Après le crime sauvage, le choc et le deuil qui s’ensuivent ; c’est la confusion. Tout d’abord la tristesse de se dire que des gens sont morts pour des dessins qui m’ont tant fait rire et de sentir que je n’aurai plus ce privilège, cet honneur. Vient alors la colère, envers les bourreaux, ces monstres froids et lâches qui brandissent les armes et font couler le sang face à la dérision et à l’humour grinçant, polémique mais assumé de la « bande à Charlie ». J’ai toujours pensé qu’on pouvait rire de tout et surtout de l’étendue de la connerie humaine, sans doute cela n’est-il pas possible avec n’importe qui, mais c’est un idéal assez noble pour être poursuivi. Si Charlie Hebdo a été attaqué en pleine conférence de rédaction, ce n’est pas seulement parce qu’il militait par le rire, c’est aussi parce qu’il luttait par le crayon, parce que Charlie est avant tout un journal.
En tant qu’étudiant en journalisme je me sens touché et mon engagement dans cette voie n’en prend que plus de sens, d’autant plus que je suis né de l’autre côté de la méditerranée, que j’y ai grandi et que je renais en France depuis quelques années. Je revendique donc ces deux identités, qui me forgent, et que certains esprits haineux et opportunistes cherchent à opposer depuis de longues années. Ceux là même qui ne manqueront pas l’occasion d’attiser la haine à coups d’ « on vous l’avez bien dit, l’islam est un problème », salissant au passage la mémoire des membres de Charlie Hebdo qui n’ont cessé de les combattre.
Ces comportements, ces amalgames, il faut les dénoncer, malheureusement cela ne suffit pas. Le recueillement, le deuil et la compassion, la colère envers les coupables et ceux qui instrumentalisent leur crime ; toute ces émotions et cette bonne volonté ne valent pas la réflexion, l’analyse et l’esprit critique (rappelons l’émotion mondiale et la campagne de soutien « Bring Back Our Girls », ces jeunes 276 lycéennes, qui s’en souvient encore aujourd’hui ?). Ce sont là les seuls moyens qui permettent de mettre la lumière sur les problèmes (réels et non médiatiquement fantasmés) et de leur envisager un éventuel traitement qui soit durable et efficace.
Il serait naïf, pour ne pas dire idiot, de croire que la France et l’Occident, qui sont loin d’être les seules victimes du terrorisme islamiste, peuvent se débarrasser de ce fléau en multipliant les réponses militaires et les dispositifs sécuritaires. Le parallèle avec le 11/09 et ses conséquences doivent servir de leçon pour ne pas reproduire les dérives américaines, au lieu de reprendre une rhétorique digne de la dramatisation propre aux chaînes d’information. Pendant que certains appellent au retour de la peine de mort, d’autres seront surement tentés par une traque des djihadistes sur l’ensemble du territoire français, à la manière d’une chasse aux sorcières qui aboutirait à l’arrestation de tout individu suspecté de radicalisation, en vue d’une peine à perpétuité.
Il s’agirait là d’une grave erreur de jugement dans la lutte contre une idéologie qui ne cesse de gagner du terrain, ralliant toujours plus d’adeptes à sa cause, en France, en Europe et dans le monde arabo-musulman. Il suffit de jeter un coup d’œil au parcours des individus qui se sont attaqués à la France durant la dernière décennie, pour se rendre compte que ce qu’ils partagent avant tout et outre des origines maghrébines, c’est un passage par la délinquance et par la radicalisation en prison. Des prisons surpeuplées, terreau du terrorisme, autre symptôme d’un Etat malade et démissionnaire. On guérit cependant rarement d’un mal en apaisant ses symptômes, sans oser le traiter à la racine.
Si l’extrémisme religieux est devenu si dangereux, c’est qu’il est porteur d’une idéologie qui séduit une part, très minoritaire mais non négligeable, de la jeunesse française. La question qui se pose alors est de trouver ce qui pousse ces jeunes à tomber entre les mains manipulatrices de prédicateurs extrémistes. Comment une République laïque, qui se veut à la pointe de la démocratie et des droits de l’Homme peut-elle accoucher d’individus d’une si grande faiblesse d’esprit ? Des jeunes d’une vingtaine d’années qui préfèrent la mort à la vie et qui pensent qu’après le crime et l’agression, c’est le paradis qui les attend. Je ne peux m’empêcher de lier cet échec criant à celui de l’école républicaine.
Cette institution a depuis longtemps cessé de remplir son rôle d’ascenseur social pour devenir un instrument de reproduction des inégalités dont le but n’est plus l’émancipation des futurs citoyens, mais la formation d’une main d’œuvre qui réponde aux attentes du marché du travail – un échec là aussi quand on regarde le chômage des jeunes. Devant une telle situation, on aurait pu imaginer que les politiques s’empressent de sérieusement réformer l’éducation nationale. Il n’en est rien, dans leur quête aveugle et sans relâche pour la baisse des dépenses publiques, les gouvernements successifs soutiennent la nécessité des coupes budgétaires. Les professeurs, manquant de moyens, ne peuvent plus assurer leur rôle, victimes de cette dégradation des conditions de transmission du savoir. Il ne faut donc pas s’étonner que l’abandon scolaire soit la première étape d’une vicieuse spirale qui peut mener de la délinquance à la radicalisation en passant par la prison.
Il s’avère malheureusement que les communes qui paient le plus lourd tribut de cette situation sont celles où se concentrent le chômage et la précarité. Dans ces banlieues qui souffrent depuis un demi-siècle d’une politique d’intégration ratée car bâclée. Ces banlieues dont on ne cesse de dénoncer les problèmes sans jamais se résoudre à mettre assez de moyens pour en sortir. L'émotion ne mène à rien, ce n'est pas avec de l'émotion qu'on combat le terrorisme. C'est en se posant les bonnes questions : Comment en France un jeune peut-il en arriver à préférer la mort à la vie ? Pourquoi la France ne se donne pas les moyens d'intégrer ses populations immigrées qui l'ont reconstruite après la guerre ? Pourquoi la France n'a pas réussi à effacer la rancune que constitue le souvenir, chez ces populations, de la colonisation et de l'esclavage ? Ces questions là sont complexes, on n’y répond pas avec des pancartes, malheureusement c'est la seule façon de faire avancer les choses, pour que le terrorisme disparaisse.
Après avoir longtemps hésité entre présence ou pas à cette marche pacifique, je resterai finalement chez moi. Après le bal des faux-culs qui a suivi le deuil et recueillement, je refuse de manifester avec un terroriste et un assassin en campagne électorale comme Netanyahu, celui-là même qui décimait les familles par centaines et qui a ordonné la mort de tant d'enfants de Gaza. Je ne peux pas marcher pour la liberté d'expression avec un ministre de Poutine et Manuel Valls. Je ne peux pas marcher pour la fraternité avec ceux qui refusent la solidarité entre les peuples, je parle bien sur de la droite européenne représentée par Merkel, Rajoy et Cameron, ces gens-là NE SONT PAS CHARLIE et ne le seront jamais.
Des hommes politiques ambitieux et opportunistes sont entrain de récupérer la mort de JOURNALISTES ANARCHISTES !! Je ne peux participer à cette mascarade sur fond de manipulation et d'emballement sur les réseaux sociaux.
Le soutien c'est bien, L'ENGAGEMENT c'est mieux, c'est quotidien !!
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