La construction d'un projet aura rarement suscité autant de crispations. Prévue il y a plus de quarante ans à la périphérie de Nantes, la plateforme aéroportuaire censée remplacer l'actuel aéroport Nantes Atlantique ne cesse d'attiser les oppositions. Sur la Zone d'Aménagement Différé (ZAD), des centaines d'opposants écologistes, contestant l'utilité et la viabilité du projet, occupent des habitations abandonnées dès 2009. Sur leur site web, on peut ainsi lire qu'ils souhaitent "profiter d’espaces laissés à l’abandon pour apprendre à vivre ensemble, à cultiver la terre et à être plus autonomes vis-à-vis du système capitaliste." Au fil du temps, ils ont construit, créé un vrai village.
La ZAD devient Zone à Défendre. Venus des quatre coins de la France, parfois même de l'étranger, ils résistent aux régulières tentatives d'expulsion de la gendarmerie, malgré l'humidité et la fragilité de leurs cabanes, tipis et autres granges réaménagées. Par les pro-aéroport, les zadistes sont souvent présentés comme des sauvages, des casseurs violents qui n’ont pour but que d’affronter la police. Ils leurs reprochent d'être "portés sur l'ultra-violence" selon les mots de Bruno Retailleau, président (Les Républicains) du conseil régional des Pays de la Loire et de se confondre avec des groupuscules tels que les "Blacks Blocks".
Le gouvernement ne cesse d’annoncer qu’ils seront délogés, puis de revenir sur cette décision. La ministre de l'Écologie a ainsi annoncé, par surprise, qu'un nouveau rapport serait réalisé dans les deux mois afin d'évaluer des projets « alternatifs ou complémentaires » au projet existant et qui suscite une forte opposition des milieux paysan, écologiste et altermondialiste. Elle a aussi précisé qu'elle excluait tout recours à la force pour vider la ZAD. Une position qui démontre les divisions concernant le projet au sein même du gouvernement, puisque le premier ministre Manuel Valls s'est quant à lui prononcé pour une évacuation de la ZAD. Finalement, c'est la voie référendaire qui entérinera l'avenir du projet d'aéroport du grand Ouest, bien que le périmètre de cette consultation populaire demeure inconnu à ce jour.
La présence des zadistes n'est pas sans impact sur la région. Et il n'est pas positif au yeux de tout le monde. Du côté de la mairie de Nantes, interdiction de communiquer sur le sujet. Les adjoints ne peuvent rien dire. La seule information qu’ils donnent, c’est qu’ « il y a des casseurs dans la ZAD, c’est dangereux comme endroit. » Les premiers témoins de la présence des zadistes, outre ces derniers, demeurent les riverains. Certains se plaignent de squatts, vols, racket et cambriolage. Propriétaire d'une maison secondaire environnante, Guy et Béatrice Lamisse décident de lancer une pétition. Cette maison, ce sont leurs enfants qui devaient s’y installer, ils ont finalement décidé d’abandonner l’idée, le climat étant invivable. Guy et Béatrice se sentent de moins en moins en sécurité.
Ils sont aussi témoins de ce que construisent les zadistes pour contrer les forces de l’ordre qui pourraient venir les déloger. Selon eux, les zadistes se préparent à une vraie guérilla pour affronter la police. « Ils commencent à s’armer, ils piègent les bois. » Les occupants de la ZAD auraient enterré des bidons de 200 litres d’essence et fabriqué des pièges pour la police. Guy va jusqu’à dire qu’on se croirait dans un pays en guerre. L’endroit a d’ailleurs été surnommée « Far West ». Ca fait bien longtemps que les gendarmes ont déserté la zone. Lorsqu’on s’approche des miradors, les zadistes qui y montent la garde vérifie qui passe. Leur détermination est grande. « On ne reculera pas. En tant que première ZAD mondiale, on se doit de donner l’exemple. »
C’est que la posture du couple Lamisse est loin de faire l’unanimité chez les riverains et les paysans dits « historiques », dont Nathalie, quinquagénaire, fait partie. « Le couple Lamisse n’habite plus sur place depuis plusieurs années et n’a aucune idée de ce qui se passe sur la ZAD. Je peux dire que leurs propos ne sont rien de plus que des mensonges », explique-t-elle. « Au début, nous n’avions pas le même point de vue sur ces jeunes venus nous soutenir dans notre lutte. On voyait bien que nous n’avions pas les mêmes pratiques. Tout ce que je peux vous dire aujourd’hui, c’est que les rencontres ont été très enrichissantes. Leur installation a offert une seconde vie à ce territoire et à son bocage», ajoute-t-elle avec une poigne certaine. Dans un communiqué des résidents historiques, ont peut ainsi lire que « la ZAD, ce n’est pas une forteresse isolée mais au contraire un lieu foisonnant où se construisent des projets de vie basés sur l’échange solidaire et les valeurs humanistes. En ce sens, pour nous, la ZAD fait partie de la dynamique et de la vie de nos communes. »
De retour de la ZAD, Camille (le prénom à été changé à sa demande), étudiante en sociologie à Paris, pose un constat similaire. « L’image de violence et d’insécurité véhiculée par les médias et les politiques est à des années lumière de ce qui se passe sur place. Ce que j’ai vu, c’est avant tout une nouvelle dynamique de lutte et de solidarité, d’une grande diversité sociologique ». Camille a rejoint la ZAD pendant le week end du 31 janvier pour répondre à l’appel des différents collectifs de soutien afin de participer aux travaux et aux atelier « destiné à renforcer les structures collectives, matérielles, agricoles, défensives et festives existantes sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes ». Sur place, plus de mille personnes dont plusieurs collectifs, des associations ou encore de simples curieux font le déplacement, armés de marteaux et autres outils de construction, sous une pluie diluvienne. Des centaines d’entre eux se sont déjà inscrits sur Internet dans l’un des vingts ateliers proposés par les résidents de la ZAD. Le but est de réaménager les principales constructions installées depuis 2012 afin de remettre le lieu en l’état en vue d’une utilisation partagée.
Conscients de la puissance des intérêts financiers auxquels ils font face, les différents collectifs présents sur la ZAD misent de plus en plus sur une convergence des luttes. Nathalie, qui fait partie des résidents historiques, participe à de plus en plus de réunions avec des agriculteurs mais aussi des syndicalistes et autres collectifs non issus de la mouvance écologiste. « Même si je ne parle pas au nom de l’ensemble des habitants de la ZAD, car il faut aussi dire que nous sommes très différents bien que nos objectifs se croisent, je peux dire que nous avons besoin de voir notre lutte portée par d’autres acteurs », explique-t-elle. Réunir cependant des collectifs issus d’horizons différents rend difficile de trouver un accord dès les premières rencontres. « Il n’est pas facile d’amener des écologistes et des syndicalistes à se mettre d’accord. Ne serait-ce que sur les sujets tels que le nucléaire ou la décroissance, il y a des postures qui ressortent très vite. Notre prochain objectif est de les dépasser ». Face à de tels enjeux, Nathalie se dit optimiste malgré tout. Elle rappelle que plusieurs syndicalistes de la CGT ainsi que plusieurs agriculteurs de la Confédération Paysanne ont accepté de rejoindre les zadistes le samedi 27 juin, pour une journée de mobilisation qui a rassemblé plus 40 000 personnes.