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Billet de blog 19 juin 2025

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Française, engagée à gauche : une équation encore impossible ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Être une femme en politique est un combat. Être une femme française d’origine maghrébine, engagée à gauche, c’est souvent une épreuve à plusieurs niveaux : il ne suffit pas d’être compétente, légitime, présente. Il faut en plus naviguer entre les soupçons, les silences et les exclusions feutrées.

Dès que nous devenons un peu trop visibles, affirmées, structurées politiquement, une alerte tacite semble se déclencher. On dérange les équilibres établis. On interroge des habitudes installées. Très vite, les vieilles mécaniques se remettent en marche : on nous soupçonne d’entrisme, on nous accuse de communautarisme, on nous soupèse à l’aune d’une loyauté qu’on n’exige jamais des autres. L’universalisme proclamé ne nous inclut qu’à condition de nous effacer.

Nous devons sans cesse prouver que nous sommes à notre place. Justifier notre engagement. Lisser notre langage. Réduire nos colères. Adopter les bons codes, les bons mots, les bons réflexes — pendant que d’autres, au même moment, bénéficient du doute, du temps, de la confiance.

Chaque mot que nous prononçons est surinterprété, chaque silence nous est reproché. Nous sommes constamment réduites à des projections, à des fantasmes, à des suspicions. Jamais pleinement sujettes politiques. Toujours entre la loyauté qu’on exige de nous et la trahison qu’on nous impute.

Peut-on, en tant que femme française d’origine maghrébine, soutenir la cause palestinienne sans être immédiatement suspectée d’antisémitisme ? Peut-on exprimer notre solidarité avec les otages israéliens, sans qu’on nous accuse de trahison identitaire ? Peut-on dénoncer les violences faites aux femmes par des groupes islamistes, sans se voir reprocher de faire le jeu de la droite ? Peut-on exiger la laïcité sans être traitée de complice de l’extrême centre ? Peut-on dénoncer le racisme sans être accusée de repli communautaire ?

Et surtout : peut-on utiliser les mêmes mots que nos camarades non racisés ? Peut-on nommer les choses avec la même légitimité, la même autorité politique, sans être ramenées à nos origines, à une supposée double allégeance, à une identité qu’on nous assigne mais qu’on ne nous reconnaît jamais comme politique et souveraine ?

Il y a dans cette asymétrie constante une violence symbolique : celle qui rend suspecte notre parole, qui exige qu’elle soit édulcorée, modérée, “traduite” pour être recevable. Une parole qu’on écoute moins, qu’on interrompt plus, qu’on isole vite. Et quand nous nous taisons, ce silence aussi nous est reproché.

Et pourtant, nous militons. Nous créons, nous reconstruisons des sections, nous animons la vie partisane. Nous menons campagne. Nous formons, nous transmettons, nous tendons la main. Non pas pour obtenir une place. Nous l’avons prise. Mais parce que c’est notre responsabilité. Parce que nous croyons encore — parfois douloureusement — à ce combat commun.

Mais dès que notre voix porte un peu trop fort, que notre présence devient difficile à marginaliser, les résistances s’activent. On nous isole. On nous classe. On nous enferme dans une image. On nous écarte des formations internes. On nous confie des circonscriptions imprenables. On nous laisse sur le seuil des lieux où tout se décide. Et le plus douloureux, peut-être, c’est que cela se passe parfois même dans les espaces féminins, même à gauche, même au Parti socialiste.

Ces résistances prennent parfois un visage inattendu : celui de certaines femmes non racisées, qui ont conquis leur place au prix d’efforts immenses — mais qui, plutôt que d’élargir le cercle, s’appliquent à nous en barrer l’accès. Par peur, par fatigue, par réflexe méritocratique défensif. Le féminisme devient alors un territoire à protéger, et non une dynamique à ouvrir.

Ces rivalités imaginaires reposent sur un non-dit profond : le vieux regard colonial qui survit dans certaines pratiques militantes. Celui qui continue à penser que la parole politique doit être validée culturellement. Celui qui imagine que la radicalité nous précède, même quand nous sommes calmes. Celui qui juge notre ton avant notre propos, notre nom avant notre projet.

Ce texte n’est pas seulement une dénonciation des pratiques et attitudes auxquelles nous sommes confrontées. C’est une interpellation. Une demande de cohérence. Un appel à rompre avec les automatismes d’exclusion, à revoir les logiques implicites de suspicion. Ce que je décris ici n’est pas un cas personnel. C’est un ressenti collectif, partagé par beaucoup d’autres militantes, d’autres camarades qui n’osent plus parler, ou qui parlent dans le vide.

Ce n’est pas la présence des femmes racisées qui menace la gauche. C’est leur mise à l’écart qui l’affaiblit. Ce n’est pas notre parole qui divise, c’est le refus de l’entendre. Ce que nous incarnons n’est pas un danger, mais une chance : celle de faire de notre camp politique un lieu enfin à la hauteur de ses promesses.

Alors oui, être une femme française d’origine maghrébine, engagée à gauche, reste encore aujourd’hui une équation difficile. Mais ce n’est pas à nous d’en simplifier les termes. C’est à celles et ceux qui croient à la justice sociale, à l’universalisme réel, à la République vivante, de les rendre justes.

Ce que nous demandons n’est ni un privilège ni un passe-droit. C’est la cohérence. Le respect. Et la possibilité, enfin, d’exister dans notre famille politique non comme une exception, mais comme une force.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.