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Billet de blog 25 septembre 2024

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Sur la crise climatique, l’impérialisme et la libération de la Palestine

Nous devons considérer la cause palestinienne comme la pierre angulaire de nos luttes contre l'impérialisme américain et le capitalisme fossile, soutenu par les monarchies réactionnaires des pays du Golfe riches en pétrole. Il n'y aura pas de paix ni de justice - y compris de justice climatique - dans la région MENA et ailleurs sans la libération du peuple palestinien.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Lors de la COP 28, le dernier sommet sur le changement climatique qui s’est tenu à Dubaï en décembre 2023, le président colombien Gustavo Petro a déclaré que « le génocide et les actes barbares perpétrés contre le peuple palestinien sont ce qui attend ceux qui fuient le Sud à cause de la crise climatique... Ce que nous voyons à Gaza est une répétition du spectacle de l'avenir. » 

Je pense qu'il a raison. Le génocide à Gaza laisse présager le pire si nous ne nous organisons pas et ne ripostons pas fermement. L'impérialisme et les classes dirigeantes du monde entier sont prêts à sacrifier la vie de millions de personnes noires et basanées, ainsi que des membres de la classe ouvrière blanche afin de pouvoir continuer à accumuler du capital, à amasser des richesses et à maintenir leur domination.

Comment les coûts environnementaux sont transposés aux personnes vulnérables et marginalisées

Le capitalisme a toujours consisté en un système de coûts non assumés. Ses coûts sont systématiquement externalisés et transposés ailleurs : a) vers les femmes et les soignant·es, selon un principe de reproduction sociale avec des tâches souvent non rémunérées, b) des zones urbaines vers les zones rurales, c) du Nord vers le Sud, où se créent des zones sacrificielles selon une dynamique facilitée par la déshumanisation, l'aliénation et le racisme ; et d) en externalisant les coûts environnementaux, pour une nature considérée depuis des siècles comme une entité vouée au pillage et à la domination, voire comme une marchandise, mais aussi en considérant l’environnement comme un vaste dépotoir. C'est tout cela qui a conduit à la crise écologique et climatique.

Les impacts de la crise climatique globale que nous traversons sont différenciés selon les classes, les sexes et les races, ainsi qu'entre les zones urbaines et rurales, entre le centre impérial que forment les pays du Nord et les espaces périphériques que sont les pays du Sud. Ces différences s’observent également selon un prisme colonisateur-colonisé·es.

Les Palestinien·nes et les Israélien·nes habitent le même territoire, mais il existe d’énormes disparités entre les deux populations en termes d'impact et de vulnérabilité face au changement climatique, car le colonialisme israélien s'est emparé de la plupart des ressources qu’il continue de contrôler et piller, de l’eau à la terre en passant par l'énergie. C’est sur le dos des Palestinien·nes, et avec le soutien actif des puissances impérialistes que le projet colonial d’Israël développe la technologie qui contribuera à atténuer certains des effets de la crise climatique.

Intersections entre une justice climatique globale et la libération de la Palestine

Il peut sembler inapproprié, voire déplacé d’aborder les questions climatique et écologique dans le contexte du génocide à Gaza, mais je soutiens que les intersections sont nombreuses entre la crise climatique et la lutte pour la libération de la Palestine. Je dirais même qu'il n'y aura pas de justice climatique globale sans la libération de la Palestine, et que la libération du peuple palestinien est aussi une lutte pour sauver la terre et l'humanité. Il ne s'agit pas d'un simple exercice rhétorique, comme je l'expliquerai par la suite.

Tout d'abord, le cas de la Palestine d'aujourd'hui illustre parfaitement la laideur du système actuel, dont il cristallise les contradictions mortifères. Cela révèle aussi la tendance de ce système à opter pour l'usage de la violence pure et cruelle à grande échelle. Comme Gramsci a dit un jour, « La crise consiste justement dans le fait que l’ancien meurt et que le nouveau ne peut pas naître : pendant cet interrègne on observe les phénomènes morbides les plus variés. »

L’holocide, ou la destruction complète d’une société et d’un système écologique

Ensuite, ce qu’il se passe en ce moment à Gaza n’est pas qu’un génocide. Je ne sais pas si nous disposons d’une terminologie appropriée pour décrire l’ampleur de la mort et de la destruction infligées aujourd'hui aux Palestinien·nes. Au-delà de cette constatation, on assiste également à un écocide, voire à ce que certain·es décrivent comme un holocide, c'est-à-dire l'anéantissement d'un tissu social et écologique dans son intégralité.

De plus, la guerre génocidaire à Gaza, de même que d'autres guerres révèlent également le rôle que jouent la guerre et le déploiement d’un complexe militaro-industriel dans l'aggravation de la crise écologique et climatique. L'armée américaine est l’institution qui émet le plus de gaz à effet de serre au monde, plus que des pays occidentaux entiers comme le Danemark ou le Portugal. Au cours des deux premiers mois de la guerre à Gaza, Israël a émis plus de CO2 qu’au moins une vingtaine de pays pendant un an. Près de la moitié de ces émissions étaient dues à la livraison d’armes à Israël par les États-Unis. Les États-Unis ne sont pas seulement un acteur direct du génocide, ils contribuent aussi activement à l’écocide qui est en train de se produire en Palestine.

