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Billet de blog 26 août 2022

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Abnégation. 4

Je suis entrée dans l’Abnégation Nationale en 2010, par fidélité familiale pour la Fonction Publique et engagement pour l’intérêt collectif. J’ai croisé la route d’enfants cabossés et rieurs, de parents valeureux et modestes, de collègues engagés et résiliants. Après 12 ans de chemins de traverse, la coupe est pleine. J’ai été bien résistante mais là je suis abîmée. Alors je sauve ma peau,je pars.

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La CLIS-D-IME (suite)

Me voilà donc toute prête à poursuivre mon auto-formation sur les chemins, cette fois, de l’enseignement adapté, et ce l’année de ma toute première inspection. 

Le mot est lâché : ins-pec-tion. C’est un gros mot qui fait peur dans les écoles, tel un vieux loup gris rôdant dans les bois, laissant à la merci du Jugement les brebis intimidées et chancelantes. Quand l’enseignant en est informé, il partage l’info avec ses collègues proches. Besoin de partager son anxiété. À la suite de cela, les-dits collègues offrent leur regard le plus compatissant, signifiant selon les cas « Oh ma pauvre… » ou  « Ah, pas de chance c’est ton tour! ». Enfin, un contact physique (main sur l’épaule ou sur l’avant-bras) et un sourire un peu forcé. Le tout accompagné d’une parole de soutien de type « Non mais tu verras, ça va bien se passer, l’Inspectrice est très humaine. » Ou encore : « J’me fais pas de souci pour toi, t’es une super instit’. » Je résiste. Non, je ne céderai pas à cette projection sur moi de leurs angoisses. Je ne céderai pas à cette peur de la hiérarchie généralisée. Peur d’être soumis à un jugement irrationnel de nos compétences. J’en ai connu d’autres des situations de scrutation et d’évaluation. Et comme dirait ma mère : « On va pas te faire un trou là où tu en as déjà un! ». Elle est philosophe, ma mère, à ses heures.  En réalité, ça ne m’effrayait pas plus que ça, l’inspection. Par contre, ce qui m’effrayait, c’était de ne pas être à la hauteur des besoins de mes élèves. On a là le terreau bien fertile, vous me direz, pour toujours en faire plus pour gagner moins. Toujours est-il qu’à ce moment-là, tout naïvement, je considère que je ne suis pas formée pour cette mission spécialisée et que donc je vais tout de suite demander de l’aide aux Conseillers Pédagogiques.

Il y a en trois qui sont venus me voir, tout ça avant décembre. Hiérarchie réactive, bon point. Je pense aujourd’hui qu’ils ont dû paniquer du simple fait que je demande de l’aide, ce n’est vraiment pas fréquent dans le métier. On me l’avait d’ailleurs chaudement déconseillé, je risquais ensuite de me « faire saquer ». J’ai reçu de ces Conseillers quelques conseils d’ordre didactique et des retours allant d’encourageants à gratifiants dans les rapports de visites. Hiérarchie bienveillante, 2è bon point. Ça fait toujours plaisir, mais ça ne rend pas les heures de sommeil et de loisirs perdues, la fatigue et les larmes d’avoir le sentiment d’être seule et démunie face aux difficultés de mes élèves. Ah! J’allais oublier : j’ai aussi eu le droit à une journée d’observation dans la CLIS d’une collègue aguerrie du secteur. Malheureusement, cette CLIS ne ressemblait en rien à la mienne. Pour avoir un modèle adapté au profil de mes élèves, c’est en Unité d’Enseignement IME qu’il aurait fallu que je passe cette journée. C’est d’échanger avec un.e collègue.e qui sait les aléas d’apprentissage d’élèves présentant des troubles si prégnants et durables de la cognition dont j’aurais bien eu besoin. Pour me donner des pistes, pour me rassurer aussi et limiter la pression que je me mettais sur les épaules. Bien tenté, donc, c’était une bonne idée la journée de tutorat par un pair. Mais encore une fois on repassera pour l’efficacité de l’accompagnement. C’était il y a dix et il y avait je crois dans ces lacunes une réelle volonté d’accompagnement. 

Si je m’en suis sortie cette année-là, c’est bien grâce à un vrai travail d’équipe. La confiance des parents, l’accueil chaleureux et l’entraide de certains de mes collègues. L’expertise, le professionnalisme et la pédagogie des Éducateurs Spécialisés de l’IME qui travaillaient dans ma classe. L’indulgence et les encouragements de ma hiérarchie. Mon sens de l’humain, une éthique de l’éducabilité et un oeil avisé sur les priorités psycho-affectives et pédagogiques à tenir pour mes élèves. En effet, à la base, avant toute considération de Programmes d’enseignement de la classe d’âge, il y a la Pyramide. À y regarder de plus près aujourd’hui, j’ai appris sur le tas à répondre aux besoins de mes élèves. Pour être plus juste, ce sont eux qui m’ont appris. Merci M.Maslow de me laisser entrevoir comment on s’y est pris. En voici quelques exemples. 

