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Billet de blog 17 août 2022

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Abnégation. 2

Je suis entrée dans l’Abnégation Nationale en 2010, par fidélité familiale pour la Fonction Publique et engagement pour l’intérêt collectif. J’ai croisé la route d’enfants cabossés et rieurs, de parents valeureux et modestes, de collègues engagés et résilients. Après 12 ans de chemins de traverse, la coupe est pleine. J’ai été bien résistante mais là je suis abîmée. Alors je sauve ma peau, je pars.

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Les Tout-Petits-Petits

Cet été-là, contre toute attente, j’ai rencontré quelqu’un. On pourrait croire que cela n’a rien à voir, mais si. 400 km nous séparait à l’époque. Grâce à cette relation à distance, j’ai appris à gérer mon temps comme un vrai de chrono de compèt’. J’ai pu toucher du doigt des qualités que les misogynes aiment à assigner aux femmes : organisation multi-tâches, efficacité, jambes épilées, sourire fixé. J’ai pu être reliée à une étoile de fuite qui m’a magnifiquement fait dérailler de l’axe dangereux du bouchons-boulot-dodo. Je crois que ça m’a sauvé mon année.

Sans affectation pour la rentrée, j’avais secondé l’équipe de mon école de rattachement le vendredi de la pré-rentrée des enseignants. Bon, de toute évidence, pour la rentrée des élèves je serais toujours en sur-numéraire dans cette école en attendant un remplacement… Pas de points, pas de poste! Aux vues de ma tendance à la sur-anticipation et de mon inexpérience, être brigade et appelée du matin pour le jour même sur n’importe quel poste du département (de la Toute-Petite Section de Maternelle au CM2, en passant par l’éducation spécialisée) se présentait pour moi comme une situation des plus confortables, vous l’imaginerez! Sans nouvelle du Rectorat le vendredi je décide donc de prendre un TGV le soir pour profiter de ce « dernier week-end avant le grand rush ».

Le samedi vers 13h30 je rate un appel sur mon portable. Je regrette encore presque aujourd’hui d’avoir écouté ma messagerie! Une voix m’annonce, le temps de 2-3 phrases bien ponctuées, que je prends en charge lundi matin la rentrée sur une ouverture de classe de CE2. Suit le nom de l’école et la ville. Merci Madame. Au revoir Madame.

Quoi ? Comme ça, le samedi après-midi sur messagerie vocale ? Des CE2 ? Une ouverture de classe ? Mais y’aura zéro matériel ! Le jour de la rentrée on fait les en-tête de cahiers, non ? Y aura-t-il seulement des bureaux et des chaises dans la salle ? Et je connais pas ce niveau ! Le jour de la rentrée, on pose les bases et on présente aux élèves les grandes lignes de ce que l’on va faire ensemble, non ? Et c’est où cette école au juste ? Ouf, pas à 2 heures de route déjà. Heu… bref, je panique. Logique. J’écourte mon week-end amoureux. Ce sera loin d’être le dernier week-end écourté/annulé, mais ça je ne le savais pas encore. Bon, c’est beaucoup d’heures, en fait, tout un dimanche après-midi + une soirée. Ça va le faire. Panique pas. Appelle les copines. Récupère du matos, prépare juste la première journée.

Ma nuit a été longue et sereine courte et mouvementée, mais j’ai réussi à arriver sur le pont avec seulement le rituel quart d’heure de retard sur l’horaire que je m’étais fixé : 7h15. La directrice m’accueille tout sourire. Désabusé, le sourire : une autre enseignante est arrivée avant moi ce matin pour la même mission. Premier Ouf ! Et en réalité il n’y a pas d’ouverture de classe, elle a été annulée lors de la dernière commission. Patap’Ouf ! Bienvenue dans l’univers merveilleux de la communication bureaucratique. Là où tu te rends compte que non, tu n’es pas une personne, seulement un pion. Va juste falloir s’y faire. Et alors on était encore bien loin des ordres et contre-ordres incessants du déconfinement 2020 : je me plaignais vraiment de rien !

La semaine suivante, j’ai été positionnée sur un remplacement à l’année : une classe de Tout-Petits-Petits. Un double niveau, donc, mais le plus confortable à mon sens : section des Tout-Petits (2 ans) et des Petits (3 ans). Le soulagement sidéral ! Une classe à l’année, me voilà à l’abri des appels téléphoniques intempestifs et des missions-surprises de dernière minute. Soulagement double-crème : en Maternelle. J’avais déjà plusieurs mois d’expérience dans l’interprétariat du langage Petit-Trolléen. J’avais affûté mes plus belles prestations en chansons de gestes pour capter les attentions volatiles. Développé un art incontestable de la posture du câlin professionnel. Renforcé miraculeusement l’enveloppe de mes tympans en cas de chagrin sonore et durable. J’étais devenue experte en mouchage-séchage-habillage-nettoyage. Solidement entraînée à la surveillance d’enfants petits qui tombent souvent, se cognent aux coins des tables et qui à l’occasion se mordent, se tapent avec un jouet ou coupent les cheveux du copain au lieu du dessin. Bref, j’étais toute prête à apprendre à enseigner à mes TPS-PS les compétences attendues des Programmes ! Toute prête à les accompagner sur le chemin de l’autonomie et à veiller à ce que cette première rentrée à l’école éveille en eux le désir d’y rester et d’y apprendre des choses qui font grandir.

De cette école, je garde le souvenir de ceux que je considère vraiment comme mes premiers élèves. Quel âge auraient-ils donc aujourd’hui ? Aïe, ils entrent dans l’adolescence, est-ce bien le moment d’un rappel en mémoire :

  • de Corentin, qui ne voulait pas lâcher les bras de sa mère, artiste du rouler par terre en hurlant; 
  • d’Alycia, petite fille suspectée de « psychose-autisme » (mots posés par les parents), experte en arrachage de seins et en caressage tendre de joues; 
  • d’Ariel, fan dubitatif et inquiet de Monsieur Pouce; 
  • de Boris, petit garçon-fée sautillant, qui hurlait en souriant : « Putâââ! » ( Traduction : « Plus tard! ») 
  • de Célestine, couettes à bondir et grand sourire à chaque mission Toilettes : « Ouiiiiii, on va faire pipiiiiiii! »
  • de Louise, petite mère de 3 ans au caractère bien assis, pleine d’initiatives et de gentillesse pour ses camarades; 
  • de Suzanne, 2 ans d’intelligence mature et de cris stridents; 
  • de Thomas, dormeur invétéré, calé sur son banc « Réveil en cours »; 
  • de  Léo - « Blablabla-ala-bala-bala » : aura-t-il appris à parler avec l’orthophoniste? 

Avec leurs 17 autres camarades et du haut de leurs 3 ans, ils ont épatés tous les spectateurs lors de la danse de fin d’année, et leur maîtresse si fière de les avoir vus réussir leur autonomie et sourire à la vie. Ça valait bien quelques crises de larmes sur mon trottoir entre midi et deux.

À la fin de l’année, un papa m’a dédicacé un de ses livres avec les mots suivants : « Une première maîtresse, c’est important. Merci d’avoir attisé le désir d’apprendre d’Ariel. » J’aurais eu tellement envie de répondre à mes premiers parents d’élèves : « Une première classe, c’est important. Merci à vos enfants, à leurs sourires, à leur travail, à leur engagement à grandir avec moi cette année. »

Mais aussi aujourd’hui à tous les parents que des citoyens qui ont et gardent la vocation de les aider à faire grandir leurs enfants, il y en a de moins de moins. Et c’est loin d’être que le salaire qui explique cela.

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