie. Ce n’est plus une défense. C’est une milice. Aveugle. Féroce. Programmée. Une nouvelle machine du mal.

Aucun enfant mutilé n’est un gain. Aucun hôpital détruit n’est une victoire. Aucun blocus n’est un projet de paix.

Je ne vous accuse pas. Je vous implore.

Être juif — dans sa grandeur la plus haute — ce n’est pas conquérir. C’est se souvenir. Boîter avec Jacob. Pleurer avec les humiliés. Porter la flamme de la justice dans les cendres. Le Dieu de vos pères n’était pas un gardien de frontière, mais Celui qui demandait : Où est ton frère ?

Et souvenez-vous : lorsque l’Europe brûlait vos noms, ce n’est pas l’Occident qui vous a recueillis. C’est l’Orient. Bagdad, Tunis, Fès — des cités qui vous ont abrités quand les lumières se sont éteintes. Maïmonide écrivait en arabe, soignait en grec, priait en hébreu. Nous avons partagé la mémoire. Et le deuil.

Vous n’êtes pas nés des empires. Vous êtes nés du gémissement prophétique — du tonnerre d’Isaïe, du sanglot de Jérémie, du cri de Job. Ce n’est pas la victoire, mais l’épreuve, qui a scellé votre pacte. Vos livres n’installent pas les rois. Ils les jugent.

Après Byzance, ce n’est pas Rome, mais Omar, qui vous a ouvert les portes. Vous avez habité, non erré, à Damas, au Caire, à Istanbul. Vous avez écrit, prié, disputé, enseigné. Comme le disait mon ami Moshe Bernstein : « Aucun juif ne se sent chez lui en Islande. Mais tous se sentent à l’aise dans une maison marocaine. »

L’Occident vous a offert le ghetto, le shtetl en flammes, Vichy, Treblinka. Et aujourd’hui, il vous applaudit — d’un amour conditionnel, fugace. Les mêmes mains qui brûlaient vos synagogues acclament vos bombes. Les sionistes chrétiens qui saluent vos missiles rêvent aussi de votre conversion — ou de votre disparition.

Oui, nous sommes aujourd’hui les victimes. Mais nous ne sommes pas sans faute. Nos États vous ont trahis. Nos foules vous ont chassés. Nous avons perdu les juifs d’Irak — gardiens d’Ezra, sages d’Orient. Et nous les pleurons. Mais aucune blessure, aucune trahison, aucun exil ne justifie l’effacement d’un peuple.

Le sphinx de l’Orient s’est effondré. Mais il respire encore sous les ruines.

Nous, Arabes et Juifs, sommes les jumeaux d’une civilisation oubliée. Nos marchés, nos livres, nos prières se répondaient. Même Thomas d’Aquin enviait cette harmonie. Ce fut l’Occident qui l’a rompue.

Oui, l’hébreu vit. C’est un miracle. Mais une mémoire sans éthique devient doctrine. Et une doctrine sans compassion devient tyrannie.

Pendant ce temps, l’arabe se parle encore — de la Mauritanie au Zagros. Réduire la Palestine au silence n’est pas seulement inique. C’est impossible. Je suis mauritanien par passeport, mais ma mémoire est faite d’Égypte, de Yémen, et du long silence des sables. Je n’écris pas au nom d’un drapeau. J’écris depuis une caravane.

Demain ne sera pas la vengeance. Ce sera la réponse — une réponse enracinée non dans la revanche, mais dans cette exigence universelle de justice qui fonde les civilisations durables et les pactes moraux dignes de mémoire.

Ce qui se passe à Gaza n’est pas une défense. C’est un blasphème. Une trahison de la Torah. Une rupture dans l’alliance.

Quand un enfant est tiré de son sommeil, qu’une femme âgée est expulsée au nom du « retour », que des routes sont fermées à cause d’un accent, qu’une terre devient forteresse — ce n’est pas la promesse accomplie. C’est la promesse trahie.

Vous n’avez pas été choisis pour dominer. Vous l’avez été pour vous souvenir. Pour marcher aux côtés des humiliés. Pour porter l’exil comme une lampe. Pour consoler le monde — non le broyer.

Et quand les archives s’ouvriront, quand les noms des enfants de Gaza seront gravés plus profondément que ceux des généraux, que dira votre conscience ?

Avez-vous parlé ? Avez-vous refusé ? Ou avez-vous détourné le regard ?

« Celui qui détruit une seule âme, c’est comme s’il avait détruit le monde entier. » (Sanhédrin 4:5 – Coran 5:32)
« La terre crie, et le ciel entend. » (Job 24:12)

Souvenez-vous encore de ceci : Les royaumes de David et de Salomon sont tombés. Et Saül avant eux. Saül perdit sa couronne non sur le champ de bataille, mais dans le tumulte de son âme. Il chuta, non par faiblesse, mais pour avoir confondu le commandement et la conscience.

Si même les oints n’ont pu survivre à l’oubli, comment un État moderne, ivre de sa force, échapperait-il à sa propre cruauté ?

L’histoire n’absout pas. Elle veille. Et le vent du désert ensevelit tôt ou tard les citadelles qui ont trahi leur raison d’être.

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