De quoi nous réjouir. Après tant d'années de silence, ou de simple psittacisme des annonces faites sur le perron de l'Elysée, le Figaro devient, certes sur le tard, force de proposition. Ou du moins se présente comme tel, en nous proposant vingt pistes pour, je cite, « baisser la dépense publique ».
En apparence tout y est : attaques contre les fonctionnaires sous tous les angles, invocation de l'exemple allemand à tout bout de champ, acharnement contre les malades plombant les comptes de la Sécu, dont bien sûr les fameux étrangers, les pires de tous. Et de citer moultes officines, qui diffusent un écran de fumée, pardon, de chiffres, rendant le propos imparable, faisant passer le rafiot rouillé qui en est la source pour un élégant yacht de plaisance, version 2012.
Inutile de revenir sur tous les détails alambiqués du catalogue. Ils sont au demeurant connus de tous, tant ils ont été redits et rabâchés par une certaine droite depuis belle lurette, sans que les tentatives de les mettre en oeuvre mènent à autre chose qu'au fiasco. De ces galimatias, ne retenons que les quelques perles. Pour sauver la Sécu, le quotidien nous assène doctement qu'il faudrait exclure les soins dentaires et l'optique des remboursements. « Introduire des
Franchises » (sic). A ceci près que c'est d'ores et déjà le cas, menant à des situations dramatiques, y compris au sein des classes moyennes, dès lors que des dépenses dentaires par exemple sont nécessaires. Aurait-on oublié que le 5 février 2007, sur TF1, le ministre-candidat, lui qui met un point d’honneur à tenir ses promesses, s’était engagé à faire rembourser par la Sécurité sociale les frais optiques et dentaires à 50% ? Toujours est-il que, étrangement, le Figaro se garde bien de citer l'Allemagne, pour ne pas devoir conclure que notre Sécu, loin d'être la meilleure au monde, est, en vérité, souvent bien moins généreuse que ses homologues des pays ultralibéraux.
La référence à l'Allemagne est omniprésente, par contre, dès lors qu'il est question d'hôpitaux à supprimer et d'écoles à regrouper. En oubliant allègrement un fait fondamental qui fausse la comparaison : la densité de population en Allemagne représente plus du double de celle de la France, et la population allemande est répartie de manière homogène. Le territoire allemand ne connaît pas de zones victimes de dépérissement des services publics voire de désertification, et auxquelles le Figaro voudrait ôter leurs derniers centres humains. Passons sur la tirade contre l'aide médicale d'Etat, qui cite comme il se doit Marine Le Pen, mais qui omet de relever que la fameuse « explosion » de l'AME se fait sur des volumes financiers marginaux. Le sommet de la contradiction est peut-être atteint lorsqu'il est écrit que la règle de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux doit être généralisée à toutes les agences publiques. Les agences nouvellement créées, et elles furent nombreuses au cours du quinquennat écoulé, devront-elles donc écarter de leurs effectifs des personnels qu'elles n'ont pas encore ?
C'est d'ailleurs, quand on y prête attention, par ses impasses que le texte des vingt propositions du Figaro brille. Il ne contient ni le mot « entreprise », ni l'expression « niche fiscale ». Ces mots seraient-ils devenus, paradoxalement, tabous pour les vertueux électeurs du champion de la droite ? Il est encore moins question du salaire ou du train de vie des responsables au sommet de l'Etat. Dans le long passage sur la santé, il n'est pas fait allusion aux grands bénéficiaires du système actuel. Aux revenus en hausse exponentielle et aux privilèges de certains personnels du secteur en question. Aux fraudes dont les auteurs sont, à en croire plusieurs rapports promptement enterrés, tout sauf le patient en attente de remboursement, fût-il étranger et à peau basanée.
En haut de l'article, une image, peut-être choisie par un imprudent stagiaire, montre l'un des quelques dizaines de haras nationaux, splendide château au grillage doré, suggérant des pistes d'économies potentielles à y rechercher. Las, entre l'image et le texte, l'idée semble s'être perdue. Tout un symbole.
Au-delà de ses cris et, surtout, de ses silences, c'est toute la logique de l'article qu'il nous revient d'inverser. Ce n'est pas en ajustant telle ou telle décimale, toujours au détriment des plus pauvres d'ailleurs, que nous rejoindrons une Allemagne fantasmée. C'est bien au contraire en impulsant une nouvelle dynamique comme l'Allemagne et tant d'autres ont su le faire. En sortant enfin du malthusianisme et faisant des personnes que le Figaro s'obstine à repousser sans cesse plus loin dans la marginalité des laboratoires de la croissance économique. En relançant l'industrie par l'innovation en matière de handicap. En faisant de la Lozère un pôle d'attraction citoyen. En investissant dans la vitalité associative, que le Figaro moque en parlant de spectacles de marionnettes financés par l'Etat. Prenons-le au mot dans sa lutte contre le système tant dénoncé par le président-candidat. Favorisons donc l’alternance et l’irruption en son coeur des citoyens eux-mêmes.