Enfin, et c'est là mon principal argument, qui se base sur les travaux d'Adam Hanieh et d'Andreas Malm, nous ne pouvons pas dissocier la lutte contre le capitalisme fossile et l'impérialisme mené par les États-Unis de la lutte pour la libération de la Palestine. En tant que colonie de peuplement euro-américaine au Moyen-Orient, Israël constitue un avant-poste important pour ce système impérialiste. C’est ce que Alexander Haig, secrétaire d'État américain sous Richard Nixon, a affirmé sans détour en déclarant qu’ « Israël est le plus grand porte-avions américain au monde qui ne peut être coulé, qui ne transporte pas un seul soldat américain et qui est situé dans une région hautement stratégique pour la sécurité nationale américaine. »

Le Moyen-Orient, noyau du capitalisme fossile global

On ne peut sous-estimer l'importance du Moyen-Orient dans l'économie mondiale capitaliste. Non seulement la région joue aujourd'hui un rôle majeur dans le développement des nouveaux réseaux de commerce international, notamment dans la logistique, les infrastructures et la finance, mais elle constitue également un nœud essentiel du système des combustibles fossiles à l’échelle mondiale, et joue un rôle de premier plan dans le maintien du capitalisme fossile grâce à sa production de pétrole et de gaz. Cette région conserve ainsi sa position d’axe central au sein du marché mondial des hydrocarbures, qui a réalisé 35% de la production mondiale de pétrole en 2022. Israël cherche également à devenir une plaque tournante du marché de l’énergie en Méditerranée orientale, grâce aux gisements de gaz récemment découverts comme les champs gaziers Tamar et Leviathan, une aspiration encouragée par la volonté de l'UE de diversifier ses sources d'énergie en prenant ses distances avec la Russie dans le contexte de la guerre en Ukraine. Le génocide perpétré par Israël n'a pas empêché l'octroi de licences à diverses entreprises israéliennes de combustibles fossiles pour prospecter davantage de gisements de gaz, dans les premières semaines qui ont suivi le début de la guerre génocidaire.

L’édifice de l’hégémonie américaine au Moyen-Orient repose aujourd’hui sur deux piliers principaux : Israël et les pétromonarchies du Golfe. Allié numéro un des États-Unis dans la région, Israël joue un rôle crucial pour la persistance d’un impérialisme américain dominateur au Moyen-Orient et ailleurs, ainsi que dans le contrôle de ses multiples ressources en combustibles fossiles, principalement dans les pays du Golfe et en Irak. C'est dans ce contexte que nous devons comprendre les efforts déployés par les États-Unis et leurs alliés pour intégrer politiquement et économiquement Israël dans la région, en lui assurant une position dominante grâce à une technologie de pointe investie dans l’armement et le matériel de surveillance, ainsi que dans le dessalement de l'eau et la production alimentaire via l'agro-industrie, dans la production d’énergie, etc.
Les accords conclus par les États-Unis pour imposer leur domination dans la région

Les accords de normalisation des relations entre Israël et certains pays arabes remontent aux accords de Camp David conclus entre Israël et l'Égypte en 1978, et au traité de paix signé par la Jordanie avec Israël en 1994. Une deuxième vague de normalisation s’est produite en 2020 dans le cadre des accords d'Abraham avec les Émirats arabes unis (EAU), Bahreïn, le Soudan et le Maroc, négociés par Donald Trump.

Avant les attentats du 7 octobre, on s'attendait à ce que l'Arabie saoudite et Israël signent un accord similaire sous l’égide des États-Unis, consolidant ainsi les velléités impérialistes américaines dans la région. Cela aurait enterré la cause palestinienne une bonne fois pour toutes. Les attaques du 7 octobre du Hamas, composante à part entière de la résistance palestinienne, sont venues perturber ce processus.

La lutte pour la libération de la Palestine n'est donc pas simplement une question de morale et de droits humains, mais elle constitue résolument dans son essence une lutte contre l'impérialisme américain et le capitalisme fossile à l’échelle mondiale. Il n'y aura pas de justice climatique sans le démantèlement de la colonie sioniste et foncièrement raciste qu’est Israël, ni sans le renversement des régimes arabes réactionnaires, en particulier les monarchies du Golfe.

La Palestine constitue l’un des fronts mondiaux de résistance contre le colonialisme, l'impérialisme, le capitalisme fossile et la suprématie blanche. Il nous incombe à tous·tes, militant·es de la justice climatique, organisations antiracistes et agitateur·trices anti-impérialistes, de soutenir activement le peuple palestinien dans la lutte pour sa libération, et de défendre son droit inaliénable à résister par tous les moyens nécessaires !

La tâche qui nous attend est ardue, mais comme Frantz Fanon nous a exhorté·es à le faire, nous devons, dans une relative opacité, découvrir notre mission, la remplir et ne pas la trahir.

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