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Billet de blog 28 avril 2025

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Gaza — Le Jugement de l'Histoire, le Tombeau des Droits de l'Homme

À Gaza, ce n'est pas seulement un peuple qu'on assassine : c'est l'idée d'humanité qui tombe. Là s'érige la sépulture de la justice humaine.

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Tout est su, tout est prouvé. Nul ne pourra dire demain : « Je ne savais pas. » Depuis octobre 2023, Gaza s'efface sous nos yeux, victime d'un crime que les plus hautes autorités morales, juridiques et intellectuelles ont osé nommer pour ce qu’il est : un génocide.

Les pays occidentaux — au premier rang desquels les États-Unis — auront-ils encore le front de dénoncer, demain, les violations des droits de l'homme ailleurs, en ponctuant leur hypocrisie par les sempiternelles litanies du Département d'État ? Leur discrédit est scellé, leur parole avilie.

Quant aux régimes arabes complices — Égypte, Jordanie, Arabie Saoudite, Émirats, surtout l'Égypte et les Émirats, véritables artisans de la strangulation de Gaza — que diront-ils devant l'Histoire ? Ces régimes de la honte porteront, à jamais,  la marque de l'infamie. Ils croyaient troquer leur honneur contre la protection des puissants ; ils n'ont récolté que le mépris des peuples et la malédiction des siècles.

Le mot terrible de génocide n’est pas lancé dans l’émotion, mais pesé par ceux dont la fonction est la rigueur. Omer Bartov, historien majeur de la Shoah et ancien soldat israélien, décrit Gaza comme le théâtre d'une entreprise d’extermination délibérée. Raz Segal, spécialiste israélien des génocides modernes, parle d’un "textbook case" d’effacement ethnique en pleine lumière. Amos Goldberg, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem, affirme sans ambages : « C’est cela, un génocide. » Gregory Stanton, fondateur de Genocide Watch, dénonce un « génocide à ciel ouvert ». Et les institutions internationales, d’ordinaire si lentes à nommer l'irréparable, ont confirmé ce diagnostic accablant.

La Cour internationale de Justice, dans une ordonnance solennelle du 26 janvier 2024, a reconnu la plausibilité de l’accusation de génocide portée contre Israël. Elle a exigé des mesures immédiates pour empêcher que l’irréparable ne s’accomplisse entièrement. La Cour pénale internationale, franchissant un seuil historique, a émis des mandats d'arrêt contre les principaux dirigeants israéliens pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Amnesty International, Human Rights Watch, le Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies : tous, pour une fois, parlent d’extermination, de génocide, de destruction méthodique d'un peuple.

Israël a imposé à Gaza un blocus total, coupant nourriture, électricité, eau potable, jusqu'à rendre la survie matérielle impossible. Le dernier site de dessalement a cessé de fonctionner, condamnant la population à la soif et aux épidémies. Plus de la moitié du territoire est militairement occupée. Deux tiers des Gazaouis sont sous ordre de déplacement forcé, poussés vers une frontière fermée, dans une tentative d’exode orchestrée. Le ministre israélien de la Défense l’a reconnu : Israël exercera toutes les formes de pression, militaires et civiles, pour imposer ce déplacement conforme aux ambitions du plan Trump.

Le prix humain est sans précédent. Entre le 7 et le 31 octobre 2023, près de 1900 enfants ont été tués selon Airwars — l’équivalent, en proportion, de trois cents fois la mortalité infantile observée en Ukraine. Dans la pire année de la guerre en Syrie, il fallut douze mois pour atteindre ce chiffre. À Gaza, trois semaines ont suffi. Humanitaires assassinés, médecins ciblés, journalistes abattus, hôpitaux détruits : Gaza est devenue l’épicentre d'une tragédie unique dans l’histoire contemporaine. Même le tonnage des bombes larguées dépasse celui de Dresde en 1945. L'étendue de la destruction dépasse toute justification militaire : elle incarne l'instinct génocidaire à l’état brut.

Ce constat atroce ne vient pas d’une poignée d’activistes isolés, mais résonne partout avec une froide clarté. Le Lowenstein Human Rights Project de l’Université de Yale affirme sans détour : « Israël a perpétré des actes génocidaires — tueries massives, graves atteintes physiques, création délibérée de conditions de vie destinées à détruire matériellement les Palestiniens de Gaza. » Le Lemkin Institute for Genocide Prevention enfonce le clou : « Israël commet un génocide et les États-Unis en sont complices. » Michael Fakhri, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à l’alimentation, dénonce la campagne d’affamement menée par Israël comme une tactique ouvertement génocidaire. Tlaleng Mofokeng, rapporteur spécial des Nations unies sur le droit à la santé, accuse à son tour : famine délibérée, malnutrition prolongée, déshydratation — voilà les armes conscientes et méthodiques d’un génocide en marche. »

La méthode suit une logique glacée : terroriser, affamer, déplacer, puis, devant l'absence de refuge, rendre Gaza inhabitable en détruisant ses infrastructures vitales. Faire de ce territoire une terre morte. Benjamin Netanyahu lui-même l'a avoué : il s'agit de « réduire la population ».

Face à cette entreprise d’effacement, la mémoire universelle se soulève. Imre Kertész rappelait que certaines tragédies excèdent la capacité ordinaire du langage ; Gaza impose aujourd'hui cette épreuve au discours humain. Charlotte Delbo enseignait que l’agonie du vivant — faim, soif, extinction des corps et des esprits — est parfois plus cruelle que la mort. Primo Levi posait cette question terrible : est-ce encore un homme, celui que l'on prive de pain, d'eau, et de dignité ? À Gaza, ce ne sont pas quelques âmes, mais deux millions d'êtres humains qui mendient chaque jour un droit élémentaire à exister. Simone Veil, rescapée de l'extermination, savait que le crime suprême est de plonger les survivants dans le désert de l'indifférence.

Aujourd’hui, Gaza risque de mourir, non seulement sous les bombes, mais dans l’oubli.

Après Auschwitz, écrivait Adorno, toute poésie semblait barbare. Après Gaza, c’est la parole elle-même qui chancelle. Comment parler encore de droits de l’homme sans profaner ce qu’il reste de la dignité humaine ? Comment ériger des traités, des serments, quand la cendre d’un peuple étouffe nos voix ? Chaque discours creux, chaque silence poli, chaque litanie d’indignation feinte devient après Gaza une complicité de plus, une abdication signée dans le sang. Il ne suffit plus de pleurer : il faut condamner. Il ne suffit plus de commémorer : il faut se lever.

Il existe des crimes contre la chair.
Il existe des crimes contre l'âme.
Il existe des crimes contre la mémoire.

Se taire, détourner le regard, refuser de nommer, c'est assassiner deux fois.

Notre devoir n’est pas de déplorer mais de dire ; pas de détourner les yeux mais de nommer ; pas de survivre dans la honte mais de témoigner en dignité.
Car si Gaza est effacée dans l’indifférence, alors « Plus jamais ça » ne sera plus qu'une épitaphe menteuse gravée sur la tombe commune des renoncements et des trahisons.

Entretemps, les propagandistes sionistes ricanent, sans comprendre qu’ils célèbrent leur propre naufrage. Accablés par les faits, cernés de toutes parts, ils n'ont plus, sur les réseaux sociaux, que des emojis rieurs — pâles grimaces d'une cause en décomposition. Privés de langage et de courage, ils enrôlent, au Nigeria et en Inde, des fantassins anonymes, dont la médiocrité épouse la déchéance de leur mensonge. Ils rient, mais c’est le râle grotesque des vaincus, le dernier souffle d'une imposture éventrée.

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