Le candidat de la sincérité : foi, diaspora et authenticité politique
La victoire de Zohran Mamdani marque la consécration d’un autre rapport à la politique : celui de la sincérité identitaire.
Dans une Amérique encore marquée par vingt ans d’islamophobie d’État post-11 septembre, il a refusé d’effacer ce qu’il est.
Fils d’immigrés ougandais d’origine sud-asiatique, musulman pratiquant, il a mené sa campagne sans renier ni sa foi ni ses racines, assumant de prier le vendredi, de parler du Coran, de revendiquer son héritage diasporique.
Cette posture, dans un paysage politique où la neutralité est souvent performée comme vertu suprême, a bouleversé les codes : Mamdani a transformé son altérité en crédibilité.
Son message, « Je suis l’un des vôtres », a résonné en arabe dans une ville façonnée par les migrations, où l’authenticité compte plus que la conformité. Loin de le marginaliser, son identité multiple est devenue le socle de sa légitimité.
Les attaques islamophobes, le présentant tantôt comme un “sympathisant du Hamas”, tantôt comme un “radical caché” ont fini par renforcer cette image d’intégrité. Les électeurs ont compris qu’on l’attaquait pour ce qu’il est, et non pour ce qu’il propose.
Dans une Amérique polarisée entre la ligne America First et la ligne Israel First, Mamdani a imposé une troisième voie : celle du vrai.
L’impossible “Mamdani à la française”
Transposer cette victoire en France relève de l’utopie. Non pas faute de talents, mais parce que le système politique français interdit l’authenticité identitaire. Un candidat musulman, racisé, issu de l’immigration, ne peut aujourd’hui y assumer publiquement ses appartenances sans se voir sommé de prouver sa loyauté à la République.
L’idéologie de l’universalisme abstrait fonctionne comme une barrière symbolique : pour être accepté, il faut s’effacer. Effacer son nom, sa foi, ses codes culturels, son histoire, sa religion, jusqu’à devenir une silhouette conforme à la fiction du “citoyen neutre”.
Là où Mamdani a été élu parce qu’il était lui-même, un candidat français doit prétendre ne pas l’être pour espérer être audible.
Cette mécanique produit une démocratie monochrome, où la représentation se limite à des visages lissés, déconnectés du réel vécu par des millions de citoyens pluriels.
L’hypocrisie de la gauche française, adepte du porte-parolat.
Depuis l’annonce de la victoire new-yorkaise, les responsables de la gauche française rivalisent d’enthousiasme. Posts, tribunes, vidéos : tous reprennent les codes mamdanesques et saluent “l’espoir venu d’Amérique”. Mais cet élan d’admiration révèle une profonde contradiction.
Car cette même gauche, en France, participe activement à l’effacement des identités qu’elle prétend défendre.
Elle écarte des femmes portant un foulard de ses listes, rechigne à soutenir des candidats perçus comme “trop communautaires”, s’aligne sur les polémiques médiatiques plutôt que de les affronter. Elle célèbre Mamdani parce qu’il est “ailleurs”, parce que sa victoire ne lui renvoie pas, pour une fois, le miroir de ses propres lâchetés.
Le paradoxe est cruel : la gauche française applaudit ce qu’elle interdit.
Cette hypocrisie se double d’une tendance devenue systémique : la politique du porte-parolat.
Plutôt que d’ouvrir la scène à celles et ceux qui portent ces identités multiples, la gauche continue de parler à leur place.
Elle choisit ses visages “sûrs”, des personnalités issues de la diversité, mais filtrées, capables d’ânonner la grammaire universaliste sans jamais la questionner.
Sous couvert d’inclusion, cette pratique perpétue une forme de paternalisme politique : les minorités restent objets du discours, rarement sujets politiques. On parle pour les quartiers, pour les musulmans, pour les femmes qui portent un foulard, rarement avec elles, encore moins grâce à elles.
Ce mécanisme, profondément enraciné, explique pourquoi aucun Mamdani français n’est possible : non pas parce que la société n’y est pas prête, mais parce que les partis eux-mêmes verrouillent les voix qui dérangent leurs narratifs.
Le courage d’être soi, une leçon pour l’Europe
La victoire de Mamdani n’est pas qu’un événement américain ; elle pose une question universelle :
comment concilier pluralité identitaire et unité démocratique ? Il montre qu’il est possible d’incarner les deux, d’être croyant, héritier d’une histoire migratoire, et profondément attaché au bien commun.
L’Europe, et la France en particulier, gagneraient à s’en inspirer : tant qu’elles confondront neutralité et invisibilisation, universalisme et uniformité, elles se condamneront à produire des figures fades, sans ancrage, incapables de susciter la confiance populaire.
Car la confiance, en politique, ne naît pas de la conformité mais de la cohérence. Et tant que les partis continueront à imposer tacitement à leurs candidats de se travestir pour exister, il n’y aura pas de Mamdani à la française, seulement des promesses creuses et des visages sans mémoire.
Mamdani n’a pas gagné parce qu’il est musulman. Il a gagné parce qu’il ne s’est pas excusé de l’être.
Sa victoire rappelle que la politique n’est pas un exercice d’effacement, mais un acte de vérité. Et qu’un pays qui ne laisse pas ses enfants se dire tels qu’ils sont finit toujours par les perdre ou par se perdre lui-même.