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Billet de blog 28 mai 2015

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Much Loved de Nabil Ayouch ou la pédagogie du choc.

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Autant le dire tout de suite, je n’ai pas vu le nouveau film de Nabil Ayouch. Je ne l’ai pas vu, mais je ressens, au plus profond de moi-même, la nécessité de le défendre. Vu que je n’ai pas fourni l’effort du visionnage, je me garderai donc d’en faire la critique. J’en défendrai pourtant la démarche, osée et choquante, et je ferai la critique de ce que mes yeux ont eu la chance (ou le malheur) de voir, ces milliers de commentaires haineux et dans une large mesure, hypocrites. Je me permets donc de faire une sorte de critique de la critique. Nous (marocains d’ici et d’ailleurs) sommes aujourd’hui gouvernés par un ordre moralisateur, un ordre social omniscient capable de discerner le bien du mal. Omniscient mais incapable d’accepter l’évolution des mentalités.

Il faut le dire et ne pas cesser de le répéter, au risque de tomber dans la tautologie, cet ordre socialo-moral est obsolète, il agonise. Les conservateurs qui en sont l’incarnation humaine, sont peut-être portés au pouvoir par des masses ignares, cela ne change rien à la marche inexorable et sans pitié de l’Histoire. Rappelons tout d’abord les quelques « prétextes » (raison est un mot bien trop noble pour ce genre de situations) d’indignation qui hantent depuis quelques jours les clean-consciences. Much Loved serait salissant pour l’image, Ô combien pure et angélique, de notre cher Royaume, le plus beau pays du monde. Le film donnerait une image faussée de LA Femme marocaine, ce personnage que je ne cesse de chercher, à défaut de la trouver, je finirai par penser qu’elle n’existe pas. Ce qui est peut-être normal, on en cherche une là où il y en a 15 millions. Pourquoi alors le marocain se sent-il insulté dès qu’une femme marocaine se permet de jouer le rôle d’une prostituée ?

Une mention spéciale est à adresser à notre frère (c’est comme ça qu’il se présente, acceptons-le) Armando Smith. Je cite (accrochez vos ceintures, nous allons vite et loin) : « Premièrement, je respect ton travail, même si lui ne me respect pas. En effet il porte atteinte à l'image de ma fille, l'image de ma femme. J'ai passé des années à élever ma fille, ce n'est pas pour la voir aujourd'hui dans un festival international humilié de la sorte ! Ma jeune fille est brillante, scolarisé, elle manie aussi bien la langue de Molière que celle de Shakespeare. Ma fille se couche assez tôt, pour se lever et prier son Seigneur. Au contraire des images négatives sur la femme marocaine, jusqu'à preuve du contraire c'est elle qui a fait de toi le réalisateur que tu es aujourd'hui. Ton film est vulgaire, il porte atteinte à ma croyance, à ma société et il participe à la débauche, il ne résout rien et il ne créer aucun dialogue. » Il n’est pas nécessaire de revenir plus en détail sur le trip psychédélique du monsieur. Il suffit de jeter un coup d’œil au nom de scène pour sentir l’ampleur de la crise identitaire. Celui qui ne veut pas ressembler à l’Occident débauché et décadent ne se choisit pas Abou Houraira pour nom, il préfère un pseudo aux sonorités latino-protesto-saxonnes (oui, comme les sonorités electro-indie-pop).

Encore, faut-il le rappeler, ce n’est pas la prostituée qui indigne et dérange le marocain dans sa quiétude et son indifférence habituelles, c’est son Image ! Faut-il convoquer Magritte dans sa tombe, qu’il vienne nous rappeler, sans mauvais jeu de mots, que Ceci n’est pas une pipe ? Il faudrait être aveugle (les doigts enfoncés dans la rétine) pour ne pas voir que la prostitution en tant que phénomène social ne dérange personne, d’ailleurs qui nierait sa fonction de gendarme de la frustration. Que serait nos mâles, virils et bienveillants, sans les milliers de prostituées qui les guérissent d’une surexposition à youporn et aux leggings généreusement remplis. Ils ne supportent pas d’être renvoyés à cette réalité que leurs yeux ne sauraient voir et que leur conscience ne saurait accepter.

Des milliers de jeunes filles qui quittent leurs familles, souvent à raison (et là le mot a toute sa place), à la recherche de lendemains plus joyeux et qui finissent dans les bordels pour pouvoir survivre. Le sort de milliers de mères célibataires condamnées à la honte et à la marchandisation corporelle pour nourrir leurs progénitures, celles-là, personne ne prend la peine de parler en leur nom. Personne n’est là pour s’indigner et crier au scandale. Non, le scandale c’est de les montrer. A croire que la Maroc a attendu Nabil Ayouch pour se voir collée l’étiquette de paradis pour pervers internationaux. Les familles qui louent leurs enfants mineurs au retraité danois ou allemand, pour une poignée de dirhams, qui pour en parler ? Surement pas la meute de moralisateurs, inquisiteurs des temps modernes, condamnant de rompre le jeûne en public, mais muets devant l’injustice et la misère quand elles ne les touchent pas. C’est là une histoire bien connue, l’éléphant est dans la salle, mais tout le monde lui tourne le dos et personne ne veut le voir. Il ne faut donc pas s’étonner de voir publiquement lynché quiconque oserait le pointer du doigt. Là aussi l’histoire est bien connue, quand le doigt vise la lune, certains se contentent du doigt.

La polémique a vu éclore un autre argument, ne manquant pas lui non plus de mauvaise foie, porté par un autre genre d’ennemis de la liberté de créer. Cette fois-ci l’argument est plus digne d’intérêt puisque défendu par le réalisateur himself. Il stipule que « le film ne s’adresse pas à tout le monde. » Il y aurait des marocains plus aptes que d’autres à être confrontés à la création artistique en général. Que serait alors l’Art si chaque artiste produisait en fonction du degré de préparation de son public à l’accueil de son œuvre ? Permettez-moi d’affirmer qu’il ne serait rien puisqu’il ignorerait sa fonction de locomotive sociale. Voyez aussi toute la suffisance, la condescendance et le mépris des classes populaires qui émanent de cette défense. Elle n’est pas sans rappeler ceux qui voient le tiers-monde comme un village tribal et archaïque, indigne de démocratie, pour la simple raison que ses populations n’y sont pas préparées. Faut-il aussi rappeler que son film ne voit le jour que grâce aux millions débloqués par le Centre Cinématographique Marocain, qu’ayant été financé aux frais du contribuable, il devrait s’adresser à tout le monde ?

Ayant encore beaucoup à dire sur le sujet, mais désirant en finir avec ce billet d’humeur qui fout la mienne en rogne, je conclurai sur cette belle citation de l’âne de Georges Orwell dans la ferme des animaux : « Tous les animaux sont égaux mais certains le sont plus que d'autres»

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