De quoi sérieusement compliquer la donne pour nous autres, militants de longue date contre la dictature de la norme. Nous qui nous efforçons d’étendre peu à peu le champ de la lutte pour l’égalité, par exemple en y incluant pleinement le handicap, sommes constamment dépassés, comme nargués, par de nouvelles formes de ségrégation et l’émergence incessante de personnes se jugeant, à tort ou à raison, concernées par elles.
L’exemple le plus récent nous est venu, comme souvent, d’Amérique. Et je parie, ami lecteur, que nul parmi les responsables anti-discrimination de notre pays n’avait anticipé le problème. Voici : le premier avril prochain, une manifestation d’envergure est prévue devant la Maison Blanche, à l’appel d’un collectif contre les discriminations visant les Américains porteurs de moustache. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Nos amis moustachus d’outre-Atlantique sont régulièrement victimes de discriminations.Selon le collectif fort de 20000 membres, les inégalités sont les plus fortes, sans surprise, dans la sphère politique, où depuis 1913 aucun occupant de la Maison Blanche n’était porteur du viril attribut, et où seulement un seul sénateur possède la moustache. Alors même qu’elle embellit, selon ses défenseurs, le visage de ces derniers.
Bien entendu, on peut en rire. Dire que ces Américains sont fous. Espérer que le collectif féministe la Barbe rase les restes d’un passé révolu. Toutefois, face à l’actualité récente de l’interdiction de la jupe dans certaines de nos écoles, nous devons nous rendre à l’évidence que la question des nouvelles discriminations ne se résume pas aux facéties de la moustache. L’ancien modèle de lutte contre les discriminations par catégorie, qui multiplie les plans spécialisés pour telle ou telle d’entre-elles, et qui finit par se contredire dès lors que le modèle retenu, gagnant en complexité, se rapproche de l’infinie sophistication de la vie, a bel et bien vécu. Pour le travail de fond qui nous attend, la moustache pourrait être le poil à gratter. Le signe de l’impuissance des discussions de salon, et de la nécessité de confier la question de l’égalité des citoyens à ces derniers, dans le cadre d’une refonte participative et de fond de notre démocratie.