- Besoins physiologiques : Chaden, diabétique, m’a appris à utiliser le glucomètre pour savoir si elle avait besoin d’un bolus. J’ai autorisé Yanis à aller se laver les mains chaque fois que nécessaire, après qu’il eut contrôlé la teneur de son pet. Sinon il refusait de travailler. Logique, cela dit. 

- Besoins de sécurité : J’ai fini par bercer sur mes genoux le grand Gagik d’1m50 pour faire cesser sa crise de larmes et son angoisse du 1er jour, rien d’autre n’avait fonctionné. D’un regard, Loïs me disait qu’elle avait très peur d’Anna-la-Griffe-Acérée : je devais lui montrer que rien ne pouvait lui arriver. Célia m’a fait comprendre qu’elle avait besoin de jouer à la dînette et à la poupée en arrivant, avant de pouvoir se mettre au travail. J’ai repéré qu’il fallait toujours remettre bien droites les étiquettes-mots au tableau et ramasser tout objet tombé, sans m’interrompre, pour tuer dans l’oeuf les angoisses naissantes de Chaden. Il a fallu que j’apprenne à écouter, rassurer, conseiller la collègue-foldingue d’à côté pour qu’elle arrête de hurler et d’effrayer du coup tout mon groupe.

- Besoins d’appartenance : J’ai eu toutes les difficultés du monde à ce que Adam-«Nique-ta-mère», pré-ado toujours à l’école élémentaire, se sente un minimum à sa place avec ses camarades bien plus jeunes. Ça m’a coûté, vraiment, mais comment l’en blâmer? Il a aussi été nécessaire d’enseigner les codes à mon AVS, en tentant de ne pas lui faire sentir ma désespérance : ne pas faire le mur pour entrer quand on est en retard, ne pas dormir en classe, ne pas jouer à CandiCrush pendant les heures de travail, etc. En effet, les élèves commençaient  presque à se moquer de lui. Dans la cour, comme je suis toujours en retard, j’ai mis fin à une tradition de sortir en récréation sur des horaires décalés des autres élèves du bâtiment. J’ai donc géré avec humour les jupes levées d’Anna pour qui montrer sa protection urinaire à tout le monde était trop rigolo et réussi avec ma collègue de l’USEP à engager les grands CM1-CM2 à jouer au basket et au foot avec mes élèves. 

- Besoins d’estime : Les premières marques d’estime en classe sont bien celles portées par les pairs et par l’enseignant sur ses élèves, tous capables d’apprendre. Toujours maintenir pour chacun l’exigence la plus élevée possible et apporter des feed-back positifs à l’engagement au travail et aux réussites. À chaque rencontre avec les parents, je m’attachais à mettre en évidence chaque progrès, même petit. Eux me considéraient comme une spécialiste,  moi je leur demandais conseil pour mieux gérer tel ou tel aspect du trouble cognitif qui pouvait poser problème en classe. Ce sont les parents qui connaissent le mieux leur enfant, pas moi. 

- Besoins d’accomplissement de soi : J’ai travaillé à mettre en place des dispositifs valorisants, favorisant l’autonomie et aux résultats concrets et visibles pour les élèves (pédagogie de projet, brevets de réussite, actions dans le quartier, etc.). La base pour que mes élèves puissent visualiser le fruit de leur travail et les progrès accomplis. Comme en Maternelle, j’ai pris beaucoup de photos pour que leurs parents puissent voir ce qu’on apprenait dans la CLIS. Je crois que cette façon d’organiser la classe peut redonner à certains parents la fierté de voir que leur enfant est bien un élève qui a sa place à l’école, apprenant et s’y accomplissant. Dans les parcours de certaines de ces familles, ce n’est pas toujours si évident que cela à maintenir, comme sentiment…

Même si je n’ai pas réussi à faire de mes élèves des lecteurs autonomes au bout de l’année, mon inspection s'est bien déroulée et  j’ai répondu à leurs besoins. Même si quelques outils « capés » conférés en formation sont d’une grande aide, cette année-là ce sont mes élèves qui m’ont appris à répondre à leurs besoins. Pas un diplôme, pas un inspecteur spécialisé tout puissant. Mais cela j’y reviendrai plus tard. 

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