Allez, on se relève!
C’est là où je vois aujourd’hui que la persévérance n’est pas forcément toujours une qualité.
Après quelques mois en arrêt, j’ai repris, mais à temps partiel pendant 2 ans. Sur le même poste, histoire de ne pas me rajouter une ré-adaptation insurmontable, mais sur une seule école. J’étais tellement flippée de ne pas réussir à me préserver que j’avais à peu près tout ritualisé dans ma vie. Il y a de quoi en rire, de tous ces rituels, presque magiques pour certains, dans tous les cas dignes d’une dépressive psycho-rigide popotte de plus de 50 ans. Sauf que j’en avais 34 et que je n’étais pas du tout dépressive dans la vraie vie, seulement au travail. Et à cause du travail.
J’ai d’abord commencé à dîner à 19h pour me coucher à 21h30. Tapantes. Je suis une marmotte, et impossible d’être en déficit de sommeil pour faire classe. La conséquence en a été que je refuse depuis toute sortie en semaine, même un p’tit film tranquille au ciné-club d’à côté. Mes amis sont compréhensifs, heureusement.
Pour être sûre de couper entre midi et deux au travail, je ne mangeais plus qu’un jour sur trois avec mes collègues. Et je m’octroyais une demie heure de sieste/méditation, histoire de reprendre l’énergie suffisante pour affronter l’après-midi. Gare à celui qui ouvrait la porte de ma classe à ce moment-là! Après j’ai mis un panneau « Sieste en cours, merci de ne pas déranger ». Mes collègues étaient globalement compréhensifs, heureusement.
Et pour ceux qui ne l’étaient pas tant pis. Car pour la première fois dans ma vie, j’ai arrêté de prendre en compte toutes les contraintes des autres avant les miennes. J’ai imposé mon rythme et mes exigences, cela a fait bizarre à certains.
Tous les matins, après un bon espresso serré ou deux, je faisais une longue méditation de protection en visualisation mentale. J’imagine que certains d’entre vous n’ont pas idée de ce que cela peut être, et pour cause, ça peut paraître un peu étrange. Avant de reprendre, j’avais déjà pratiqué un rituel magique où j’avais brûlé tout un tas d’affirmations de l’ancien moi. Celui qui avait succombé aux sirènes du sur-investissement au travail et de l’épuisement. Et, en bonne maîtresse d’école, j’avais décoré-plastifié des nouveaux mantras pour me guider dans ma nouvelle posture. Un petit exemple? « Je suis désormais capable de m’adapter en toute confiance, en toute sérénité et avec plaisir. » Ce que ça nous fait pas faire parfois, de devoir subir un environnement de travail stressant et instable…!
Je suis résiliante : je me suis ainsi autorisée à me créer un environnement plus protecteur pour survivre.
J’ai ouvert un peu plus la porte à mes collègues d’école, qui n’étaient pas en reste pour figurer au palmarès de la plus joyeuse équipe festive de la ville.
J’ai aussi eu la chance de travailler avec une co-pilote de premier choix : Douja, l’AESH d’une de mes élèves. Il faut dire que ma classe était devenue une ULIS-UPE2A-Accueil de jour. Polyhandicap moteur et mental. Autisme. Sourd surdoué et sourd sans langage. NSA ayant eu une ébauche de scolarisation en camp de réfugiés. Enfants vivant dans des voitures. Enfants trilingues excellents élèves, d’autres souffrant d’une déficience intellectuelle. TDAH avec hyperactivité. Un autre sans, mais dyslexique. Tout cela pour dire que l’on était pas de trop à être deux! Douja, payée globalement 800 euros par mois pour chaque jour accompagner dans un élan de joie la petite Fiona polyhandicapée et sa copine la petite maîtresse over-stressée. Au foyer où vivait une partie de mes élèves, il y a eu une invasion de puces de lits : les enfants peinaient à dormir tant ils se grattaient. Parfois des petits cafards s’échappaient des cartables et on leur faisait alors la chasse dans la classe, qu’est-ce qu’on a ri!
Je partageais ma salle avec un des collègues du RASED, le Réseau d’Aides Spécialisées pour les Élèves en Difficulté. Ils ont été de vraies personnes ressources pour m’apprendre à me professionnaliser dans la gestion de la difficulté scolaire et du handicap.
Ce sont tous ces liens d’équipe qui font qu’on se relève et que certains ne tombent pas. Que les enseignants et les AESH maintiennent le navire à flots. Avec des moments de décompression collective pour exorciser les tensions. Malheureusement le directeur de mon école est parti en retraite et la sorcière qui l’a remplacé était bien moins festive et bien plus liberticide. D’une main de fer elle a décrété la fin des festivités et le contrôle de tous à tous les étages. Madame le Dictateur nous a pourri la vie toute l’année, en bon petit soldat du nouveau type de management désormais enseigné en formation des directeurs. Je ne pourrais pas vous raconter le menu détail des attaques perfides de Madame le Dictateur, car depuis mon burn-out j’ai de sérieuses pertes de mémoire et elle fait partie des personnes qui ne valent vraiment pas la peine que je m’en souvienne. Mais autant vous dire que prendre de front une équipe soudée et stable qui travaille ensemble depuis de nombreuses années, ce n’était pas la meilleure façon de s’y prendre. À la fin de l’année, sur 15 enseignants nous fûmes 7 à demander notre mutation. Plus elle qui est partie aussi. Jackpot!
C’est donc là où je vois aujourd’hui que la persévérance n’est pas forcément toujours une qualité. Car au lieu de m’en arrêter là, j’ai essayé de bifurquer pour mieux rester.